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Fonction publique : une nouvelle étape pour la négociation et les accords collectifs ?

Une ordonnance publiée ce 18 février pourrait donner un nouveau souffle à la pratique de la négociation entre syndicats et employeurs dans la fonction publique. Leur boîte à outils s'en trouve en effet étoffé avec, notamment, un champ de discussion élargi et la possibilité d'introduire, dans certains accords, des clauses ayant une portée juridique. 

Les employeurs et les syndicats de la fonction publique disposent désormais d'un cadre juridique étoffé, qui devrait leur permettre de mener plus facilement des négociations et conclure des accords collectifs pour l'amélioration des conditions d'emploi des agents.

À la suite des "accords de Bercy" de juin 2008 sur le renforcement du dialogue social dans la fonction publique, la loi du 5 juillet 2010 avait prévu la possibilité pour les syndicats représentatifs de la fonction publique et les employeurs publics de négocier des accords devenant valides à la condition d'être majoritaires. Mais les accords négociés sur la base de ces dispositions, dépourvus de portée juridique, ont été relativement peu nombreux, tant à l'échelle nationale qu'au niveau des administrations locales. La mission conduite notamment par Christian Vigouroux, président de section honoraire au Conseil d'État, dressait ce constat dans un rapport remis le 25 mai 2020 au secrétaire d'État en charge de la fonction publique (voir notre article du 26 mai 2020). Ses travaux avaient pour objectif de préparer l'élaboration de l'ordonnance prévue à l'article 14 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, laquelle doit "favoriser, aux niveaux national et local, la conclusion d'accords négociés dans la fonction publique". Un texte qui, tenant compte à la fois des propositions du rapport de la mission et des apports de la concertation avec les représentants des syndicats et les employeurs, est paru ce 18 février - tout comme l'ordonnance relative à la protection sociale complémentaire dans la fonction publique (voir notre article du 17 février).

Négociations possibles dans presque tous les domaines

Dans ses grandes lignes, cette ordonnance sur la négociation dans la fonction publique réaffirme la possibilité pour les syndicats représentatifs et les employeurs publics de conclure des accords. Mais le nombre des domaines énumérés, sur lesquels ceux-ci peuvent porter, passe de 7 à 14. Parmi les nouveaux thèmes ouverts à la négociation, figurent : l'accompagnement social des mesures de réorganisation des services, la mise en œuvre des actions en faveur de la lutte contre le changement climatique, la promotion de l'égalité des chances, les modalités de mise en œuvre de politiques indemnitaires, l'apprentissage, l'évolution des métiers et la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.

Petite révolution, les accords conclus dans ces domaines pourront comporter "des dispositions édictant des mesures réglementaires, ainsi que des clauses par lesquelles l'autorité administrative s'engage à entreprendre des actions déterminées n'impliquant pas l'édiction de mesures réglementaires". Toutefois, cette nouvelle faculté sera encadrée : les mesures réglementaires en question ne pourront ni modifier des règles fixées par un décret en Conseil d'État, ni y déroger.

Les syndicats représentatifs pourront aussi ouvrir des négociations "portant sur tout autre domaine". Mais les accords qu'ils concluront dans un tel cas ne pourront comporter de clauses ayant une portée juridique. Par ailleurs, une autre limite est fixée : les questions de l'évolution des rémunérations et du pouvoir d'achat des agents publics sont des domaines de négociation relevant strictement de la négociation au niveau national entre les syndicats représentatifs et les employeurs, ainsi que le gouvernement. C'était le cas depuis la loi de 2010.

Avant le début d'éventuelles négociations, des "accords-cadres " pourront également être conclus - soit pour les trois versants (État, collectivités, hôpitaux), soit pour un seul, soit encore pour un département ministériel précis. De même, des "accords de méthode" pourront être établis.

Égalité femmes-hommes : négociation obligatoire

Enfin, des négociations relatives à l'égalité entre les femmes et les hommes devront être menées à l'échelle locale, et ce de manière obligatoire. Mais elles ne concerneront que les collectivités territoriales et intercommunalités de plus de 20.000 habitants. "Six mois au plus tard" avant l'expiration du plan d'action sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes que ces structures ont l'obligation d'élaborer et mettre en œuvre, l'autorité territoriale devra proposer aux organisations syndicales représentatives l'ouverture d'une négociation pour l'élaboration du plan d'action suivant. Plusieurs syndicats, dont la CGT, demandaient que des négociations soient également obligatoires sur les salaires (annuellement) et en cas de restructuration. Mais ils n'ont pas été entendus.

Les collectivités territoriales et les établissements publics qui ne disposent pas d'un comité social territorial (instance qui, à partir de la fin 2022, se substituera au comité technique) pourront autoriser le centre de gestion à négocier et conclure un accord en leur nom. Dans ce cas, l'application de l'accord sera "subordonnée à son approbation par l'autorité territoriale ou l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou de l'établissement".

Comme c'est déjà le cas aujourd'hui, les accords locaux ne pourront que préciser ou améliorer l’économie générale des accords signés à un niveau supérieur ("principe de faveur"). Par ailleurs, la règle majoritaire demeure : seule la signature d'une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au total au moins 50% des suffrages exprimés lors des dernières élections professionnelles organisées au niveau auquel l'accord est négocié confère sa validité à un accord.

Faculté de dénonciation des accords

Un décret qui devrait être présenté d'ici fin juin au conseil commun de la fonction publique déterminera les modalités d'application de l'ordonnance. Il devra notamment préciser les modalités selon lesquelles les signataires d'un accord peuvent le dénoncer partiellement ou totalement. Un principe posé par l'ordonnance qui suscite de l'inquiétude chez certains représentants syndicaux. Ceux-ci redoutent qu'à l'avenir, des équipes nouvellement élues dans les collectivités annulent les accords passés par la précédente majorité. D'où la nécessité, selon eux, de fixer des garde-fous.

Les syndicats soulignent aussi le besoin de renforcer les moyens (formation et autorisation d'absence, etc.) dont ils bénéficient pour mener des négociations. Selon plusieurs sources syndicales, la ministre de la Transformation et de la Fonction publiques aurait accepté des discussions prochainement sur ce thème. Mais ses services ont aussi, en début d'année, indiqué aux élus locaux siégeant au Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), qu'"il n'est pas envisagé d'allouer de nouveaux droits et moyens syndicaux". Avec cette précision, le ministère a logiquement décroché un avis favorable des élus locaux, relève Pascal Kessler, président de la FA-FP. Mais il a, du même coup, suscité une déception chez les syndicats.

Malgré les réglages qui seront apportés ultérieurement au dispositif, l'ordonnance est d'ores et déjà applicable. Les employeurs et les syndicats peuvent ainsi utiliser les outils qu'elle met en place afin de conclure des accords en matière de protection sociale complémentaire.

Références : ordonnance n° 2021-174 du 17 février 2021 relative à la négociation et aux accords collectifs dans la fonction publique et rapport de présentation au Président de la République.
 

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