La communauté urbaine de Dunkerque : un acheteur éco-responsable

Si les politiques de développement durable se multiplient aujourd'hui, rares sont encore les collectivités qui ont intégré cette démarche dans la commande publique. Dunkerque Grand Littoral fait figure de précurseur, entraînant derrière elle une quinzaine d'autres collectivités de la région.

"Produits non nocifs pour la santé des utilisateurs", "biodégradabilité totale en 80 jours"... Il y a un an, les élus de la communauté urbaine de Dunkerque (CUD) votaient une délibération officialisant leur volonté politique de promouvoir les achats éco-responsables au sein de la collectivité, en faisant référence au développement durable et en s'appuyant sur la Convention internationale des droits du travail. Une initiative qui s'inscrit dans une démarche engagée par la collectivité depuis dix ans (signature en 1996 de la Charte des villes européennes durables, mise en place d'un plan d'actions 21). "Le développement durable recouvre plusieurs dimensions. Il y a bien sûr les considérations environnementales mais aussi des préoccupations sociales : faire respecter les droits de l'homme et de l'enfant au travail, promouvoir le commerce éthique, encourager l'emploi des personnes handicapées ou des personnes en insertion. La démarche consiste, pour chaque marché, à savoir quels sont les critères les plus appropriés", explique Audrey Leclercq, responsable de la mission Développement durable à la CUD.

 Les achats concernés vont des produits d'entretien et aux appareils informatiques (basse consommation électrique), en passant par le papier, les photocopieurs, les véhicules propres, les produits phytosanitaires, pour les espaces verts, la fourniture d'énergie. Et le label HQE est désormais exigé pour toute nouvelle construction de bâtiment ou opération de réhabilitation.

Une démarche transversale et partenariale

"La démarche, ce n'est pas comment je vais rédiger une clause mais comment je vais m'organiser, avec qui et avec quels outils et méthodes de travail", souligne Audrey Leclercq qui copilote la démarche avec la direction des achats.
La première étape consiste à identifier des clauses pour chaque futur marché. Pour ce faire, un groupe de travail s'est constitué avec des partenaires extérieurs compétents selon chaque critère : le PLIE (plan local pour l'insertion et l'emploi) pour l'insertion des personnes éloignées de l'emploi, l'association Apahm pour l'emploi des personnes handicapées, l'association Yamana pour les droits au travail, l'Ademe pour les considérations environnementales. "Ce travail partenarial nous permet de bien cibler la clause, de savoir s'il y a des fournisseurs qui peuvent y répondre et si leur réponse sera qualitative ou non", explique Audrey Leclercq. L'écriture du cahier des charges (CCTP) constitue la deuxième étape. Là encore, les partenaires extérieurs apportent leur aide à la rédaction des clauses comme, ensuite, à l'analyse des offres. Une troisième étape de suivi, d'évaluation et de capitalisation est indispensable pour poursuivre et généraliser la démarche en tenant compte des difficultés rencontrées.
Démarche transversale, travail partenarial, connaissance de l'état du marché, relations suivies avec les fournisseurs sur le respect de la démarche : autant de changements induits dans les méthodes des acheteurs.

Eviter les marchés infructueux

Etre collectivité pilote dans cette démarche a ses revers. "Nous avons essuyé pas mal de marchés infructueux, faute de fournisseurs pouvant répondre à nos clauses", confie Jacques Lemaitte, directeur de la commande publique. D'où l'importance pour les acheteurs publics d'arriver à avoir une connaissance assez fine du marché par un travail en amont de veille (technologique et juridique) et de prospection. Pas la peine par exemple d'exiger des produits d'entretien biodégradables à 98% s'il n'existe sur le marché que des produits biodégradables à 95%. Pour capitaliser les informations collectées, la CUD travaille actuellement sur une liste de fournisseurs proposant des produits biodégradables, se prévalant d'un écolabel ou répondant à telle ou telle norme.
"Il faut adopter une démarche intelligente en adaptant notre cahier des charges à l'offre existante", explique Audrey Leclercq. L'insertion d'une clause dans le marché, éventuellement sous forme d'option, n'est possible que s'il existe de nombreux fournisseurs potentiels. Dans le cas contraire, mieux vaut opter pour l'allotissement, avec une clause réservée à un lot spécifique où on sait qu'il y a une offre suffisante. Et si aucun fournisseur n'est en mesure de répondre aux exigences souhaitées, la collectivité doit alors amener les entreprises vers une "démarche de progrès", en les incitant par exemple à s'engager sur des objectifs contractuels à la sortie du marché.

Le poids économique d'un réseau régional

Pour promouvoir cette "démarche de progrès" et ainsi susciter la création de filières de production, les collectivités ont tout intérêt à se regrouper pour représenter un poids économique régional incitatif vis-à-vis des fournisseurs (dont 80% sont de la région). Un réseau, impulsé et animé par la communauté urbaine de Dunkerque, rassemble aujourd'hui une quinzaine de collectivités* du Nord-Pas-de-Calais, représentant près de la moitié de la population régionale. "L'objectif est de monter en compétences en s'appuyant sur l'expérience des autres et de sécuriser ceux qui vont de l'avant", indique Audrey Leclerc. Un extranet met à disposition les cahiers des charges, la jurisprudence, les délibérations et autres documents de chacune des collectivités. Le réseau étudie également la possibilité d'actions communes pour quatre marchés (fournitures de bureau, fournitures scolaires, jouets, vêtements de travail) dans lesquels toutes les collectivités intégreront la même clause et, éventuellement, grouperont leurs achats.
Parallèlement, la communauté urbaine réalise avec la chambre de commerce et d'industrie de Dunkerque une enquête sur la connaissance et l'implication des entreprises du territoire en matière de commerce responsable. L'objectif est d'identifier l'offre existante, le positionnement des entreprises et les pistes de progrès. D'autres actions de sensibilisation au commerce éthique visent aussi les enfants et le grand public. Une démarche de longue haleine...
* Région Nord-Pas-de-Calais, conseil général du Nord, Ccmmunautés urbaines de Lille, de Dunkerque et d'Arras, communautés d'agglomération de Béthune, d'Hénin-Carvin et de Valenciennes, villes de Lille, Roubaix, Tourcoing, Dunkerque, Villeneuve-d'Ascq, Halluin, Loos-en-Gohelle, Marcq-en-Baroeul, Maubeuge.


Emmanuelle Yohana / EVS pour Localtis
 
 

"Utiliser le lien client-fournisseur pour amener l'entreprise à progresser"


 

Audrey Leclercq, responsable de la mission Développement durable à la communauté urbaine de Dunkerque, revient sur les difficultés et les facteurs de succès d'une démarche d'achat public éco-responsable.

Achats publics et développement durable font-il bon ménage ?

Il ne s'agit pas de soutenir une démarche systématique mais d'intégrer les critères les plus pertinents par rapport aux besoins de la collectivité. Il n'y a aucune obligation dans la procédure, seulement une incitation avec la mise à disposition d'outils au services des acheteurs, appuyée par une volonté politique forte. Côté fournisseurs, il s'agit de promouvoir une démarche de progrès social mais surtout pas de boycott. Le principe est d'utiliser le lien client-fournisseur pour amener l'entreprise à progresser.

Quelles difficultés la communauté urbaine de Dunkerque a-t-elle rencontrées ?

Une première difficulté concerne l'accès à l'information, aussi bien sur les produits, les fournisseurs que sur les aspects juridiques : ces informations sont disséminées, ce qui nécessite beaucoup de temps pour les rechercher. Autre difficulté : le faible nombre, voire l'absence, de fournisseurs offrant des produits répondant à des clauses environnementales, sociales ou éthiques. Ce qui a nous a conduit au début à pas mal de marchés infructueux. Si aujourd'hui la démarche est intégrée par le services des achats, au début, elle était plutôt vécue comme une contrainte et une source de complication. De même, il a fallu lutter contre les préjugés négatifs envers certains produits, à force d'explications et de démonstrations. Par exemple, pour le papier recyclé, les utilisateurs ont pu tester plusieurs ramettes de papier pour vérifier qu'il était aussi blanc qu'un autre et qu'il n'entraînait pas de bourrage de machine.

Quels sont les facteurs de succès pour qu'une collectivité s'engage véritablement et durablement dans cette démarche ?

Mieux vaut s'engager dans une mise en oeuvre progressive de cette démarche en commençant par un marché test, afin de définir très concrètement, avec une équipe porteuse du projet, les objectifs, la méthodologie, les possibilités offertes par le code, les erreurs à éviter. Par ailleurs, il est nécessaire de ne pas se focaliser uniquement sur l'achat de produits plus respectueux de l'environnement mais de raisonner de façon plus globale en intégrant également les dimensions éthiques et sociales. Il est en tout cas indispensable de consacrer du temps à la phase de préparation : veille technologique et juridique, recherche et sélection de produits de qualité, expérimentation de produits...
L'embauche d'une personne à temps plein dédiée au déploiement de la démarche de développement durable au sein de la collectivité est un plus indéniable. Enfin, il faut veiller à l'appropriation de cette démarche par l'ensemble du personnel de la collectivité.

 

Le Guide de l'achat responsable pour les acheteurs publics


 

L'expérience et les réflexions des collectivités précurseurs dans cette démarche, la région Nord-Pas-de-Calais et la communauté urbaine de Dunkerque, ont servi de base à la rédaction de ce guide de l'achat responsable.

La première partie rappelle les principes d'une démarche d'achat éthique (le "progrès social" et non le boycott) pour les collectivités qui souhaitent s'y engager. La seconde partie propose de "passer à l'acte" en offrant des outils et méthodes opérationnels, et en fournissant une liste de contacts pour trouver des produits "éthiques". En annexe, on trouvera un modèle de motion relatif au respect de droits de l'homme et de l'enfant au travail ; une délibération-type relative aux références de développement durable dans les achats publics ; un modèle de protocole d'engagement pour les droits humains ; des extraits des conventions internationales relatives aux droits humains au travail ; un exemple de questionnaire à adresser aux fournisseurs sur l'origine des produits et les initiatives de l'entreprise.
 

La prise en compte du critère environnemental dans le nouveau Code des marchés


Le nouveau Code des marchés publics permet de concilier la concurrence d'une part et le développement durable d'autre part. Position de Nicolas Guyomarch, chef du bureau des marchés publics au ministère de l'Ecologie et du Développement durable, extraite de plusieurs interventions publiques.

Plusieurs dispositions du code des marchés publics du 7 janvier 2004 permettent de mieux prendre en compte la protection de l'environnement dans le cadre des procédures d'achat public : l'article 6 (référence à des normes homologuées), l'article 14 (intégration de clause environnementale dans le cahier des charges), l'article 45 (la protection de l'environnement peut figurer au titre des capacités professionnelles et techniques requises) et l'article 53 (les caractéristiques environnementales peuvent constituer un critère de choix de l'offre économiquement la plus avantageuse).
Pour autant, pour ne pas restreindre le jeu de la concurrence, l'intégration des considérations environnementales doit s'effectuer dans le respect de plusieurs éléments :
- l'acheteur doit être en mesure en toute circonstance de démontrer qu'il a été clair sur son exigence environnementale (obligation de transparence) ;
- cette exigence est liée à l'objet du marché, adaptée à son contexte et proportionnée dans son expression.
Attention, il ne faut veiller à ne pas confondre les besoins (travaux, services, fournitures) et les exigences (sociales, environnementales,...) et à ne pas être "discriminant" au point qu'une seule entreprise puisse répondre.


 
 

Se repérer dans la jungle des écolabels


 

Pas facile de s'y retrouver parmi la ribambelle des labels écologiques. Si certains correspondent effectivement à des produits ayant moins d'impacts sur l'environnement, bien d'autres ne signifient rien. L'Ademe apporte quelques repères utiles aux acheteurs.

Attention aux logos sans lien direct avec les préoccupations d'achats professionnels tels que le point vert "éco-emballage" qui ne présume pas du recyclage effectif des emballages. Attention également aux logos qui n'ont pas ou plus de sens, comme "papier recyclé", "préserve l'environnement" ou les logos qui ne font que reprendre une obligation réglementaire comme "préserve la couche d'ozone". De même, les auto-déclarations environnementales relèvent de la seule responsabilité du fabricant ou du distributeur sans faire appel au contrôle d'une tierce partie. Quant à des qualifications telles que "produit vert", "produit naturel" ou "produit 100% écologique", elles ne garantissent rien en elles-mêmes.
L'Ademe liste les logos sur lesquels les acheteurs peuvent par contre s'appuyer pour introduire des critères environnementaux dans les marchés publics.
Les écolabels officiels
Initiés par les pouvoirs publics, les écolabels garantissent un produit performant qui génère moins d'impact sur l'environnement tout au long de son cycle de vie. En France, la marque "NF-Environnement" résulte d'une certification attribuée par l'Afnor, selon un cahier des charges précis pour une catégorie de fourniture donnée (loi du 3 juin 1994).
L'écolabel allemand est symbolisé par un ange bleu, l'écolabel nordique par un signe blanc, l'écolabel européen par une petite fleur constituée d'une corolle de 12 étoiles.
Les normes internationales ISO 14020 et ISO 14024 cadrent le développement et la mise en pratique des écolabels.
Le logo Energy Star
Mis en place par l'agence gouvernementale américaine de protection de l'environnement, ce logo est attribué aux produits qui consomment moins d'énergie ou qui permettent des économies d'énergie (ordinateurs, imprimantes, copieurs, luminaires...).
Le logo TCO
Créé par la fédération syndicale suédoise des employés, ce logo assure que le produit respecte des critères de qualité (luminosité, qualité d'image...) mais aussi des critères environnementaux. On le trouve sur des écrans d'ordinateurs.
L'étiquette énergie
Créée par la Commission européenne, elle est obligatoirement apposée sur les appareils électroménagers et sur les ampoules. Elle classe les produits selon leurs performances en matière d'économie d'énergie lors de leur utilisation, de la lettre A (pour les plus économes) à lettre G.
Le logo FSC (Forest Stewardship Council)
Délivré par une ONG internationale, ce logo figure sur des produits utilisant du bois provenant de forêts gérées durablement.
Le logo PEFC (Pan European Forest Certification)
La présence de ce logo indique également que le bois utilisé est issu de forêts gérées durablement.
"Car labelling"
L'étiquetage des véhicules, mis en place par la Commission européenne, est obligatoire. Il informe sur la consommation de carburant et les émissions de CO2.
La marque Retour
Créée et gérée par l'Ademe, cette marque garantit la reprise des produits après utilisation, en fin de vie, par leur fabriquant qui s'engage à les traiter ou les recycler en respectant l'environnement (cartouches d'imprimantes, toners de photocopieurs).


Source : "Passeport éco-produit" de l'Ademe.


 

Achats éco-responsables : quatre réseaux régionaux et un réseau national


 

Un collectif régional de collectivités locales sur les achats éco-responsables permet de mutualiser les expériences et les ressources (cahiers des charge, information sur les fournisseurs...) et d'avoir davantage la possibilité de jouer un rôle de levier et d'incitation auprès des fournisseurs.


En plus du réseau Nord-Pas-de-Calais, impulsé par la communauté urbaine de Dunkerque et la région et qui réunit une quinzaine de collectivités, trois autres réseaux régionaux se sont constitués pour favoriser les achats éco-responsables. Le réseau Rhône-Alpes, créé en 2002, compte aujourd'hui une cinquantaine de collectivités locales. En Ile-de-France, un autre réseau régional s'est constitué autour des villes de Champigny-sur-Marne (94) et de Saint-Denis (93). Le dernier-né, a été lancé officiellement par la ville de Longwy et le conseil général de Meurthe-et-Moselle le 1er juiller dernier.
Au niveau national, un groupe de travail de "collectivités consommatrices éthiques" s'organise également, avec l'appui du collectif De l'éthique sur l'étiquette et de Cités-Unies France.


 

Conférence nationale le 6 septembre : "La commande publique, levier du développement durable"


 

Pourquoi et comment prendre en compte le développement durable dans les marchés publics ? Ce sera le thème de ce colloque organisé le 6 septembre 2004 à Charbonnières-les-Bains près de Lyon (Rhône).


Cette première conférence nationale est organisée par la région Rhône-Alpes, le réseau régional Rhône-Alpes "Commande publique et Développement durable", l'agence régionale Rhône-Alpes Energie et les Eco-Maires.
Plusieurs tables rondes sont programmées au cours de cette journée : "Pourquoi prendre en compte le développement durable dans la commande publique ?"; "S'engager dans une commande publique qui prenne en compte le développement durable" (motion, résolution, groupe de travail interne, échange en réseau, formation, guide pédagogique,..); "Réaliser une commande publique éco-responsable" (déterminer les critères pertinents à prendre en compte, étudier l'offre existante, formaliser les clauses, analyser les résultats...).
Des collectivités locales viendront faire part de leurs expériences à ce sujet (Lille, communauté urbaine de Dunkerque, conseil général des Hauts-de-Seine, agglomération grenobloise...).


Contact : Christine Carmona, 04 78 37 29 14 ou christine.carmona@raee.org

Communauté urbaine de Dunkerque Grand Littoral

Nombre d'habitants :

200000

Nombre de communes :

17
Hôtel communautaire Pertuis de la Marine, BP 85530
59386 Dunkerque Cedex 1

Jacques Lemaitte

Directeur de la commande publique

Audrey Leclercq

Responsable de la mission Développement durable

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