Enseignement privé : la Cour des comptes veut moduler les moyens selon la composition sociale des établissements
Dans un rapport inédit sur l'enseignement privé sous contrat, la Cour des comptes met en parallèle l'importance des moyens financiers publics et le recul de la mixité sociale dans les établissements qui en relèvent. Elle préconise de moduler les moyens attribués aux établissements privés en fonction des caractéristiques sociales des populations accueillies.
Le calendrier surprendra. Il ne faut toutefois pas chercher de lien entre la récente signature d'un protocole d'accord entre le ministère de l'Éducation nationale et l'Enseignement catholique sur la mixité sociale à l'école (lire notre article du 18 mai) et la publication, le 1er juin 2023, d'un rapport de la Cour des comptes consacré à l'enseignement privé sous contrat. Et ce d'autant moins que quand le ministère fixe des objectifs non contraignants, les magistrats financiers souhaitent conditionner l'allocation des moyens au secteur privé à ses résultats en termes de mixité sociale.
À défaut de connivence entre la rue de Grenelle et la rue de Cambon, il existe une convergence de vues sur la réalité de l'enseignement privé sous contrat en France.
Des effectifs qui résistent
A la rentrée 2022, l'enseignement privé sous contrat regroupait un peu plus de 7.500 établissements. Parmi eux, 96% relevaient de l'enseignement catholique, le reste étant principalement réparti entre les réseaux confessionnels, notamment juifs et musulmans, en "augmentation prononcée" depuis une dizaine d'années, et les réseaux en langues régionales "très actifs".
Plus de deux millions d'élèves, soit 17,6% des effectifs scolarisés, fréquentent un établissement privé sous contrat. Et dans un contexte de baisse démographique, l'enseignement privé sous contrat connaît une évolution de ses effectifs légèrement plus favorable que dans le public depuis dix ans, bien que "de faible ampleur". Le privé refusant par ailleurs entre 30.000 et 40.000 élèves chaque année.
Une mixité sociale en recul
À propos des effectifs, la Cour des comptes confirme les données issues ces derniers mois de la publication des indices de position sociale (IPS) des élèves et évoque même un "fort recul" de la mixité sociale depuis une vingtaine d'années. Ainsi les élèves de familles économiquement très favorisées, qui constituaient 26,4% des effectifs de l'enseignement privé sous contrat en 2000, s'élevaient à 40,2% des effectifs en 2021. Le secteur privé compte désormais 55,4% d'élèves de milieux économiquement favorisés ou très favorisés, contre 32,3% pour le secteur public. La Cour souligne toutefois que "les écarts d'IPS sont également importants entre les établissements publics".
La Cour des comptes note également la répartition géographique inégale des effectifs de l'enseignement privé sous contrat : traditionnellement très présent dans les académies de l'Ouest (41% des effectifs à Rennes et 38% à Nantes) ainsi qu'à Lille et Paris, il tient une place nettement moins importante ailleurs.
Enfin, les magistrats estiment que les résultats scolaires de l'enseignement privé sont "globalement meilleurs que ceux du secteur public" mais relèvent que cette "performance reste difficile à mesurer" dans la mesure où "ces résultats sont fortement influencés par les populations accueillies".
Un financement majoritairement public
Côté financier, la Cour des comptes rappelle que l'enseignement privé sous contrat a bénéficié en 2022 de 8 milliards d'euros de la part de l'État pour financer la rémunération de 142.000 enseignants contractuels – à des coûts "minorés" par rapport à ceux du public – et le forfait d'externat versé dans le second degré pour couvrir leurs charges de personnels de vie scolaire.
Globalement, le financement de l'État aux établissements privés s'élève à 55% de leurs budgets pour le premier degré et à 68% pour le second degré, contre respectivement 59% et 74% pour les établissements publics. On peut encore relever la participation des collectivités territoriales : 9,6% dans le premier degré privé et 21,5% dans le second degré privé, contre 21,4% et 37,3% pour les premier et second degrés publics.
Un contrôle peu exercé
En contrepartie de ce financement de l'État, rappelle la Cour, ce dernier se voit reconnaître "d'importantes prérogatives en matière de contrôle". Or ces contrôles ne sont pas ou peu exercés : le contrôle financier qui incombe aux directions départementales et régionales des finances publiques "n'est pas mis en œuvre", le contrôle pédagogique de l'Éducation nationale "est exercé de manière minimaliste", le contrôle administratif de l'inspection générale "n'est mobilisé que ponctuellement lorsqu'un problème est signalé". Plus généralement, le suivi des contrats par les rectorats se révèle "peu rigoureux". "Aujourd'hui, conclut la Cour, le dialogue de gestion entre l'État et l'enseignement privé sur les problèmes de fond – mixité sociale, équité territoriale dans la répartition des moyens, performances scolaires, politique éducative – est presque inexistant."
Contrat d'objectifs et de moyens
Après avoir reconnu que l'enseignement privé sous contrat, "composante du service public de l'éducation", "apporte une contribution indiscutable à l'offre de formation" – et souligné que l'Enseignement catholique, en particulier, "se montre soucieux des objectifs de mixité sociale" bien "qu'aucune mesure dans ce sens ne [soit] aujourd’hui véritablement suffisante" –, la Cour l'appelle à "être davantage mobilisé au service de la performance éducative et de la mixité sociale". Une mobilisation qui doit se faire, selon elle, sur deux plans.
D'une part, la Cour des comptes recommande de "conforter le dialogue entre l'enseignement privé sous contrat et l'État au niveau académique, en réservant au niveau national la discussion de l'équilibre des moyens entre les réseaux, en s'assurant que les rectorats, en lien avec les directeurs académiques des services de l'Éducation nationale (Dasen) et les représentants des réseaux, décident des ouvertures de classes au plan local, afin de tenir compte au plus près du terrain des besoins éducatifs".
D'autre part, au niveau local, la Cour préconise de "moduler les moyens attribués aux établissements privés sous contrat en fonction des caractéristiques sociales des populations accueillies". Pour y parvenir, elle imagine un contrat d'objectifs et de moyens signé par chaque établissement privé sous contrat, par le rectorat et éventuellement par la collectivité territoriale de rattachement. Une option que le ministère de l'Éducation nationale avait envisagée… avant de l'écarter.