Energies renouvelables : un rapport de mission invite à mieux évaluer le potentiel de production à partir de biomasse agricole et forestière
Dans un rapport publié ce 29 novembre, une mission inter-inspections diligentée par les ministres chargés de l’Agriculture, de l’Ecologie, de l’Energie et de l’Industrie a tenté d'estimer le potentiel de production de la biomasse en biogaz et biocarburants à l'horizon 2050. Soulignant l’impossibilité d’équilibrer la stratégie nationale bas carbone avec de l’énergie issue de la biomasse, elle formule plusieurs propositions qui permettraient "au mieux" de rapprocher l'offre de la demande.
Plus ancienne source d’énergie utilisée par l’homme, la biomasse peut-elle être un des moyens permettant d'atteindre la neutralité carbone en 2050 ? Une mission inter-inspections, diligentée par les ministres chargés de l’Agriculture, de l’Ecologie, de l’Energie et de l’Industrie pour vérifier que le potentiel de la biomasse agricole et forestière pouvait répondre aux besoins identifiés pour la stratégie nationale bas carbone 3 (SNBC 3) au sein de la Stratégie française énergie-climat (SFEC) a exposé ses résultats dans un rapport publié ce 29 novembre.
Reconnaissant s'être heurtée à d'"importantes difficultés pour réconcilier les sources de données et les nombreuses études qu’elle a consultées", elle est parvenue à identifier le potentiel annuel de biomasse agricole et forestière, avec des possibilités d’accroissement à moyen ou long terme. "Aujourd’hui, les cultures dédiées à la production de biocarburants de première génération (11 TWh), le bois combustible (estimé à 25 MtMS – millions de tonnes de matière sèche, 115 TWh), les effluents d’élevage (environ 1 MtMS – 1,5 TWh) et les résidus de culture (5 MtMS – 10 TWh) sont des sources existantes qui pourraient être raisonnablement développées ou mobilisées", indique-t-elle. "À court et moyen terme, les cultures intermédiaires à vocation énergétique peuvent offrir une nouvelle ressource d’environ 15 MtMS et 40 TWh. Un surcroît de récolte bois de 5 MtMS peut conduire à 10 TWh supplémentaires, 10 MtMS de résidus de cultures et 7 MtMS d’effluents d’élevage pourraient apporter 34 TWh en complément", ajoute-t-elle. Au-delà de 2050, la reforestation des terres délaissées pourrait concerner 1,5 Mha. "Si leur exploitation est éloignée, en revanche la contribution au puits de carbone sera initiée plus rapidement", relève le rapport.
Offre inférieure à la demande
À l’horizon 2050 et selon le mode de valorisation, par combustion directe, méthanisation ou synthèse de carburants liquides, cette biomasse (environ 70 MtMS), avec les biocarburants de première génération, pourrait fournir un total de 170 TWh en biogaz et biocarburants à 240-250 TWh (dont 35 TWh en biocarburants 2G, 60/65 TWh en biogaz et 110 TWh par combustion directe), ont calculé les inspecteurs. "Cette offre, déjà optimiste, est significativement inférieure mais comparable aux projections actuelles de l’administration, qui envisagent une ressource de 305 TWh en énergie finale (dont 13 TWh issus de déchets)", relèvent-ils. Toutefois, ces dernières mobiliseraient "de façon peu réaliste" environ 95 MtMS de biomasse, hors biocarburants de première génération, selon la mission, en raison d’une conversion en biocarburants et biogaz importante. Surtout, elle est encore plus éloignée de la demande métropolitaine prévue en 2050 (340 TWh d’énergie finale, soit 540 TWh d’énergie primaire et environ 120 MtMS, si les carburants de deuxième génération sont substitués à ceux de première).
De ce fait, la mission souligne "l’impossibilité d’équilibrer la stratégie nationale bas carbone avec de l’énergie issue de la biomasse puisque les besoins estimés sont une fois et demie supérieurs aux ressources". De surcroît, "la demande correspond à une valeur minimale qui risque d’être rapidement dépassée car fondée sur des hypothèses ambitieuses, lesquelles pourraient aisément ne pas être satisfaites" du fait de la rénovation thermique des logements, de la mutation des véhicules de transport, de l'efficacité énergétique de l’industrie, etc., pronostiquent les inspecteurs qui jugent "réel" le risque d’accroissement du déséquilibre.
Pour la création d'un observatoire national avec des déclinaisons régionales
Afin de rapprocher au mieux l’offre de la demande et "compte tenu de l’importance majeure des enjeux nationaux", la mission avance plusieurs propositions. La première vise à améliorer la connaissance de l’offre et de la demande de biomasse par la constitution d’un observatoire national doté de déclinaisons régionales à partir des structures existantes sectorielles, aujourd’hui peu coordonnées. La deuxième consiste à élaborer un modèle de simulation des productions agricoles et forestières de biomasse internalisant les conditions agronomiques et climatiques ainsi que la variabilité géographique. "En l’absence d’un tel modèle, les prévisions resteront imprécises et contestables, même si elles sont fondées 'à dire d’expert'", soulignent les inspecteurs. Il faudrait aussi "améliorer le partage, le traçage et la compréhension des données utilisées par les administrations" car "les trop nombreuses erreurs, parfois significatives, empêchent de considérer les résultats qui en sont issus comme une référence non contestable", justifient-ils.
Pour un cadre stable de priorisation des usages
Autres propositions : développer les cultures intermédiaires à vocation énergétique ; mobiliser la production forestière par une meilleure gestion, plus rigoureusement encadrée ; maintenir, voire accroître légèrement les productions de biocarburants de première génération et organiser le boisement des terres délaissées. Enfin, la mission recommande de définir les principes et un cadre stable de priorisation des usages de la biomasse ou "merit order". Reste la question de l'acceptabilité sociale. Alors que plusieurs interlocuteurs de la mission ont évoqué la difficulté à faire aboutir des projets tels que les chaufferies, méthaniseurs ou installations de thermochimie en France (allant même jusqu’à évoquer des délais de 5 à 8 ans contre 2 à 4 ans dans d'autres pays européens) et que les arguments utilisés par les opposants résident dans les nuisances (odeurs, noria de camions, risque de pollution des eaux, ...) et le coût carbone de l’approvisionnement à partir de ressources distantes, la mission s'abstient de prendre position "en l'absence de données quantifiées et comparables". Mais elle souligne "l’impérative nécessite d’informer, de montrer l’utilité des projets pour l’intérêt général, de garantir leur encadrement réglementaire et leur contrôle ainsi que d’assurer une concertation avant la décision". Elle insiste aussi sur "l’intérêt vraisemblable d’un partage des bénéfices avec les habitants et des redevances avec les collectivités avoisinantes pour faciliter l’acceptation."