Emploi des jeunes : une exception française ?

Organisé sous l’égide du ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, et du ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités, un séminaire consacré à l’emploi des jeunes s’est tenu mardi 5 mars à Bercy. L’occasion de brosser un portrait conjoncturel et structurel de la situation tout en se prêtant au jeu des comparaisons internationales.

Selon l’Insee, 34,9% des 15-24 ans étaient en emploi en 2022. Un taux au plus haut depuis 1991, qui replace la France dans la moyenne européenne (34,8%), même si ces chiffres peuvent refléter des réalités très différentes. Coprésident du séminaire "Développer l’emploi des jeunes", Gilbert Cette, président du Conseil d’orientation des retraites et professeur d’économie à Neoma Business School, a rappelé en introduction aux débats le "très bas niveau" du PIB par habitant de la France en comparaison de ses voisins allemands (-15%) ou hollandais (-20%). Un constat qui renforce mécaniquement "une difficulté à financer des réformes structurelles". À cet indicateur s’ajoute également un taux d’emploi de l’ordre de 68% pour les 15-64 ans, bien en dessous de l’Allemagne (77%) ou encore des Pays-Bas (82%) ; phénomène qui touche en premier lieu les personnes peu qualifiées, les seniors et bien entendu les jeunes, qui sont à peine 35% (chez les 15-24 ans) à être en emploi alors qu’ils sont 50% en Allemagne et même 75% aux Pays-Bas.

Cela étant dit, le taux d’emploi des jeunes n’a cessé d’augmenter ces dernières années, souligne Gilbert Cette, gagnant près de 5 points depuis 2000. Une tendance observée dans la plupart des pays de l’OCDE mais qui masque mal un autre phénomène que l’économiste juge "particulièrement alarmant" : les NEET, ces jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation et qui représentent près d’1,5 million de personnes en France, soit 11,6% des 15-24 ans et jusqu’à 19% des 24-29 ans... près du double de nos voisins allemands ou hollandais.

Un taux d’emploi des 15-24 ans inférieur à la moyenne des pays de l’OCDE

Économiste senior à la direction de l'emploi, du travail et des affaires sociales de l’OCDE, Verlee Miranda confirme que le taux d’emploi des jeunes (15-24 ans) est inférieur en France à la moyenne de l’OCDE (35% contre 42%) avant de préciser qu’il s’agit "d’une catégorie d’âge où la plupart des jeunes sont encore en études" et que cette statistique "n’est pas forcément mauvais signe". Pour preuve, chez les 25-29 ans, ce même taux d’emploi atteint 78%, soit 2 points de plus que la moyenne des pays de l’OCDE. Plus inquiétant, le taux de chômage des 15-24 ans s’élève à 17% contre seulement 11% au niveau de l’OCDE. Une courbe, rappelle l’économiste, "qui suit la tendance de la population globale" puisque le chômage s’établit autour de 7,3% en France quand il est de 5,1% en moyenne dans les pays de l’OCDE.

Dans le même ordre d’idée, le pourcentage de jeunes occupant un emploi pendant leurs études est inférieur à la moyenne de l’OCDE. Quant aux NEET, leur pourcentage au sein de la catégorie des 15-24 ans (11,5%) est égal à celui de la moyenne des pays de l’OCDE, rappelle Verlee Miranda. Enfin, la proportion de jeunes inscrits auprès de France travail est beaucoup plus élevé que dans la plupart des pays de l’OCDE. Une situation qui indique "que le service public de l’emploi est en contact avec ces jeunes", souligne l’économiste.

Sur la question des compétences, Jérémy Hervelin, chercheur en économie à Thema, CY Cergy Paris Université et chercheur associé à la chaire Sécurisation des parcours professionnels, rappelle qu’a priori, obtenir un diplôme augmente les chances d’être en emploi de l’ordre de +45%. Une évidence qu’il tempère néanmoins en évoquant l’exemple de l’apprentissage, lequel révèle que l’alternance, si elle a un effet globalement positif pour les niveaux CAP ou bac pro en matière de recherche d’emploi, semble avoir un effet nul s’agissant des études supérieures. Dans le détail, le taux d’emploi pour les niveaux CAP peut varier "du simple au double" en fonction de la filière - voire du simple au triple pour les bac pro - ainsi que de l’établissement de formation fréquenté. En résumé, "l’insertion dépend du niveau de formation, du mode de formation, de la spécialité de la formation et de l’établissement !" Un constat qui lui fait dire que le pilotage du système éducatif, pour être plus performant, devrait se faire "au niveau de la spécialité au sein de l’établissement" avec un rôle central des proviseurs et des équipes pédagogiques.

Un changement de paradigme induit par la mise en œuvre du CEJ

Pour ceux qui ne sont pas en contrat d’apprentissage, l’Etat a créé le contrat d’engagement jeune (CEJ), rappelle Franck Petit, professeur de droit à l’université Aix-Marseille, codirecteur du master Droit des relations du travail et de la protection sociale. Un dispositif fondé sur l’accompagnement collectif "qui n’est pas un contrat de travail" et qui reprend globalement "les acquis de la garantie jeune". D’une manière générale, souligne Bertrand Martinot, économiste et directeur du conseil en formation et développement des compétences de Siaci Saint Honoré et expert auprès de l’Institut Montaigne, pour résoudre l’équation de l’emploi des jeunes peu ou pas diplômés "on a cru très longtemps aux contrats aidés dans le secteur non-marchand". Une démarche contreproductive pour les jeunes eux-mêmes, explique-t-il, à laquelle lui a succédé le CEJ : "un changement de paradigme" qui a permis de replacer l’entreprise au cœur du jeu.

Bertrand Martinot observe à ce titre trois grandes tendances dans l’évolution récente des politiques publiques de l’emploi à destination des jeunes : une évolution "culturelle" des missions locales, longtemps cantonnées au rôle de "distributeurs de contrats aidés" et qui aujourd’hui ont toutes en leur sein des référents entreprises ; un accent mis sur l’accompagnement ; et une plus grande proximité des dispositifs existants avec l’entreprise. Même si, reconnaît l’économiste, "la pénurie de main-d’œuvre reste une incitation plus puissante à embaucher des jeunes que n’importe quel dispositif d’abaissement de charges !"