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Loi de finances - Emprunts toxiques, DMTO... ce qu'a décidé le Conseil constitutionnel

Dispositions retoquées, réformes annulées, articles censurés ou déclarés conformes à la constitution... tour d'horizon des décisions prises par le Conseil constitutionnel le 29 décembre dernier quant à la loi de finances pour 2014 et la loi de finances rectificative pour 2013.

Comme il se doit, le Conseil constitutionnel s'est prononcé le 29 décembre 2013 sur ce qui allait devenir, après publication au Journal officiel le lendemain, la loi de finances pour 2014 et la loi de finances rectificative pour 2013.
Au total, le Conseil a censuré plus de 10% des articles que comptent ces deux textes (soit 24 articles sur les 236), dont certains de sa propre initiative. La grande majorité des dispositions censurées n'avait toutefois pas de caractère essentiel. Le gouvernement, pour sa part, a considéré qu'il s'agissait surtout de mesures techniques : "Les mesures annulées ne modifient qu'à la marge l'équilibre défini dans les lois de finances. L'objectif de réduction continue du déficit public engagé depuis 2012 est ainsi confirmé", ont réagi dans un communiqué les ministres Pierre Moscovici et Bernard Cazeneuve. Il est vrai que plus de la moitié des dispositions retoquées l'ont été pour des raisons de forme, le Conseil ayant considéré qu'il s'agissait de cavaliers budgétaires (dispositions n'ayant pas leur place dans un texte budgétaire). Tel est d'ailleurs également le cas pour les mesures censurées dans la loi de financement de la sécurité sociale (voir notre article ci-contre).

Emprunts toxiques : la mention d'un TEG s'impose bien

S'agissant de la loi de finances rectificative, seul un point censuré intéressera les collectivités : celui sur la réforme de la taxe d'apprentissage (voir notre article). En revanche, sur la loi de finances, plusieurs volets sont à retenir. A commencer par la censure concernant les emprunts toxiques.
La disposition du gouvernement (article 92) entendait permettre de valider les emprunts souscrits par les collectivités même en l'absence de la mention d'un taux effectif global (TEG) ou en cas d'erreur dans le calcul de ce taux. Ce vice de forme a été utilisé par les avocats de certaines collectivités pour obtenir une très forte réduction de leurs remboursements. Autrement dit, il s'agissait pour l'Etat de limiter les contentieux juridiques (aujourd'hui entre 200 et 250 déposés auprès de Dexia) qui pourraient avoir pour conséquence une nécessaire recapitalisation par l'Etat de la Sfil, la nouvelle structure de financement des collectivités qui gère les anciennes activités de Dexia.
Or, la Haute Juridiction a reproché à ce dispositif d'avoir "une portée très large", insuffisamment ciblée,  s'établissant sur tous les contrats de prêts et concernant toutes les personnes morales. Difficile pour l'heure de mesurer le coût de cette censure, d'autant plus que Bercy a annoncé la rédaction rapide d'"un dispositif plus solide juridiquement" pour résoudre cette question.
L'association Acteurs publics contre les emprunts toxiques (APCET) et la Fédération des villes moyennes (FVM) ont salué cette décision. Rappelant que cette initiative gouvernementale "avait heurté nombre de collectivités engagées dans des contentieux", l'APCET a redit "son opposition à toute disposition qui pénaliserait les collectivités et établissements publics ayant engagé une instance judiciaire à l'encontre des banques". De même, la FVM estime que "le Conseil constitutionnel protège les droits des collectivités locales vis-à-vis des banques" et que "toutes les collectivités locales concernées par l'absence de mention du taux effectif global dans les contrats ou la mention d'un taux erroné doivent faire valoir leurs droits dans les meilleurs délais".
En revanche, le Conseil a validé un autre paragraphe de l'article 92, à savoir la création du fonds de soutien de 100 millions d'euros par an pendant 15 ans pour aider certaines des collectivités ayant souscrit des emprunts toxiques. "Les conditions pour bénéficier de l'aide prévue par ce fonds ne portent pas atteinte à la libre administration des collectivités", explique-t-il. Ceci, alors que pour les parlementaires de l'opposition à l'origine de la saisine du Conseil constitutionnel, la création de ce fonds revenait à "imposer une décision de gestion" aux collectivités.

Cotisation minimum de CFE : question d'égalité

Toujours en matière de finances locales, l'article 76, qui modifiait le barème de la cotisation minimum due au titre de la cotisation foncière des entreprises (CFE) a été censuré. "Ses alinéas 12 et 14 ouvraient la possibilité aux conseils municipaux de prévoir un barème deux fois plus élevé pour les contribuables exerçant une activité soumise aux BNC (bénéfices non commerciaux). Ces dispositions constituaient une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques", explique le Conseil.
Certes, "en permettant aux communes et à leurs groupements d'augmenter la taxation au titre de la cotisation foncière des entreprises des seuls contribuables qui exercent une activité dont les bénéfices relèvent de la catégorie des bénéfices non commerciaux, le législateur a entendu prendre en compte les facultés contributives plus importantes des titulaires de ces bénéfices non commerciaux dont les charges externes sont en moyenne plus faibles et qui dégagent ainsi, à chiffre d'affaires ou montant de recettes équivalent, une valeur ajoutée plus élevée". Mais au final, le dispositif aurait conduit à "traiter de façon différente des contribuables se trouvant dans des situations identiques au regard de l'objet de la cotisation minimum".

Le coup de pouce aux départements via les DMTO jugé conforme

Deux articles importants font en revanche partie de ceux qui ont été déclarés conformes à la constitution. Il s'agit de l'article 77 qui permet aux départements de relever temporairement leurs taux des droits de mutation à titre onéreux (DMTO). Et de l'article 78 qui a pour objet de redistribuer une partie des recettes provenant de ces DMTO via un fonds de solidarité. "Ces deux articles ne portent atteinte ni au principe d'égalité devant les charges publiques ni à la libre administration des collectivités territoriales", a tranché le Conseil.
Dans leur saisine, les parlementaires de l'opposition avaient développé une longue argumentation contre ce dispositif correspondant à l'accord conclu à Matignon le 16 juillet 2013 avec les représentants des départements ainsi qu'à la mesure complémentaire proposée par le gouvernement pendant l'examen du projet de loi de finances.
"Les simulations effectuées dans de nombreux départements convergent pour établir que la grande majorité des territoires concernés seraient, en réalité, des contributeurs obligatoires nets absolus, c'est-à-dire qu'ils ne seraient pas éligibles au reversement de ce nouveau fonds de péréquation. Ce prélèvement conduira nécessairement les exécutifs départementaux à relever leur taux applicable aux DMTO afin de conserver un niveau équivalent de recettes propres", expliquent les élus de droite signataires (parmi lesquels plusieurs présidents de conseils généraux). "La loi ne permet que le choix suivant : majorer le taux applicable aux DMTO pour financer le nouveau fonds de péréquation ou perdre des recettes fiscales locales", écrivent-ils.
Sur la forme, ces élus relèvent entre autres que "ces articles sont la traduction législative d'une convention politique formée entre l'Etat et les collectivités" (alors même qu'"une convention ne peut en matière fiscale précéder l'action du législateur") et que le législateur est "incompétent pour contraindre les départements à relever leur taux d'imposition".

Fpic et Fsrif : pas d'inégalité de traitement

Autre volet ayant été jugé conforme à la Constitution : l'article 134 qui modifie les critères de prélèvement et de reversement au titre du Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (Fpic) et du Fonds de solidarité des communes de la région d'Ile-de-France (Fsrif). Le Conseil a jugé que "les nouveaux critères sont objectifs et rationnels".
Les auteurs de la saisine avaient estimé que le fait de ne prévoir "aucun mécanisme" permettant de "limiter la progression de la contribution d'une commune par rapport à son niveau de prélèvement antérieur au titre du Fpic" conduisait "certaines communes à voir leur contribution être multipliée par plus de quatre d'une année à l'autre, contrevenant ainsi au principe d'autonomie des collectivités" et à une "inégalité de traitement entre collectivités, selon qu'elles soient franciliennes ou non" (dans la mesure où l'article venait apporter un plafonnement s'agissant du Fsrif).

Logement : plus-value lors de la cession de terrains et spécificité Corse...

Sur le terrain du logement, les Sages ont annulé la réforme de l'imposition des plus-values enregistrées lors de la cession de terrains à bâtir, considérant que "le contribuable pouvait être imposé dans des conditions qui méconnaissent l'exigence de prise en compte de ses capacités contributives". Le gouvernement souhaitait que la plus-value corresponde à l'exacte différence entre le prix à l'achat du terrain et le prix à la revente, sans tenir compte de l'inflation, en supprimant tout abattement à compter du 1er mars 2014 et sans prévoir "aucune forme d'atténuation de la plus-value brute résultant de la cession".
La loi de finances initiale faisait référence à une recette attendue de 400 millions d'euros. Bercy assure aujourd'hui que le fait que la suppression de l'abattement ait été annulée pourrait encourager davantage la revente de terrains, réduisant d'autant la perte induite…
On notera que les autres volets de l'article 27, qui réforment la taxation des autres cessions de biens immobiliers (accroissement des abattements, abattement exceptionnel temporaire pour les cessions réalisées à compter du 1er septembre 2013), restent d'actualité.
Toujours en matière d'immobilier, c'est de sa propre initiative (pas de saisine sur ce point) que le Conseil constitutionnel a censuré l'article (introduit par amendement parlementaire) qui entendait prolonger la période de transition durant laquelle la Corse pouvait continuer à bénéficier d'un régime fiscal dérogatoire sur les droits de succession sur les biens immobiliers.
Enfin, plus marginale encore, la censure de plusieurs mesures "n'ayant pas leur place dans la loi de finances", dont (paragraphe III de l'article 121) l'idée que le gouvernement remette au Parlement d'ici la fin août 2014 "un rapport présentant les réformes envisageables pour améliorer l'efficacité sociale des régimes de l'aide personnalisée au logement, de l'allocation de logement familiale et de l'allocation de logement sociale, à enveloppe budgétaire constante".

Claire Mallet