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Développement des territoires : privilégier "l'arrosage" sur le "ruissellement"

Le Printemps de l'économie s'est ouvert à Paris le 20 mars sur le thème "Démondialisation ? DES mondialisations". L'occasion de questionner certaines visions actuelles en matière d'aménagement du territoire, qui privilégient le développement des métropoles et misent sur leur hypothétique "ruissellement" sur les territoires avoisinants.

L'idée que les métropoles créent davantage de croissance et d'emplois que les autres territoires serait de plus en plus battue en brèche. La question a en tout cas été reposée lors de l'une des conférences organisées dans le cadre du Printemps de l'économie le 20 mars. "Quand on compare les territoires en France, on voit qu'il y a une diversité des dynamismes économiques. Des grandes villes performent et d'autres sous-performent. Et des territoires hors métropoles marchent aussi très bien car ils sont bien insérés dans la mondialisation", a notamment expliqué Olivier Bouba-Olga. Dans une étude* rédigée avec Michel Grossetti, publiée le 6 mars 2017, le professeur d'économie à l'université de Poitiers montre ainsi que certains territoires non métropolitains sont dynamiques, voire le sont même plus que les plus dynamiques des métropoles. C'est le cas de Figeac (Lot), Vitré (Ille-et-Vilaine), Issoire (Puy-de-Dôme) ou Vire (Calvados). Même conclusion pour des zones d'emploi comme Mauriac (Cantal), Soissons (Aisne) ou Saint-Gaudens (Haute-Garonne) qui ont réussi à inverser leur courbe du chômage entre 2012 et 2015, bien avant que les autres territoires n'y parviennent.
Si les freins peuvent être nombreux (départ des habitants car la zone n'est pas dynamique, vieillissement de la population…), Olivier Bouba-Olga montre que la spécialisation d'un territoire peut lui donner un potentiel de développement. Exemple avec le territoire de Châtellerault (Vienne), porté par l'entreprise Mecafi, qui fournit le groupe Safran en aubes de moteurs d'avion. En dix ans, l'entreprise est passée de 100 à 700 salariés, permettant au territoire de se développer rapidement. "Cela peut se produire sur chacun des territoires, a signalé le professeur d'économie. Quand on se promène dans les territoires français, on voit qu'il y a des capacités d'innovation un peu partout."

Des métropoles qui se développent de manière inégale

Les métropoles se développent elles aussi de manière inégale. D'après l'étude de l'Institut CDC pour la recherche de la Caisse des Dépôts, du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) et de France Stratégie, "Analyse du lien entre les métropoles et les territoires avoisinants", publiée le 30 novembre 2017 (voir notre article ci-dessous du 4 décembre 2017), Bordeaux, Montpellier, Nantes, Rennes et Toulouse sont dynamiques en matière d'emploi. Mais d'autres métropoles, comme Nice, Rouen et Strasbourg, ont des résultats en-deçà de la moyenne nationale. Les auteurs ont ainsi conclu au fait que toutes les métropoles ne suivent pas la même trajectoire et n'entretiennent pas toutes une forme de supériorité à l'égard de l'ensemble du territoire.
De plus, la théorie du "ruissellement", qui revient à dire que la croissance des métropoles se déverse naturellement sur leurs territoires avoisinants, n'apparaît pas toujours si évidente. L'étude conclut à une diversité de relations entre les métropoles, leurs territoires voisins et l'ensemble de leur région. Ainsi, des métropoles comme Lyon, Nantes, Aix-Marseille se caractérisent par une forte dynamique de leur zone d'emploi et des zones qui leur sont contiguës, voire même qui sont plus éloignées. D'autres, comme Lille, Toulouse ou Montpellier, se développent sans avoir d'effet d'entraînement particulier sur les zones autour d'elles.

L'arrosage plutôt que le ruissellement

Alors, dans un contexte de mondialisation, comment donner la même chance à tous les territoires, qu'ils relèvent d'une métropole ou qu'ils soient à dominante rurale ? Pour Olivier Bouba-Olga, "il faut sortir de la concurrence territoriale, prendre acte des processus qui traversent les territoires et arrêter de chercher à attirer des talents sur les territoires qui sont censés mieux fonctionner. Mieux vaut équiper les territoires en infrastructures, pour que les habitants s'y sentent bien, puissent s'épanouir et développer des projets innovants". D'autant plus que la mobilité géographique des Français est limitée. Ainsi, d'après le recensement de 2013, 88% des personnes occupaient le même logement que l'année précédente. Et parmi ceux qui ont déménagé, seuls 2% ont changé de région. Même constat pour les créateurs d'entreprises - qui, le plus souvent, créent leur entreprise là où ils habitent - et pour les investissements étrangers qui se déploient bien au-delà des métropoles.
Plutôt que parier sur cet effet "ruissellement", Olivier Bouba-Olga plaide pour un "arrosage", autrement dit la mise en place de politiques publiques permettant de financer sur l'ensemble du territoire. "On ne sait pas où les fleurs de demain vont pousser, donc il faut arroser partout", a-t-il insisté, considérant qu'en arrosant un seul endroit, comme les métropoles par exemple, nous pourrions nous priver de voir éclore l'excellence de demain.

* La mythologie CAME (Compétitivité, Attractivité, Métropolisation, Excellence) : comment s'en désintoxiquer ?