Fonction publique : licenciement pour insuffisance, un faux débat ?

Alors que le ministre de la Fonction publique, Stanislas Guerini lançait mardi les concertations avec syndicats et employeurs publics autour de son projet de réforme de la fonction publique, attendu à l'automne, ses quelques mots sur sa volonté de "lever le tabou du licenciement dans la fonction publique" ont visiblement jeté le trouble.

Le statut des fonctionnaires "n'a jamais expliqué qu'on ne pouvait pas licencier quelqu'un qui ne fait pas bien son travail", a affirmé ce mercredi 10 avril Stanislas Guerini sur France Inter, interrogé sur ce point après ses propos rapportés la veille par Le Parisien. Si un licenciement pour "insuffisance professionnelle" existe bien pour les fonctionnaires, le dispositif "est très mal défini et surtout extrêmement peu appliqué", a-t-il jugé. Selon lui, à peine 13 agents ont été licenciés pour ce motif en 2022 dans la fonction publique d'Etat, qui en compte au total 2,5 millions. Quant aux révocations pour faute, seuls 222 fonctionnaires d'Etat auraient subi cette forme alternative de sanction, a précisé le ministre.

Les syndicats de fonctionnaires sont vent debout. "Parler du licenciement plutôt que des salaires alors que toutes les règles existent" pour se séparer des fonctionnaires, "c'est détourner l'attention", s'indigne sur le réseau X le secrétaire général de l'Unsa-Fonction publique, Luc Farré. Cinq ans après la loi de "transformation" de la fonction publique, qui avait élargi le recours aux contractuels, "le ministre Stanislas Guerini est déterminé à ouvrir un deuxième acte du saccage du statut général des fonctionnaires", tempête la FSU. La réplique de la CGT est elle intervenue sous la forme d'un préavis de grève couvrant notamment les Jeux olympiques et paralympiques de l'été.

A l'Assemblée nationale, le Premier ministre Gabriel Attal a souhaité calmer le jeu : le gouvernement laissera "tout le temps à la concertation", de façon à "tout mettre sur la table dans un esprit constructif".

Les licenciements dans la fonction publique sont-ils aussi "tabou" que l'affirme Stanislas Guerini ? Avertissement, blâme, exclusion temporaire, révocation : l'Etat, les collectivités et les hôpitaux disposent de nombreux outils pour sanctionner ou se séparer de leurs agents, même si les employeurs publics ne s'emparent que peu massivement de cette possibilité.

La précédente réforme de la fonction publique, adoptée en 2019, a en outre introduit le dispositif expérimental de rupture conventionnelle entre l'agent public et son employeur.

Selon une récente évaluation de la Cour des comptes, "l'attrait pour ce dispositif a été rapide: sur la période 2020-2022, 5.300 agents de la fonction publique d'État ont obtenu une rupture conventionnelle et perçu une ISRC (indemnité de rupture) d'un montant moyen de 20.300 euros pour un coût total de 107,6 millions d'euros". S'agissant de la fonction publique territoriale, ce même rapport de la Cour des comptes cite une enquête de 2022 de la Fédération nationale des centres de gestion de la fonction publique territoriale (FNCDG) estimant le montant annuel global des indemnités spécifiques de rupture conventionnelle par les collectivités locales à environ 80 millions d'euros.

Enfin, les fonctionnaires peuvent être licenciés pour d'autres motifs que l'insuffisance professionnelle : abandon de poste, refus de poste, inaptitude physique définitive...

Le gouvernement semble en fait surtout vouloir améliorer la gradation des sanctions.  Dans le document présenté lors de la réunion de mardi, il regrette en effet que le licenciement soit actuellement la "seule réponse aux situations avérées d'insuffisance professionnelle". D'où la nécessité, donc, d'une "réponse graduée", de façon à ce que les "difficultés" soient "prises en charge dès les premières manifestations".

Au-delà des licenciements, le gouvernement s'interroge également sur les moyens de "consolider les leviers permettant les départs conventionnels". "Faut-il pérenniser" l'expérimentation au-delà de 2025 ?, s'interroge-t-il.

Le think tank le Sens du service public, notamment représenté par Johan Theuret, ancien président de l'Association des DRH des grandes collectivités, a fait part de son point de vue sur toutes ces questions ce 10 avril, tout d'abord en soulignant que si le statut permet bien le licenciement de fonctionnaires (et par conséquent que ce statut "ne saurait être remis en question"), c'est sa mise en oeuvre qui est "complexe". Il rappelle aussi que "plusieurs associations professionnelles de la fonction publique et d'élus avaient, lors de la loi Dussopt du 6 août 2019, porté la proposition de simplifier les procédures de licenciement" en supprimant la saisine du conseil de discipline dans le cas de licenciements pour insuffisance professionnelle. L'idée étant que "le conseil de discipline ne devrait rester compétent que pour les licenciements pour faute". En cas d'insuffisance professionnelle, "une procédure simplifiée, respectant les principes du contradictoire, les droits de l'agent et susceptible de recours devant le juge administratif", aurait été à privilégier.

Le Sens du service public regrette aujourd'hui en tout cas que le gouvernement entende "initier une grande réforme de la fonction publique en débutant les discussions avec les partenaires sociaux et dans les médias par le licenciement des fonctionnaires", y voyant "au pire une provocation, au mieux une minoration des véritables défis de la fonction publique" - attractivité, rémunération... sans oublier "la continuité et la qualité des services publics pour toutes et tous". 

 

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