Commande publique - Evaluation du critère prix : le chantier masqué, une simple méthode de notation
Les acheteurs publics redoublent d'imagination pour dégager la meilleure méthode d'évaluation des offres sur le critère prix. Ils recourent ainsi de plus en plus au chantier masqué, une technique consistant à comparer les offres de prix des candidats sur la base de commandes fictives non annoncées dans les documents de la consultation (DCE). Son utilisation est a priori réservée aux marchés à bons de commande.
Dans ce type de marchés, la comparaison des offres financières est effectuée par le biais de deux documents que les candidats doivent renseigner : un bordereau des prix unitaires (BPU) qui serviront à l'exécution du marché, et un devis quantitatif estimatif (DQE) non contractuel élaboré par le pouvoir adjudicateur.
Cette méthode permet notamment aux acheteurs publics de se prémunir contre un surcoût des prestations. Son utilisation est cependant encadrée. Et le tribunal administratif de Toulon vient d'apporter de nouvelles précisions quant à ses conditions de validité.
Dans cette affaire, la commune de la Seyne-sur-Mer avait lancé une procédure d'appel d'offres pour l'attribution d'un marché à bons de commande relatif à des travaux d'entretien, de grosses réparations et de requalification de voierie. Le 20 janvier 2015, elle a notifié à la société SGCAA le rejet de son offre, la société Eiffage Travaux Publics Méditerranée devenant l'attributaire. Contestant cette décision, le candidat évincé a saisi le juge des référés afin de faire annuler la procédure d'attribution du marché.
S'est alors posée la question de savoir si la modification de la méthode d'appréciation du critère prix constituait ou non une modification substantielle des conditions initiales du marché. De plus, la société requérante soutenait que la technique du chantier masqué avait eu pour effet d'avantager la société Eiffage, précédente titulaire du marché.
Selon la société SGCAA, lorsque la commune avait modifié la méthode d'appréciation du critère prix en cours de procédure, le pouvoir adjudicateur aurait dû observer un délai de 52 jours entre la date d'envoi de l'avis rectificatif et le choix du titulaire du marché. Ce délai est prévu par l'article 57-II du Code des marchés publics. Il est obligatoire dans les cas où la personne publique apporte des modifications substantielles à l'objet ou aux conditions initiales du marché.
Pas de rupture d'égalité
Or, pour le juge des référés, la rectification du critère prix ne constitue pas une modification substantielle lorsqu'elle porte exclusivement sur la méthode d'appréciation du prix. L'argument de la société requérante a donc été rejeté.
Le chantier masqué ne constitue en effet qu'une "simple méthode de notation" destinée à évaluer le critère prix (CE, 2 aout 2011, Syndicat mixte de la Vallée de l'Orge Aval, n°348711). Dans cette affaire, l'évaluation se faisait au moyen de trois détails quantitatifs masqués représentatifs des travaux les plus courants du marché. Le pouvoir adjudicateur doit en effet veiller à ne pas privilégier un aspect particulier de sorte que le critère prix s'en trouverait dénaturé. En outre, la personne publique est non seulement tenue d'informer les candidats de sa volonté de recourir à cette méthode mais aussi de la pondération utilisée. Ces conditions trouvent leur origine dans un jugement du tribunal administratif de Marseille de 2010 (TA Marseille, 8 juin 2010, Société entreprise générale d'électricité, n° 1003386).
Conformément à cette jurisprudence antérieure, le tribunal administratif de Toulon a jugé que l'égalité entre les entreprises soumissionnaires n'avait pas été rompue, la commune n'ayant révélé à aucun candidat les prestations intégrées dans le chantier fictif. Le juge des référés précise de plus que la méthode de notation doit toujours être élaborée avant l'ouverture des offres. Cette précaution est importante pour les collectivités car elle permet, en cas de litige, de prouver que le DQE a été établi avant. La commune de la Seyne-sur-Mer avait respecté cette formalité et présenté le chantier masqué à la commission d'appel d'offres préalablement à l'analyse des offres. Le tribunal administratif a donc rejeté la requête de la société SGCAA.
L'Apasp
Référence : TA Toulon, ord. , 20 février 2015, n°1500320.