Traitement des eaux usées : à Honfleur, les plantes gagnent du terrain !

Fini les odeurs, l'épandage et les rejets dépassant les normes ! Désormais, la station d'épuration d'Honfleur se soigne par les plantes. Sur 4 hectares, une armée originale et efficace de divers végétaux vient prêter main-forte aux boues activées pour améliorer la dépollution et embellir le site.

Entre le rigide et le flexible, le classique et l'innovant, le brun et le vert, la station d'épuration d'Honfleur a choisi... les deux. Pour remplacer l'ancienne station d'épuration (Step) défaillante et traiter les effluents de 26.000 équivalents habitants (EH), le Sivom (1) a combiné deux techniques. Un rassurant traitement par boues activées est complété par la phytorestauration ou dépollution par les plantes.
Roseaux, thypas, iris, joncs et autres végétaux s'allient aux dégrilleur, dégraisseur, bioréacteur et clarificateur pour combattre les nuisances sur tous les fronts. Le traitement de finition de l'eau est assuré par des filtres plantés de roseaux (FPR), des bassins à macrophytes (plantes aquatiques) et des taillis arbustifs (saules, aulnes...). Les boues issues du clarificateur sont minéralisées par des roseaux. Enfin, les odeurs émanant des prétraitements, confinés dans un bâtiment, sont dégradées par un substrat végétalisé.
"Le site est le plus grand aménagement actuel en phytorestauration visant à traiter sur un même lieu l'eau, les boues et les odeurs", précise Thierry Jacquet, maître d'oeuvre de la partie végétale de la Step. Cela est d'autant plus notable que malgré son succès aux Etats-Unis ou en Allemagne, la phytorestauration a tardé à apparaître en France. De plus, aujourd'hui, c'est surtout dans le traitement des effluents bruts des petites communes que le procédé se développe (voir ci-dessous : "La phytorestauration, pour quoi faire ?").

9 stations sur 10 de moins de 1.000 équivalents habitants

Selon le Cemagref (2), depuis 2003, plus de 100 stations s'équipent chaque année de FPR en traitement principal, soit environ un tiers du marché des moins de 2.000 EH. "A l'avenir, 9 stations sur 10 de moins de 1.000 EH se tourneront vers des FPR pour traiter leurs effluents", estime Hubert Viard, géomètre expert et maître d'oeuvre en assainissement.
Pour lui, cette technique présente de nombreux avantages : rusticité, faible coût d'entretien, gestion des boues simplifiées, odeurs contrôlées, résistance aux variations de charge et bonne intégration dans le paysage. Qui plus est, les coûts de fonctionnement sont bien inférieurs à ceux d'une station par boues activées pour un investissement à peu près identique.
Et, preuve de l'intérêt de la technique, tous les grands opérateurs du secteur de l'eau proposent aujourd'hui une offre intégrant des filtres plantés de roseaux. Au fil des années, le procédé gagne en efficacité et devient plus économe en espace. La Saur propose même un procédé qui ne consommerait que 1 m2/EH.
Car le principal défaut des plantes, c'est que pour livrer bataille, elles ont besoin de tranchées spacieuses. Pour une Step qui ne fonctionne qu'avec des FPR et/ou des bassins à macrophytes, la norme se situe autour de 2 m2/EH. De plus, pour des milieux sensibles, le besoin de terrain peut vite augmenter. Difficile de gérer de telles surfaces en ville ! Alors, faute de place, les FPR en traitement unique semblent condamnés aux petites unités rurales.

Une double fonction : épuration et création d'espaces verts

Cependant, en milieu urbain, d'autres possibilités de phytorestauration pourraient s'imposer, comme celles mises en lumière par la Step de Honfleur. Pour 0,5 m2/EH, le traitement des boues de Step classique par des lits de roseaux séduit désormais des agglomérations importantes.
Thierry Jacquet est persuadé de l'intérêt d'utiliser la phytorestauration au coeur des villes : "Il faut raisonner différemment, et voir que les plantes offrent une double fonction : épuration, et création d'espaces verts, de zones humides." Il souligne également l'importance des jardins filtrants pour les traitements de finition, qui "traitent efficacement les produits chimiques comme les perturbateurs endocriniens dont il faudra bien un jour tenir compte !"
Face à cet enthousiasme, Larbi Sahnoune, responsable de la gestion des milieux naturels et du Satese (3) au conseil général de Côte-d'Or reste dubitatif : "Nous n'avons pas encore assez de recul pour trancher. Le lagunage avait lui aussi provoqué beaucoup d'espoirs, mais il s'est avéré décevant. Il faut rester prudent et limiter les FPR sans traitement préalable aux unités de moins de 500 EH. Quant au traitement des boues, on verra dans 10 ans sa réelle efficacité. L'entretien du site sera-t-il si facile, y aura-t-il accumulation de métaux lourds ? Beaucoup de questions restent en suspens. Cependant, la solution adoptée par Honfleur me semble un bon compromis qui fournira des données de référence à une échelle intéressante."
(1) Syndicat intercommunal à vocation multiple.
(2) Centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et forêts.
(3) Service d'assistance technique aux exploitants de station d'épuration.


Emmanuelle Lesquel / Victoires-Editions pour Localtis

 

Le Sivom de Honfleur, "satisfait sur tous les points"


 

Alain Renouf est le directeur technique du syndicat intercommunal à vocation multiple (Sivom) de Honfleur, qui détient la compétence assainissement collectif de douze communes du canton de Honfleur. Il a donc suivi de près la réalisation de la Step et raconte la genèse du projet et ses avantages.

Pourquoi avoir choisi la phytorestauration ?

La collectivité souhaitait un projet à haute qualité environnementale. La Step est située en entrée d'agglomération, qui plus est sur le site d'une ancienne décharge. Il était donc primordial pour l'image de la ville d'avoir un projet s'intégrant parfaitement dans le paysage. Il ne s'agissait plus de cacher quelque chose, mais de transformer une contrainte en atout. De plus, un traitement poussé des effluents s'imposait pour participer à la reconquête de la qualité de l'estuaire de la Seine. Le procédé combinant un traitement par boues activées (prétraitement, aération, décantation) et des jardins filtrants répondait le mieux à l'appel d'offres. Paysage agréable, amélioration du rendement épuratoire et coût d'exploitation inférieur grâce au traitement des boues par les roseaux ont fait la différence. Il faut également signaler que nous disposions sur le site de la place suffisante pour mener à bien le projet.

Concrètement, quels sont les aménagements réalisés par rapport à une Step classique ?

Trois jardins filtrants différents sont utilisés pour traiter l'eau, les odeurs et les boues. Pour le traitement de finition, l'eau issue du traitement boues activées emprunte un véritable labyrinthe de 8 ou 9 bassins disposés en spirale et plantés de végétaux différents, d'abord des macrophytes, puis des arbustes. Les plantes, sans concentrer la pollution, favorisent l'action des bactéries et épurent entre 3.000 et 5.000 m3 d'eau par jour, avec des rejets bien inférieurs aux normes. Au niveau du bâtiment où ont lieu les prétraitements, un filtre de tourbe planté a été installé pour éliminer les odeurs provenant des effluents bruts. Les molécules odorantes émises sont piégées par le filtre de tourbe, où l'action combinée des micro-organismes et des racines les dégrade. Ce filtre permet de traiter en permanence 5.000 m3 d'air vicié. Enfin, les 50.000 m3 de boues issues du clarificateur chaque année sont envoyées dans trois casiers plantés de roseaux d'une surface totale de 8.000 m2.

Etes-vous satisfait du choix opéré ?

Nous sommes satisfaits sur tous les points. Au niveau de l'eau, les bassins filtrants permettent d'abattre la bactériologie de plusieurs log et d'éliminer une grande partie de la pollution carbonée, de l'azote et du phosphore encore présents. Nous obtenons ainsi une eau de qualité piscicole. Pour les odeurs, nous n'avons eu aucune plainte, le système fonctionne de façon satisfaisante. Et la collectivité est très contente d'avoir supprimé le casse-tête du stockage du transport et de l'épandage des boues. Le terreau, produit par minéralisation, devrait représenter moins de 2% du volume initial de boues et sera exploitable dans une dizaine d'années. Il pourra alors servir d'amendement dans les espaces verts. Grâce à ce procédé, la Step a gonflé sa capacité de traitement de 15.000 EH, sans augmentation notoire de consommation d'énergie. Enfin, la composition paysagère mêlant eau et verdure est vraiment remarquable. Le coût total de l'ouvrage se monte à 8,3 millions d'euros.
 
 

Le fonctionnement des filtres plantés de roseaux (FPR)


"A l'origine du procédé, des roseaux ont été plantés sur des filtres à sable pour éviter le colmatage. Par la suite, les chercheurs ont remarqué que cela fonctionnait bien et qu'en plus, les roseaux favorisaient la vie microbienne à leurs pieds et, donc, favorisaient la dépollution des eaux", raconte Hubert Viard, spécialiste en assainissement.
Les FPR sont composés essentiellement d'une couche filtrante sur laquelle poussent des plantes aquatiques, le plus souvent des roseaux. Les racines (ou rhizomes) des plantes sont l'élément essentiel du procédé. Leurs mouvements apportent l'oxygène nécessaire au bon fonctionnement des bactéries aérobies et empêchent les odeurs tout en évitant le colmatage. Les processus épurateurs qui se déploient au niveau de la rhizosphère sont multiples, aussi bien physiques que biologiques ou chimiques. En hiver, les rhizomes continuent leur activité et assurent un fonctionnement permanent de l'épuration. Alain Lienard, de l'unité de recherche qualité des eaux du Cémagref, estime que plus de 350 unités de traitements fonctionnent déjà en France grâce à des FPR sans traitement préalable.
De nombreux travaux ont permis d'optimiser le fonctionnement de ces filtres. Les rendements épuratoires des paramètres classiques(DCO, DBO, MES, bactériologie...) sont en général excellents mais restent parfois un peu faibles pour l'azote et le phosphore. Et derrière ce procédé d'une apparente simplicité se cache une réelle technicité. Pour monter un projet fonctionnel, il faut tenir compte de toutes les caractéristiques du lieu (climat, topographie, variation de charge, granulométrie, nature des eaux usées, niveau de rejet désiré...). La solution la plus efficace implique souvent une combinaison de filtres verticaux et horizontaux pour venir à bout de l'azote et des nitrates. Le choix des espèces implantées et un entretien régulier peuvent également s'avérer décisifs. Par ailleurs, le phosphore reste souvent le point faible des FPR.
 


 

La phytorestauration, pour quoi faire ?


 

Eaux usées, boues, odeurs, eaux pluviales, baignades, sols pollués... les utilisations des plantes pour dépolluer sont variées. Cependant, toutes ces utilisations n'ont pas le même principe.

Pour les sols pollués, le but est souvent de concentrer les polluants à l'intérieur des végétaux, par exemple des métaux lourds, pour pouvoir ensuite les éliminer. On parle alors de phytoremédiation. La phytorestauration vise quant à elle à "décomposer la pollution grâce à l'action combinée des plantes et des micro-organismes. Le cas échéant, les polluants rémanents seront fixés sur le filtre mais jamais dans les plantes", précise Thierry Jacquet. Aujourd'hui, la phytorestauration est surtout utilisée pour traiter les effluents bruts des communes rurales. Avec l'entrée en vigueur des normes européennes en 2005, ce succès ne devrait pas se démentir. Le traitement des boues par rhizocompostage ou déshydratation de boues par lits plantés de roseaux a quant à lui déjà séduit environ 200 communes et devrait aussi se développer.
Par ailleurs, de nombreuses autres initiatives originales fleurissent en France. La commune d'Escamps, dans l'Yonne, a opté pour un traitement de l'eau "zéro rejet". Les eaux usées des 300 EH de ce village sont épurées au milieu d'un parc paysagé. Au final, l'eau résiduelle est traitée par infiltration et évapotranspiration. A Migennes (89), la phytoépuration s'attaque aux eaux pluviales, tandis qu'à Combloux (74), un "plan d'eau biotope", mi-piscine mi-étang, est épuré de façon naturelle grâce à des plantes macrophytes. Les industriels innovent aussi et, à Miramar (13), ce sont des bambous à croissance rapide qui traitent les effluents de caves vinicoles. A Orchies (62), 50.000 m3 d'effluents d'une usine agro-alimentaire sont épurés par un système de taillis courte rotation. Enfin, la phytorestauration s'attaque désormais à l'air, dans les Step et, pourquoi pas, sur des parkings souterrains, pour dégrader les polluants émis (particules, Nox, NO2, SO2...).


 

Phytorestore

16-18 rue Jules Valles
75011 Paris

Thierry Jacquet

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