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Europe - Développement rural : feu vert pour la programmation 2014-2020

Après deux ans de négociations, la programmation des crédits européens de développement rural (Feader) est enfin sur les rails, avec la validation par Bruxelles des derniers programmes opérationnels régionaux le 24 novembre. 11,4 milliards d'euros vont pouvoir irriguer les territoires ruraux : aides à l'installation, mesures agro-environnementales, modernisation des exploitations... Pour ce qui est de la partie développement local pur (programme Leader), les relations nouvelles entre les régions - désormais autorités de gestion - et les porteurs de projets (les "GAL") ne sont pas au beau fixe. Ces derniers craignent pour leur autonomie...

Il aura fallu quatre mois à la Commission européenne pour valider l'ensemble des programmes opérationnels régionaux de développement rural. Elle a fermé la marche le 24 novembre avec ceux du Limousin, de la Lorraine de la Picardie, de la Haute-Normandie et de la Guyane. C'est l'Auvergne - dont le président René Souchon est chargé du dossier au sein de l'Association des régions de France – qui avait ouvert le bal le 28 juillet dernier.
C'est donc un "ouf" de soulagement à un peu plus d'une semaine du premier tour des élections régionales qui vont permettre d'élire les exécutifs des 13 futures régions… On se souvient que la Commission avait demandé aux régions de revoir leur copie au printemps, retardant d'autant cette programmation qui aura nécessité deux ans de travail.
Pas moins de 11,4 milliards d'euros de crédits européens (Feader) sont en jeu d'ici à 2020 ; 15,9 si on y ajoute les 4,5 milliards d'euros de l'Etat et des régions. A titre d'exemple, c'est presque autant que les fonds Feder et FSE réunis (15,5 milliards), auxquels s'ajoutent les 588 millions d'euros du Fonds pêche (Feamp).

Les régions pour la première fois autorités de gestion

Pour la première fois, cette manne sera gérée directement par les régions. Les programmes de développement rural "sont des boîtes à outils qui permettent aux régions de mettre en œuvre des politiques agricoles et de développement rural adaptées aux besoins des agriculteurs et aux spécificités des territoires", rappelle l'Association des régions de France (ARF), dans un communiqué du 27 novembre. Aides à l'installation, mesures agro-environnementales, agriculture biologique, indemnités versées aux agriculteurs en zones défavorisées (ICHN), aides à la modernisation des exploitations… Désormais, ce sont elles qui détiennent les leviers, à côté des aides directes de la PAC qui, elles, restent entre les mains de l'Etat.
Les crédits serviront à financer les aides à l'installation de 38.000 jeunes agriculteurs, à la modernisation de plus d'une exploitation sur dix, à la formation de quelque 150.000 agriculteurs ou encore au financement d'outils de gestion des risques pour l'ensemble des exploitations françaises, indique l'ARF. 2,8 hectares bénéficieront en outre de mesures agro-environnementales. S'ils restent très orientés vers l'agriculture, les crédits Feader bénéficieront cependant à l'ensemble des habitants des territoires ruraux, notamment avec le financement du très haut débit ou la mise en œuvre du programme de développement local Leader (acronyme pour "liaisons entre actions de développement de l'économie rurale") : mobilité, hébergement de jeunes ou de personnes âgées, télécentres, revitalisation commerciale, loisirs...
L'arrivée de ces crédits est de bon augure pour les campagnes qui traversent une grave crise agricole. D'autant que l'Etat et les régions ont anticipé le feu vert de la Commission. Le ministère de l'Agriculture a par exemple mobilisé des avances pour financer le plan de modernisation et de compétitivité des exploitations signé avec les régions en juin 2014. Un plan abondé en septembre dernier dans le cadre des mesures prises pour calmer la colère des agriculteurs : 350 millions d'euros seront versés chaque année par les partenaires jusqu'en 2017.

Lourdeurs administratives

Mais la mise en route de cette programmation n'est pas aussi idyllique que le laisserait entendre l'ARF. En particulier pour la mise en place du programme Leader. Si l'ARF se réjouit de la possibilité de création de 3.000 postes dans les GAL (groupes d'action locale), les structures portant les projets de développement local, Leader France - la fédération des GAL -, s'inquiète de "lourdeurs administratives", s'ajoutant au retard au démarrage. Et de citer les procédures complexes de validation par l'agence des services de paiements (ASP) de l'Etat des "fiches actions", indispensables pour pouvoir engager les subventions. Ces critères partent pourtant d'une bonne intention : il s'agit d'éviter tout clientélisme dans l'attribution des fonds. L'association demande cependant de la souplesse.
Autre inquiétude : les disparités dans les relations avec les GAL d'une région à l'autre. La plupart d'entre elles ont lancé leurs procédures de sélection (l'objectif est d'attreindre les 350 GAL contre 220 lors de la précédente programmation), parfois dès 2014. Toutes n'appliquent pas les mêmes règles, comme en témoignent les conventions soumises aux GAL. "La manière dont s'esquissent les relations avec les régions, nouvelles autorités de gestion, tend parfois à l'infantilisation", constatait récemment l'AdCF.
Les inégalités de traitement se reflètent aussi dans les aides. Alors que l'Union européenne autorise de financer à hauteur de 25% les frais de fonctionnement, certaines régions comme le Limousin se limitent à 14%. "Cela dépend de la perception qu'elles se font parfois du développement local. Leur argument est de dire : vous vous appuyez sur les pays, or on finance déjà de l'appui d'animation", explique Marcel Denis, chargé de mission Europe à Leader France.
Ce n'est pas tout. La Commission a fait passer le plafond de subvention d'un projet de 55 à 80%. Reste donc au GAL à trouver les 20% restants (uniquement en argent public) qui sont nécessaires au déclenchement de la subvention. "La plupart sont obligés d'aller piocher des aides auprès des régions, ce qui les ficellent complètement", déplore Marcel Denis. Par ailleurs, certaines régions ont choisi de réserver 20% de l'enveloppe à des projets "structurants", type infrastructures numériques, mobilisant d'importantes sommes. Ce qui risque donc de se faire au détriment de "petits projets" de territoires. "Dans certaines régions, on demande à chaque GAL une enveloppe de crédits pour faire des tuyaux de nouvelles technologies (…) Ils ont le sentiment d'être complètement dans la main de la région", fustige Marcel Denis. "Ces pratiques vont à l'encontre de l'expérimentation, de l'innovation et du financement de l'ingénierie qui normalement devait prévaloir", poursuit-il.
Aussi, le président de Leader France Marc Bonnard, auquel s'est associé René Souchon, a récemment recommandé aux GAL de ne pas signer les conventions proposées par les régions tant que ces inquiétudes ne sont pas levées, "non pas dans un but de blocage, mais afin de pouvoir obtenir en préalable, une discussion, un dialogue avec tous les éclaircissements nécessaires qui sont indispensables avant tout engagement".
Toutes les régions ne sont pas cependant dans cette situation. Plusieurs d'entre elles proposent une contractualisation unique avec leurs GAL. C'est le cas de la Bretagne citée en exemple. Ou encore de la Basse-Normandie qui, mercredi 25 novembre, a signé la première convention Leader. Une enveloppe de trente millions d'euros y est consacrée pour les 12 GAL, soit 10% de son enveloppe Feader.