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Culture - Fouilles de la Corderie à Marseille : un chantier à fronts renversés

Lorsqu'un chantier d'archéologie préventive vient interrompre une importante opération d'aménagement urbain, personne ne s'étonne de voir les collectivités plaider pour une reprise rapide des travaux - un vieux contentieux avec l'Inrap - et le ministère de la Culture défendre farouchement, au nom du patrimoine, l'allongement du chantier de fouilles, voire un abandon pur et simple du projet d'aménagement et le classement du site. D'où l'aspect à fronts renversés du débat autour du chantier de fouilles de la Corderie à Marseille.

Après Massalia, Phocée...

L'ouverture de travaux de construction d'une résidence haut de gamme de huit étages, 109 logements et trois niveaux de parkings sur ce site situé à proximité immédiate du Vieux-Port et sur les contreforts de Notre-Dame-de-la-Garde a en effet mis à jour une ancienne carrière grecque, vieille de 2.600 ans et contemporaine de la cité antique fondée par les Phocéens. Une situation qui n'est pas sans rappeler la découverte, en 1967, du port romain de Massalia, à l'occasion d'une grande opération d'aménagement dans le quartier de la Bourse.
La mise à jour de cette carrière grecque a aussitôt suscité une mobilisation des habitants du quartier, pas forcément mécontents de stopper une opération immobilière à leur porte. Du côté de l'Etat, et après des fouilles approfondies de l'Inrap, le ministère de la Culture a annoncé, en juillet, qu'il entendait protéger - sous la forme d'un classement aux monuments historiques - 635 m2 sur les 4.200 m2 du site, et instaurer une servitude de passage le long du rempart pour permettre au public d'accéder à l'ancienne carrière. Mais cette décision n'a pas suffi aux défenseurs du site, qui exigent un abandon de l'ensemble de l'opération d'aménagement.

La carrière insoumise

Les politiques se sont alors saisi à leur tour de l'affaire. Lors de l'université d'été de la France insoumise, le 27 août dans la cité phocéenne, Jean-Luc Mélenchon - désormais Marseillais - a rejoint une manifestation de 200 défenseurs du site, donnant ainsi un large écho à l'affaire. L'opposition municipale s'est également déclarée favorable à un abandon de l'opération d'aménagement.
A la différence de son lointain prédécesseur Gaston Defferre - expliquant lors de la découverte du port de Massalia en 1967 que "ce n'est pas parce qu'on a trouvé des pierres qu'il faut arrêter un chantier" -, Jean-Claude Gaudin s'est montré très prudent, même si le rachat du terrain au promoteur devrait coûter environ un million d'euros à la ville. Le maire de Marseille a d'abord plaidé pour la reprise des travaux après la fin du chantier d'archéologie préventive, en expliquant à l'opposition municipale qu'"il y a aussi l'avenir de cette ville et de son développement", tandis que son adjoint affirmait que la carrière est "constituée de pierres de très mauvaise qualité", dont on ne retrouve "aucune trace dans les édifices marseillais de l'époque".
Une position qui a évolué avec la montée de la mobilisation, Jean-Claude Gaudin indiquant avoir "conscience de l'importance de cette découverte" et finissant par laisser entendre que la ville ne serait pas hostile à un abandon du projet.

La ministre de la Culture maintient sa position, mais...

La réponse est finalement venue d'un communiqué de la ministre de la Culture en date du 4 septembre. Françoise Nyssen y explique qu'au vu des rapports de l'Inrap et du conservateur régional de l'archéologie, et après avis de la commission territoriale de la recherche archéologique et rapport du préfet des Bouches-du-Rhône sur une réunion tenue avec les opposants, elle maintient sa décision de classer seulement les 635 m2 annoncés en juillet.
En effet, en l'absence d'éléments nouveaux, "la loi ne permet pas à l'Etat d'étendre l'espace protégé à des surfaces qui ne le justifient pas". Mais Françoise Nyssen indique aussi que "tout autre aménagement ne pourrait ainsi relever que d'un accord entre l'opérateur immobilier et l'autorité lui ayant délivré le permis de construire", renvoyant ainsi la balle à la mairie de Marseille.
En attendant une suite éventuelle, Jean Claude Gaudin a réagi par un communiqué de deux lignes en date du 4 septembre, se contentant d'indiquer : "Je prends acte de la décision de la ministre de la Culture qui, tout à la fois, respecte l'histoire de notre ville et lui permet d'inscrire son développement dans la modernité."