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Et si la Conférence territoriale de l'action publique devenait le lieu de l'évaluation des politiques partagées ?

C'est ce qu'a proposé ce 27 mai Françoise Gatel, la présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités, qui auditionnait Bruno Acar, inspecteur général de l'administration, auteur d'un rapport sur "L'évaluation des politiques partagées entre l'Etat et les collectivités". Une évaluation jugée largement défaillante.

Un paradoxe. Alors que les politiques partagées entre l'Etat et les collectivités sont de plus en plus nombreuses et développées (la multiplication des contrats Etat/collectivités en serait la preuve, avec plus de 1.200 contrats recensés), ces politiques sont peu évaluées. Ce constat global était celui d'un rapport de l'Inspection générale de l'administration (IGA) remis au gouvernement en septembre dernier, avec 21 recommandations à la clef (voir notre article du 25 septembre consacré à ce rapport).

L'un de ses deux auteurs, l'inspecteur général Bruno Acar, était auditionné ce jeudi 27 mai par la délégation sénatoriale aux collectivités. Sa présidente, Françoise Gatel, a d'emblée évoqué l'enjeu du sujet : "Il ne peut y voir d'efficacité de l'action publique sans principe d'évaluation". En n'oubliant pas tous ces "citoyens qui doutent de l'efficacité de l'action publique". Evaluer, ce serait donc aussi montrer, expliquer, légitimer. L'évaluation existe, mais se fait "en silo", estime la sénatrice. L'Etat d'un côté, les collectivités de l'autre. Du coup, des pans entiers de politiques partagées passent à la trappe. Que ce soit dans le social, en matière d'emploi, d'aménagement du territoire…

Selon Bruno Acar, la situation se serait même "peu à peu dégradée". "Il y a peu d'exercices d'évaluations concertées". Or parce que "les politiques initiées par l'Etat impliquent le plus souvent les collectivités", celles-ci "doivent être acteurs de l'évaluation". Faut-il pour autant généraliser des dispositifs obligatoires et systématiques tels qu'ils existent parfois ? Sans doute pas. Notamment parce qu'il s'agit alors souvent de dispositifs lourds et "très formels", avec "une approche très ciblée". L'évaluation, ce n'est pas du contrôle ou de l'audit. Ou du moins pas que. Et Bruno Acar de constater qu'aujourd'hui, "l'évaluation se fait plutôt sur le flux que sur le stock". De quoi contribuer, sans doute, à l'empilement des politiques publiques.

Donner à la région "un rôle d'ensemblier" ?

Evaluer, c'est d'abord disposer des bons outils, notamment de l'outil statistique. L'IGA suggère à ce titre de "conforter" le rôle de l'Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL), dont les données sont aujourd'hui essentiellement financières. Et d'"instaurer un référentiel commun, une méthode commune". D'autres acteurs sont mentionnés : la Société française d'évaluation, l'Afigese…

Pour évaluer, il faut aussi évidemment des moyens humains. Or ces moyens manquent, en tout cas au niveau territorial, que ce soit du côté de l'Etat déconcentré ou des collectivités, juge Bruno Acar. "Les régions, les grands EPCI… certains ont des ressources, mais celles-ci ne sont pas mutualisées". D'où une proposition : "Que la région ait un rôle d'ensemblier" pour les collectivités. En s'appuyant sur les universités et les Ceser, des acteurs aujourd'hui insuffisamment exploités.

Cette proposition a fait réagir. "Passer par la région risque d'être ressenti comme une tutelle" par les autres niveaux de collectivités, prévient Charles Guené, sénateur de la Haute-Marne. Même son de cloche du côté de Françoise Gatel : "Oui, vis-à-vis de l'échelle régionale, l'épiderme des élus peut être très sensible… Il y a parfois, à tort ou à raison, un sentiment de recentralisation au niveau de la région." "Dans nos territoires ruraux, la région, on la voit comme quelque chose de très éloigné. Pourquoi ne pas songer plutôt à l'échelle départementale, le département ayant la compétence 'solidarité territoriale' et étant perçu comme lieu de proximité ?", suggère pour sa part Bernard Delcros, sénateur du Cantal. Bruno Acar précise alors sa vision : il ne s’agit pas d'inviter la région à évaluer elle-même les politiques menées à l'échelon infrarégional, mais simplement, parce que la région "a de la ressource", de faire en sorte que celle-ci "vienne aider les autres collectivités".

Cela a en tout cas suscité une suggestion de Françoise Gatel : sachant que le projet de loi 4D, attendu pour bientôt au Sénat, comprend un article sur les conférences territoriales de l'action publique (CTAP), ne pourrait-on pas profiter de ce texte pour donner aux CTAP ce rôle, celui de mettre en place un programme d'évaluation ? Cela aurait du sens, estime-t-elle, dans la mesure où la CTAP réunit toutes les collectivités, ainsi que l'Etat : "C'est le seul lieu où tout le monde est représenté". Autre avantage : la CTAP n'ayant pas de pouvoir de décision, pas de risque de confiscation de la démarche d'évaluation.

Former les élus et les agents

Bruno Acar juge l'idée tout à fait "intéressante". Il faut dire qu'elle figurait parmi les pistes de son rapport de septembre. "Les CTAP constituent un cadre pertinent pour structurer une fonction d'évaluation partagée au niveau territorial", pouvait-on y lire. Il ajoute aujourd'hui que la CTAP pourrait utilement s'appuyer pour cela sur un conseil scientifique dédié.

Et puisqu'il fut question du projet de loi 4D, l'inspecteur général a rappelé qu'un autre article de ce texte prévoit la possibilité pour les régions et les départements de solliciter les chambres régionales des comptes (CRC). Dans les CRC, "il y a des ressources" qui pourraient être mises à profit.

Lors de cette audition, Bruno Acar aura entre autres insisté sur deux autres points. Celui des périmètres : choisir le bon périmètre pour chaque évaluation, ce qui signifie souvent s'écarter des périmètres institutionnels pour évaluer l'impact de telle ou telle politique sur, par exemple, un bassin de vie. Et celui de la formation ou, plus largement, de "l'acculturation". L'acculturation des élus locaux, "qui sont rarement à l'origine d'une démarche d'évaluation, laquelle reste pour eux un objet complexe et lointain". Mais aussi la formation des agents : l'offre de formation sur le sujet serait peu abondante et, lorsqu'elle existe, susciterait "peu d'appétence". Si on veut la rendre plus attractive, il faut qu'elle soit ensuite "valorisée dans les parcours" professionnels, ajoute Bruno Acar, notant au passage que le rapport Thiriez sur la haute fonction publique "n'évoque pas" ce sujet de l'évaluation comme objet de formation.

On pourrait aussi relever que ni Bruno Acar ni les sénateurs n'ont mentionné le "baromètre des résultats de l'action publique" que promeut activement la ministre de la Transformation et de la Fonction publiques. Or Amélie de Montchalin le présente justement comme un moyen inédit d'évaluation des politiques publiques, parle bien d'un "outil de pilotage partagé" et souligne que les politiques publiques passées au crible par ce baromètre à l'échelle départementale relèvent pour certaines de l'État, pour d'autres des collectivités. C'est ce qu'elle avait fait valoir le 15 avril dernier lors d'une audition… par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales.

 

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