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Évaluation climat : cinq collectivités passent du discours à la méthode

Passer au crible l’ensemble de leurs dépenses et qualifier les impacts de chacune d’elles sur le climat. Tel est le but de l’expérimentation lancée avec cinq villes et métropoles par l’institut de l'économie pour le climat (I4CE). Ce 23 novembre, un bilan des progrès et des lacunes a été dressé. 

Après l’évaluation climat du budget de l’État, place à l’analyse sous ce même prisme climatique des budgets des collectivités. De nouveau à la manœuvre, l’institut de l'économie pour le climat (I4CE) a coconstruit avec cinq villes et métropoles une méthodologie pour mener cet exercice inédit. Présentée ce 23 novembre, "l’objectif de la démarche n’est pas de comparer les collectivités entre elles mais qu’elles puissent chacune utiliser cette évaluation pour nourrir les discussions annuelles lorsqu’elles construisent leur budget, éclairer les arbitrages lors de son vote, faire valoir leurs efforts et orienter leur politique bas-carbone", souligne Benoît Leguet, directeur général d'I4CE. 
Les métropoles de Lille, Lyon, Strasbourg et les villes de Lille et de Paris ont expérimenté l’exercice. L'Association des maires de France, France urbaine, l'Ademe et l’institut européen Climate KIC ont collaboré à bâtir cette méthodologie. "Le but est d’établir un cadre d’évaluation climat pour le budget des collectivités qui soit transparent, public et largement partagé à travers différents réseaux en France, mais aussi potentiellement au niveau européen voire mondial. C’est donc bien l’ensemble des dépenses du budget, celles d’investissement comme de fonctionnement, qui est passé au crible du climat", explique I4CE. 

Revue des dépenses 

L’effet sur le climat des dépenses n’est en rien aisé à déterminer. Classer positives des mesures d’atténuation ou d’adaptation au changement climatique et, en négatif, celles qui soutiennent la consommation d’énergies fossiles est binaire et insuffisant. Il faut mener une évaluation climat du budget, c’est-à-dire selon I4CE "une analyse ligne à ligne du budget, se basant sur une liste ou taxonomie d’actions considérées comme très favorables, favorables, neutres ou défavorables pour le climat". Des actions mesurées à l'aune de quels objectifs ? La cohérence des dépenses est évaluée, rapportée à l’atteinte des objectifs climatiques nationaux et de neutralité carbone en vigueur, "et non à des objectifs fixés dans le cadre de politiques publiques locales", précise Benoît Leguet. Quant aux recettes budgétaires, elles ne font pas partie du champ d’étude de l’évaluation. Par ailleurs, l’exercice distingue deux types de dépenses selon qu’elles contribuent aux efforts d’adaptation ou bien d’atténuation du changement climatique, chacune disposant de sa propre méthodologie d’évaluation. 

Choix du périmètre 

Budget principal, budgets annexes (pour la gestion de l’eau par exemple), contrats de délégation de service public ou exercés via des syndicats disposant de leur propre budget détaillé, pour couvrir toutes les lignes de dépenses réelles, "le périmètre le plus exhaustif possible est souhaitable". Tous les comptes budgétaires votés par la collectivité doivent être passés au crible même si, "en pratique, le choix du périmètre va résulter d’une tension entre l’exhaustivité et la faisabilité". Et que l’analyse "doit tenir compte des contraintes des collectivités quant aux informations accessibles, au temps disponible et à l’expertise présente en interne". 
Si l’analyse s’avère difficile "du fait de la non-disponibilité des données extra-financières sur les budgets annexes", I4CE conseille de procéder à une analyse "sur un périmètre plus réduit, soit en prenant uniquement le budget principal, soit en excluant certains budgets annexes", avec l’obligation tout de même d’inclure "a minima les budgets des transports, des réseaux de chaleur, de l’aménagement et des déchets". 

Retour des collectivités pionnières

Paul Simondon, adjoint à la maire de Paris en charge des finances, estime que l’outil "aide nos directions internes à se projeter sur les effets climatiques". C’est une grille de lecture des impacts, "que nous mettrons en avant le mois prochain dans nos discussions budgétaires". France Urbaine veut le faire connaître, l’adapter aux grandes villes et y consacrer un groupe de travail. Alain Bernard, vice-président chargé des finances à la métropole européenne de Lille, rappelle que la MEL avait travaillé fin 2018 sur un budget climatique et qu’un volet climat fut intégré dans le cadre du débat d’orientation budgétaire. Ce nouvel exercice a représenté pour la collectivité un travail minutieux, qu’elle souhaite prolonger. Son rapport d’orientation budgétaire bientôt présenté puis son budget définitif en février prochain intégreront un volet climat. Car l’élu en est persuadé : "Ce modèle d’évaluation climat va s’imposer à nous dans les années à venir ; pour l’heure, tout n’est pas parfait mais on apprend en marchant." 

Et la suite ? 

La métropole de Lyon a, elle aussi, passé son budget 2019 au tamis et relève des marges de progrès. Entre les dépenses favorables ou défavorables au climat, un grand nombre atterrit au milieu dans la case "neutre". Ce qui lui fait dire qu’il faut aller plus loin dans le détail, la profondeur et la comptabilité analytique. "C’est un chantier passionnant, qui n’en est qu’à ses débuts et doit nous aider à mettre en œuvre notre plan climat (il sera validé définitivement en février prochain, ndlr), à orienter certaines dépenses et renoncer à d’autres", rebondit Audrey Linkenheld, vice-présidente de la MEL en charge du climat et de la transition écologique. Entre la ville et la métropole lilloise, des différences sont observées, les impacts ne sont pas les mêmes dans leurs budgets, ceux de la métropole sont plus positifs. Mais l’élue lilloise encense, comme les autres, les mérites de cette analyse budgétaire permettant d’éclairer des choix politiques "heureusement déjà dans les tuyaux, par exemple via les schémas d’achat responsables ou l’approvisionnement des cantines scolaires : connaître en amont leur impact permet d’emporter des décisions, surtout dans des contextes budgétaires très contraints". Et Benoît Leguet de conclure sur l’avenir de l’outil : "Il est centré sur l’impact climat parce que c’est notre cœur d’expertise mais rien n’interdit de l’élargir à d’autres enjeux tels que l’impact des dépenses locales sur la biodiversité."