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Offre de soins - Des recompositions hospitalières en panne de cohérence

Passant au crible dix ans de recompositions hospitalières, une étude réalisée pour Dexia montre que ce mouvement d'ampleur a manqué de vision d'ensemble, accentuant de fait les inégalités. A l'heure du projet de loi Bachelot, ses auteurs plaident donc pour une politique globale structurée et pour le maintien de quelques "exceptions territoriales".

Les recompositions ou restructurations hospitalières font régulièrement parler d'elles, notamment lorsque les élus locaux de tel ou tel territoire se mobilisent bruyamment pour sauver "leur" maternité ou service de chirurgie... Au-delà des craintes des uns et des appels à la modernisation des autres, et au moment où les ARH - qui ont aujourd'hui dix ans - devraient bientôt céder le pas aux ARS prévues par le projet de loi Bachelot, quelle est la réalité statistique et géographique du mouvement de recomposition du secteur hospitalier ? Emmanuel Vigneron, professeur des universités, et Sandrine Haas, directrice générale de la Nouvelle Fabrique des territoires, viennent de réaliser pour le compte de Dexia, avec le concours d'un groupe de travail composé de professionnels et d'experts, une étude sur "Dix ans de recompositions hospitalières en France" (1995-2005).
Les constats de ce travail poussé basé sur les 2.100 établissements hospitaliers de court séjour existant depuis 1994 sont plutôt éloquents. Les chercheurs ont répertorié 1.146 opérations de recomposition, qui ont donc concerné 60% des établissements. "Ce n'est pas rien !", note Emmanuel Vigneron, en sachant que les établissements privés lucratifs ont pour l'heure été davantage mis à contribution (51 % des recompositions et l'essentiel des fermetures) que le secteur public. "Les secteurs public et privé non-lucratif ont moins été concernés par les fermetures, les fusions et les regroupements que le secteur privé commercial, mais plus par des opérations de reconversion", précise Dexia.

 

"Les inégalités se sont accentuées"

Si l'on prend le cas de l'un des secteurs d'activité les plus touchés, l'obstétrique, les cartes montrent que l'on a "fermé des maternités partout, notamment dans les arrière-pays, ces zones rurales périphériques des villes - souvent des sous-préfectures - bien plus que dans le rural isolé", résume Emmanuel Vigneron, qui constate précisément qu'"aujourd'hui, les petites maternités sont surtout localisées dans le rural isolé". S'agissant du secteur de la chirurgie, un tiers des établissements ont cessé leur activité dans ce secteur - ou ont carrément fermé - entre 1995 et 2005, là encore avec une prédominance des établissements privés. Du coup, il semblerait difficile de poursuivre le mouvement sans risque de casse... "Aujourd'hui, si l'on fermait les petits établissements ou services encore en activité, par exemple en s'appuyant sur la liste des 113 blocs chirurgicaux établie par le rapport Valentin de 2006, certaines zones subiraient un fort allongement de la distance d'accès aux soins", commente en tout cas Emmanuel Vigneron.
Les recompositions ont-elle bien eu lieu là où elles étaient nécessaires ou utiles, à savoir là où les besoins se modifiaient, que ce soit à la hausse ou à la baisse ? Pas évident... "Les recompositions ont été très inégales entre des régions connaissant pourtant des situations démographiques comparables", constate l'universitaire qui va même plus loin : "Il n'y a pas de corrélation entre les données qui devraient être des indicateurs de nécessité et la carte des recompositions. Il n'y a pas eu de vision d'ensemble au niveau national." En lieu et place de cette vision structurée, il y aurait eu "une forte emprise du facteur humain" (rôle de certains directeurs "grands restructurateurs", négociations politiques locales...), tant et si bien que "beaucoup de restructurations prévues sur le papier n'ont jamais abouti". Et qu'au final donc, "les densités ont évolué un peu partout à la baisse mais de façon très inégale". Pour les auteurs de l'étude, on peut même dire que "les inégalités se sont accentuées".

 

Le secteur public va être en première ligne

Dans le secteur privé, les recompositions qui ont eu lieu, menées de façon "offensive et stratégique", ont souvent impliqué plusieurs établissements (on peut par exemple songer à la reconfiguration de l'offre privée qui a été conduite sur Nantes, à l'importante clinique du Millénaire à Montpellier qui a remplacé plusieurs petites cliniques...) tandis que dans le secteur public, elles ont souvent été le fait d'un seul établissement - et ont, surtout, été "moins nombreuses, plus lentes et plus contraintes". Résultat : le secteur public sera "en première ligne" dans les mouvements à venir.
Les recompositions passées ont par ailleurs renforcé la "division du travail" entre public et privé, ce dernier en ayant par exemple profité pour accroître sa part dans l'activité chirurgie et pour se concentrer dans les grandes villes. Le tout avec très peu, on le sait, de partenariats public-privé. Autre différence entre public et privé : tandis que dans le privé, les recompositions ont eu "un effet d'entraînement limité" sur les capacités des établissements, dans le public, l'"effet domino est avéré", une fermeture de l'activité chirurgie entraînant par exemple souvent celle de l'obstétrique. "Donc quand les élus ont peur de ce type d'effets, oui, ils ont souvent raison", commente Emmanuel Vigneron.
On ne peut pas dire que les restructurations aient jusqu'ici eu un fort impact sur l'attractivité et l'accessibilité des établissements, y compris dans le public. Dans le cas de regroupements, les opérations ont eu lieu entre des établissements proches l'un de l'autre (entre deux villes comme Foix et Pamiers par exemple), continuant ainsi d'offrir aux usagers des distances raisonnables. Mais aujourd'hui, prévient le chercheur, "les perspectives sont plus incertaines", avec la crainte d'"effets de trappe" liés à l'élévation continue des seuils.

 

Au nom de la "continuité territoriale"

A l'heure du projet de loi Hôpital, patients, santé et territoires, les enseignements de cette étude sont évidemment multiples. Pour ses auteurs en tout cas, les "recompositions nombreuses mais désordonnées" auxquelles on a assisté (il n'y aurait même pas eu de réelle évaluation du plan Hôpital 2007 par exemple...) ne peuvent qu'appuyer la nécessité d'une "politique globale, territorialement cohérente" - la nécessité d'"agir de façon coordonnée, avec et pour les territoires". En ce sens, la constitution des communautés hospitalières de territoires "va être de toute première importance". Emmanuel Vigneron plaide en outre pour la définition d'"exceptions territoriales".
"Certes, explique-t-il, tout n'est pas défendable partout. Les usagers doivent accepter de faire des trajets un peu plus longs. Mais il faut, dans le même temps, maintenir certains établissements ou soins au titre de la continuité territoriale." S'il n'hésite pas à utiliser le terme de "carte hospitalière", Emmanuel Vigneron se refuse à lister établissements qui pourraient faire l'objet de ces "exceptions", estimant que cette liste doit être discutée avec tous les acteurs, dont les élus locaux. Elle concernerait selon lui, glisse-t-il toutefois, une trentaine d'établissements.

 

Claire Mallet

 

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