Frédéric Chéreau : "Nous sommes ouverts à des solutions innovantes pour que chaque Français ait accès à un médecin"

Les maires attendent aujourd'hui des réponses sur deux impératifs en matière de santé :  l'accès aux soins et la permanence des soins. Pour Frédéric Chéreau, maire de Douai et coprésident de la commission santé de l'Association des maires de France (AMF), que nous avons interrogé dans le cadre d'une série d'interviews réalisées à l'approche du congrès des maires, cela implique un engagement collectif des médecins. Et des moyens pour rémunérer cet engagement. 

Localtis - En juin dernier, l'AMF présentait une série de propositions sur la santé. Depuis, certaines choses semblent se dessiner avec deux nouveaux ministres, un CNR dédié à la santé, un projet de loi de financement de la sécurité sociale qui entend apporter des éléments de réponse… Estimez-vous qu'il y a aujourd'hui une meilleure prise en compte de cet enjeu de l'accès aux soins ?

Frédéric Chéreau - Avec le président de l'AMF, j'ai eu l'occasion de rencontrer à la fois le ministre François Braun et la ministre déléguée Agnès Firmin Le Bodo. Nous partageons beaucoup de choses. Je pense qu'ils ont entendu ce qu'ont pu leur dire les associations d'élus, dont l'AMF. Notamment sur la prise compte de la santé au sens large – donc pas uniquement l'aspect strictement médical –, en intégrant des acteurs de santé tels que les élus locaux. On sent une vraie écoute. Reste à savoir quelles vont être les marges de manœuvre des ministres et de quelle manière tout cela va se mettre en œuvre… En sachant que la phase de pénurie de personnel médical, notamment de médecins, va durer et va même conjoncturellement s'aggraver pendant plusieurs années avant, peut-être, de se résoudre.

Va durer jusqu'à ce que la fin du numerus clausus ne produise ses effets…

C'est ça. Pour former un médecin il faut dix ans. Nous avions mal anticipé qu'avec le vieillissement de la population notamment, nos besoins de santé augmenteraient… Et nous avions encore moins anticipé le fait que les médecins aujourd'hui ne travaillent plus du tout comme il y a trente ans. Le médecin qui sacrifiait totalement sa vie de famille et rentrait chez lui à 22 heures après sa dernière visite à domicile, ça ne se fait plus.

Dans ce contexte, ce que nous avons dit aux ministres, c'est que nous étions tout à fait ouverts à de nouvelles approches de la médecine. Envisager notamment que les médecins partagent des choses avec les infirmiers, les pharmaciens… pourquoi pas. En tout cas, ce n'est pas du côté des élus qu'il y aura un blocage là-dessus.

On est là sur l'idée de "libérer du temps médical"…

Oui c'est ça, libérer de la ressource. Nous sommes plutôt d'accord là-dessus. Nous avons toutefois exprimé une crainte : il ne faudrait pas que l'on fasse porter aux élus locaux tout ce qui est du registre du soutien aux médecins. Cela doit rester du ressort du volontariat éventuel des élus. Il ne faut pas que l'État en fasse une condition en disant "On aidera ceux qui mettent beaucoup d'argent et tant pis pour les autres". Il doit y avoir une vraie vision d'aménagement du territoire portée par l'État sur une compétence nationale. On sait de surcroît que les territoires qui pourront mettre de l'argent sur la table sont les territoires déjà favorisés et qui peut-être, proportionnellement, connaissent moins de difficultés médicales.

Ce que nous demandons aujourd'hui – et ce sur quoi nous avons le sentiment d'être écoutés, du moins en paroles –, c'est un travail à la fois sur l'accès aux soins et sur la permanence des soins.

Quel est votre principal message sur l'accès aux soins ?

À nouveau : nous sommes ouverts à des solutions innovantes, qui sortent du schéma "J'ai mon médecin traitant qui est à 200 mètres de chez moi". Mais chaque Français doit avoir accès à un médecin quel que soit son âge, sa condition physique, l'endroit où il habite et son niveau de revenus. Une personne âgée, peu mobile, avec des difficultés de santé, qui habite au fin fond de la Haute-Marne… on se débrouille comme on veut, mais elle doit pouvoir voir un médecin. À la limite, si ce n'est pas toujours le même médecin, pourquoi pas, dès lors que le dossier médical est partagé, que l'on connaît son parcours de santé. Et s'il le faut, on transporte cette personne en VSL [véhicule sanitaire léger], pour aller au chef-lieu…

À ce titre, les ministres s'intéressent utilement à la situation des personnes sans médecin traitant, qui représentent environ 5 millions de personnes – le plus souvent des personnes modestes dans des zones relativement isolées. Parmi ces personnes, celles qui sont en affection longue durée (ALD) ou qui ont plus de 60 ou 65 ans doivent être prioritaires.

Lorsque je parle avec des médecins, je les sens très attentifs au fait que s'il y a une charge à assurer en termes d'accès aux soins pour tous, celle-ci ne doit pas porter sur un seul médecin isolé mais doit, au contraire, être partagée. Ainsi, sur mon territoire, lorsqu'il y a des gens sans médecin traitant, c'est la CPTS [communauté professionnelle territoriale de santé] qui prend et qui distribue, qui répartit la charge.

On semble en cela aller vers une forme d'obligation collective. C’est-à-dire pas nécessairement une obligation individuelle d'installation – sur laquelle nous, les maires, hésitons à nous prononcer…

Le deuxième sujet serait donc la permanence des soins…

Oui, c'est un sujet distinct. La permanence des soins c'est avoir, le soir et le weekend, des solutions en ville, distinctes de l'hôpital. Et là encore, les CPTS sont des outils intéressants pour faire de l'intermédiation. Les CPTS vont recevoir des demandes individuelles et vont, derrière, fabriquer du collectif. On peut ainsi trouver des solutions intéressantes comme les maisons médicales de garde, ou les SAS [services d'accès aux soins] distincts du 15. Ici encore, c'est aux médecins de s'organiser. Quitte à ce que ce soit avec l'appui des infirmiers ou des pharmaciens. Nous, élus locaux, estimons qu'il faut leur laisser une certaine marge de manœuvre, en fixant un objectif. Cette permanence des soins en ville, ça n'est pas nécessairement toute la nuit. Disons jusqu’à 22 heures, éventuellement minuit… Au-delà, c'est moins crucial : il y aura moins de flux et ce sera de vraies urgences.

Quel rôle pour le maire dans tout cela ?

Nous demandons à être associés localement à l'organisation du système de soins. Les maires ne sont pas des professionnels de santé, mais peuvent être des catalyseurs entre médecine de ville et médecine hospitalière, qui ont parfois du mal à se parler. Des facilitateurs, aussi, avec les acteurs sociaux, par exemple quand les médecins veulent aller à la rencontre des gens, faire de la responsabilité populationnelle, de l'information, de la prévention, du dépistage… Les maires peuvent alors mobiliser les associations de quartier, les centres sociaux… Nous sommes aussi des partenaires de la santé par l'intermédiaire de nos CCAS, sachant que certains disposent d'un service de soins infirmiers à domicile.

De façon plus large, nous pouvons agir sur les déterminants de santé : l'alimentation, le logement, la proximité des espaces verts, la possibilité de faire du sport, la sociabilité… Tout cela joue sur la santé physique et mentale et à ce titre-là, les maires ont beaucoup à dire. Reconnaître la légitimité des maires en matière de santé publique, reconnaître que nous avons un rôle à jouer dans l'organisation transversale de la santé sur un territoire, c'est une chose très importante pour nous.

Cette dimension-là n'est-elle pas unanimement reconnue ?

Elle est en tout cas à rappeler. On se souvient, au début de la crise sanitaire, du réflexe des ARS consistant à dire "Que les maires laissent faire ceux qui savent". La transversalité, faire travailler les gens ensemble, aller vers les citoyens, on connaît.

Sur votre territoire de Douai, comment décririez-vous l'évolution de la situation ?

Je dirais que la mise en place du CPTS a été une très bonne chose. On a aussi travaillé sur un dispositif d'hôpital hors-les-murs pour faciliter la liaison entre médecins de ville et médecins hospitaliers. On a travaillé sur la responsabilité populationnelle, l’idée étant de s'appuyer sur des bases de données pour suivre de façon assez systématique des populations à risque sur le diabète et l'insuffisance cardiaque. Cela mobilise à la fois les médecins de ville et l'hôpital. Voilà le type de choses intéressantes qu'on a pu faire ces dernières années.

Certains élus locaux, notamment en milieu rural, disent avoir "tout essayé"… ce qui a d'ailleurs pu conduire à aviver une forme de concurrence entre territoires…

C'est en cela qu'il faut redire qu'il s'agit d'une compétence nationale. Sinon effectivement, il y aura concurrence – ceux qui ont des moyens vont attirer des médecins et les autres n'auront plus que leurs yeux pour pleurer. Elle est d'ailleurs déjà là : certains médecins sont venus me voir en disant "Je veux bien quitter la zone franche pour venir en centre-ville mais vous payez tout, le loyer, les charges…".

Il se dit parfois que le salariat peut être un modèle à développer…

Je dirais qu'il faut le rendre possible. Mais si les grosses collectivités peuvent sans doute l'absorber dans leur masse salariale, il faut avoir une vision claire du reste à charge pour la ville. Et les retours d'élus ne sont pas toujours positifs. C'est un outil dans la panoplie, ce n'est pas nécessairement la panacée.

De la même façon, vous estimez que la téléconsultation peut être un outil si elle est bien accompagnée, mais n'est pas la panacée non plus…

En effet, on ne peut pas faire de la téléconsultation l'alpha et l'oméga. Et la médiation d'un infirmier ou d'un pharmacien est utile dans certains cas.

Quelles sont vos pistes de réflexion sur la question des moyens ?

Ce qui est certain, c'est que si l'on dit aux médecins qu'ils doivent prendre un engagement collectif sur l'accès aux soins et sur la permanence des soins, il faudra mettre les moyens nécessaires pour rémunérer ces tâches. On voit bien qu'aujourd'hui, les jeunes médecins qui sortent de l'université hésitent à aller vers des spécialités à permanence des soins. On voit aussi à quel point l'hôpital privé est capable d'attirer les médecins par les salaires. Il faut renforcer l'attrait des métiers en ville et à l'hôpital public. Le Ségur de la santé a permis certaines choses mais cela n'est pas encore suffisant.

À plus long terme, il faudra peut-être aussi songer à revoir la manière dont sont répartis les financements entre l'hôpital public et l'hôpital privé qui participe moins à l'accueil universel des malades. En parallèle, il y a peut-être une réflexion à avoir sur le financement de l'hôpital public, voire du système de santé dans son ensemble, pour récompenser les acteurs qui, sur un territoire, vont aller faire beaucoup de santé publique, de prévention… Aujourd'hui, le système fait que les hôpitaux sont contraints à une chasse à l'activité permanente. Il faudrait au contraire faire en sorte que tous les acteurs aient un intérêt à ce que les gens aient moins besoin de se soigner.

Vous avez parlé de santé physique… et mentale. Qu'en est-il de cette problématique-là ?

On évoque moins souvent ce champ de la santé mentale. C'est peut-être l'un des grands chantiers de demain. On est à un niveau très en-dessous de ce que l'on pourrait attendre d'un pays comme le nôtre. Avec de telles répercussions… On n'imagine pas à quel point, par exemple, l'échec scolaire et la délinquance sont en grande partie liés à des pathologies mentales non traitées, y compris des dépressions profondes.

Et avec une forte pénurie de psychiatres…

Oui, sur mon territoire comme ailleurs, c'est catastrophique. Avec des jeunes en grande souffrance que l'on ne sait pas où mettre. Les hôpitaux sont obligés de trier. Un gamin suicidaire, on va le renvoyer chez lui en espérant qu'il ne passe pas à l'acte. Certains, soit on les met en psychiatrie adulte, soit on les met en pédiatrie, faute de lieu adapté. On est au bord de l'explosion.

 

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