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Fondations territoriales : les voies qui s'offrent aux collectivités

Qu’est-ce qu’une fondation territoriale ? Sous quelles formes cette approche du mécénat se développe-t-elle en France ? Quelle est la place des collectivités territoriales dans ces projets et comment s’organise la complémentarité entre les sphères publique et privée ? Repères.

Dans son Observatoire de la philanthropie publié en mai 2019, la Fondation de France estime que plus de la moitié des 2.500 fondations recensées en 2018 "agissent au niveau local". Avoir une action locale, cela ne suffit toutefois pas à définir une fondation territoriale. Si elle n’est pas encadrée juridiquement, la notion de "fondation territoriale" s’inspire du modèle anglo-saxon des "community foundations" et répond à un certain nombre de critères. "La fondation territoriale n’agit pas en faveur d’une cause mais sur tous les champs de l’intérêt général au sein d’un territoire, elle se place ainsi comme catalyseur pour rassembler les différents acteurs d’un territoire (entreprises, associations, collectivités locales, donateurs, citoyens, etc.) autour d’un intérêt commun : le développement de leur territoire", selon le Centre français des fonds et fondations (CFF) qui promeut cette approche. Dans le cadre d’un rapport du European Community Foundations Initiative publié en novembre 2018, le CFF recensait une soixantaine de fondations territoriales en France, soit un peu plus qu’au Royaume-Uni (une cinquantaine) et beaucoup moins qu’en Allemagne (plus de 400).

Pour Frédéric Bérard, responsable des fondations abritées à la Fondation de France, "la fondation territoriale, c’est une philanthropie qui se met au service d’un territoire". Elle suppose selon lui un ancrage local sur un territoire bien identifié, la définition de besoins sur ce territoire, un engagement des citoyens, une approche multi-causes pour la construction de solutions, ainsi qu’un financement local et pluriel et une gouvernance collégiale. Selon ces critères, une dizaine de fondations abritées à la Fondation de France seraient des fondations territoriales, alors que 50 à 60 des 850 fondations abritées développeraient une action locale – mais bien souvent autour d’une thématique ciblée.

Mutualiser les dons publics et privés d’un territoire lors de catastrophes naturelles

Si le mécénat territorial suscite l’attrait de collectivités territoriales de plus en plus contraintes financièrement (voir notre article du 22 mai 2019), les fondations à vocation territoriale sont donc encore peu nombreuses : de l’ordre de 70, soit moins de 2% des quelque 4.200 fonds et fondations actifs recensés en 2018.

Ces démarches revêtent des formes assez diverses. Créée à partir de la fin des années 1980 sous l’impulsion de Pierre Mauroy et devenue en 1997 fondation reconnue d’utilité publique (Frup), la fondation de Lille est considérée comme la première fondation territoriale en France. Dotée d’un budget d’intervention de 300.000 à 400.000 euros par an, elle finance des actions sociales de proximité – bourses, soutien à des associations, fonds social d’urgence… - et des projets environnementaux et culturels sur le territoire lillois et à l’échelle de l’ancienne région Nord-Pas-de-Calais, mais également des actions humanitaires à l’étranger. Soutenue par les quatre niveaux de collectivités – ville et métropole de Lille, département du Nord, région -, la fondation permet dans certains contextes de mutualiser des fonds publics et des dons d’entreprises et de particuliers. "Lors de catastrophes humanitaires par exemple, une collectivité peut vouloir faire un geste mais ne sait pas à qui donner, ce n’est pas son métier ; donner à la fondation territoriale permet une traçabilité des fonds versés", explique à Localtis Delphine Vandevoorde, directrice de la Fondation de Lille. Autre intérêt d'une telle démarche : alimenter le sentiment d'appartenance à un territoire, voire la dimension de "marque" de ce territoire.  

Un certain engouement pour le fonds de dotation

La fondation de Lille travaille avec un nombre important de partenaires, abrite plusieurs fonds et fondations et est partie prenante, aux côtés des collectivités, de projets tels que l’organisme de foncier solidaire de la métropole. Aujourd’hui pourtant, elle est a priori la seule "Frup territoriale", du fait du "ticket d’entrée" de ce statut que représentent à la fois le montant de la dotation initiale (1,5 million d’euros) et son caractère non-consomptible - les taux d’intérêt étant faibles - et les exigences réglementaires.

Trois autres statuts semblent privilégiés : la fondation abritée, la fondation d’entreprises et le fonds de dotation. Du fait de la souplesse de cette formule créée en 2009, le fonds de dotation remporte ainsi un certain succès, avec des initiatives récentes – à Paris, Cannes, Rennes, Metz… - ou un peu plus anciennes – notamment à Nantes et Bordeaux. Créé en 2013 à l’initiative de Véronique Fayet, alors maire-adjointe en charge du social, le fonds de dotation Bordeaux Mécènes Solidaires avait vocation à constituer "un objet extérieur aux collectivités et à mettre tout le monde autour de la table, pouvoirs publics, associations, entreprises", précise Stéphanie Loan, déléguée générale de la structure.

Dirigée par un conseil d’administration composé pour moitié des membres fondateurs – ville, centre communal d’action sociale et Crédit municipal de Bordeaux – et pour moitié d’entreprises et de citoyens, le fonds est alimenté à 60-70% par du mécénat d’entreprises, à 20-30% par une activité d’événementiel et, à la marge, par des dons de particuliers et une activité de formation. Portant sur des thématiques diverses – logement, numérique, … - avec l’enjeu d’inclusion comme dénominateur commun, ce fonds consomptible a permis de dégager 270.000 euros de crédits d'intervention en 2018. Comme à Lille, le fonds de dotation de Bordeaux s’attache à travailler en complémentarité avec les acteurs du territoire, par des diagnostics territoriaux et des comités de projets auxquels participent le département, la région, la CAF et les missions locales.

Fondations abritées par la Fondation de France : la collectivité dans la facilitation, pas dans la décision

S’il apporte une souplesse en termes de gouvernance, un fonds de dotation ne peut recevoir ni subvention, ni aide matérielle de la part d’une collectivité. Une fondation d’entreprises, elle, ne peut recevoir de dons émanant du public. Quant à la fondation abritée, elle peut recevoir toute forme de dons et d’aides publiques, mais son projet doit être cohérent avec celui de la fondation abritante. Ainsi, pour le CFF, chaque formule a ses avantages et ses inconvénients, le choix dépendant du projet des fondateurs.

Par définition, la fondation d’entreprises ne réunit que des entreprises. D’après l’Observatoire de la philanthropie de la Fondation de France, 21% des 415 fondations d’entreprises dénombrées en 2018 se considèrent comme des fondations territoriales. Parmi elles, citons la fondation Mécène & Loire centrée sur le Maine-et-Loire ou encore la fondation Emergences en Rhône-Alpes.

"Le mécanisme des fondations abritées se répand car il permet au projet philanthropique d’être opérationnel très rapidement", souligne Frédéric Bérard. Avec son programme "dynamiques territoriales", la Fondation de France s’attache à susciter une mobilisation citoyenne dans des territoires fragilisés et faiblement pourvus en associations. De l’une de ces dynamiques est née la fondation territoriale des Lumières sur le bassin minier du Nord et du Pas-de-Calais, abritée par la Fondation de France. Dans ce type de projets, "les collectivités locales sont naturellement associées et peuvent avoir un rôle de facilitateur par exemple, mais ne sont pas administrateurs, pas décisionnaires", précise Frédéric Bérard. Il est selon lui "préférable que les fonds publics aillent directement au projet, c’est beaucoup mieux pour la transparence". Le risque de "gestion de fait de deniers publics" est notamment pointé.

Gouvernance : assurer la transparence et l’indépendance de la fondation

La transparence mais aussi l’indépendance sont ainsi des enjeux pour les fonds et fondations qui mixent public et privé dans les ressources et/ou la gouvernance. A la fondation de Lille, les élus ne sont pas au conseil d’administration mais le maire de Lille est "invité permanent" doté d’une "voix consultative". "Le président doit être issu de la société civile, sinon cela peut poser des problèmes de conflits d’intérêt", observe Delphine Vandevoorde. Dans le cas de Bordeaux Mécènes Solidaires, c’est le caractère paritaire du conseil d’administration qui garantirait l’autonomie de décision du fonds, sa pérennité également au-delà des aléas politiques, selon Stéphanie Loan.

Pour cette dernière, si les projets de fondations territoriales ne sont pas encore très nombreux malgré les besoins, c’est parce qu’"il y a encore beaucoup de freins culturels de la part de collectivités qui ont peur de perdre leur indépendance". "Le mécénat privé ne pourra jamais se substituer aux financements publics, ne serait-ce qu’en termes de volume, assure Frédéric Bérard, mais c’est une ressource complémentaire qui peut favoriser l’innovation, avoir un effet de levier et encourager l’engagement bénévole." Autant d’enjeux qui seront abordés le 10 septembre prochain à Paris, lors de la cinquième conférence "mécénat territorial et collectivités" organisée par l’Association française des fundraisers et la ville de Paris.

 

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