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Gestion de la ressource en eau : le gouvernement veut encourager les "projets de territoire"

Après avoir rendu public ce 25 septembre le rapport sur la gestion quantitative de la ressource en eau réalisé sous l'autorité du préfet Pierre-Etienne Bisch, François de Rugy et Stéphane Travert ont indiqué dans un communiqué commun vouloir encourager le recours à la méthode des "projets de territoire" pour la gestion de l'eau "à partir du 1er janvier 2019".

"Le recours à la méthode des 'projets de territoire' pour la gestion de l'eau sera encouragé à partir du 1er janvier 2019", ont indiqué François de Rugy et Stéphane Travert dans un communiqué commun ce 25 septembre. "Afin d'accompagner les territoires et d'améliorer leur résilience face aux effets du changement climatique, une instruction sera transmise aux préfets pour en préciser les principes, la méthode, et remobiliser les acteurs", ont ajouté les ministres de la Transition écologique et de l'Agriculture. Ces projets, imposés depuis 2015 pour pouvoir bénéficier des subventions des agences de l'eau, visent à promouvoir une gestion partagée et équilibrée de la ressource en eau sur un territoire donné, rappellent les ministères. La méthode vise également à "sortir d'une 'gestion de crise' par des arrêtés sécheresse annuels pour passer à une gestion structurelle équilibrée de la ressource sur les secteurs les plus en tension quantitative". Une soixantaine de projets sont aujourd'hui en cours.

Adaptation du financement des agences de l'eau

En appui à l'instruction à venir, les ministres demandent au Comité national de l'eau "d'élaborer, pour le 1er janvier 2019, des lignes directrices à l'intention des porteurs de projets de territoire", comprenant un guide méthodologique sur les méthodes d'évaluation économique et financière par l'Irstea et abordant le cas de la gestion collective de l'irrigation par des organismes uniques. Ils annoncent également qu'à partir du 1er janvier 2019, "le calcul des 'volumes prélevables' évoluera pour permettre à chaque bassin d'améliorer la compatibilité des prélèvements avec le bon état des milieux et l'adaptation au changement climatique des systèmes de production agricole". Les possibilités de financement des agences de l'eau seront adaptées pour refléter cette évolution du calcul. "Elles pourront ainsi prendre en compte un historique d'activité récent et fiable, adapté à chaque bassin et permettant des économies d'eau, ainsi que la nécessaire adaptation de l'activité agricole au changement climatique, précise le communiqué. Les projets de réserves multi-usages peuvent constituer l'un des leviers d'adaptation au changement climatique à condition de bien veiller à ce que leur remplissage en période de hautes eaux soit fait selon des règles de respect des milieux."

Bilan des retenues d'eau par bassin

Les ministres ont aussi indiqué qu'un bilan des retenues d'eau et de leur usage sera conduit par bassin "afin d'améliorer la mobilisation des stockages existants". L'Agence française pour la biodiversité (AFB) devra en outre mettre en place au 1er janvier prochain un "centre de ressources" afin de valoriser "les études, outils et retours d'expérience française et étrangère sur les économies d'eau et la gestion quantitative de la ressource en eau". Les services de l'État -DDT(M), Dreal et Draaf – devront aussi se mobiliser "pour accélérer les projets de territoire qui sont bien engagés et appuyer les maîtres d'ouvrage des projets qui ne satisfont pas aux critères identifiés par la cellule d'expertise, afin d'améliorer leur projet", ont indiqué les ministres. Il s'agira notamment d'accompagner les porteurs de projets pour les aider à réunir l'ensemble des financements publics disponibles (y compris les fonds européens, en lien avec les conseils régionaux) et de les inciter à diversifier leurs sources de financement.

Bilan des projets de territoire en cours

Ces décisions s'appuient sur les recommandations du rapport final de la "cellule d'expertise relative à la gestion quantitative de l'eau pour faire face aux épisodes de sécheresse", rendu public en même temps que les annonces des ministres. Placée sous l'autorité de Pierre-Etienne Bisch, préfet de région honoraire, cette équipe d'experts, composée de Louis Hubert (Conseil général de l'environnement et du développement durable - CGEDD), Claude Mailleau (Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux - CGAAER), Florence Denier-Pasquier (France Nature Environnement-FNE) et Luc Servant (Assemblée permanente des chambres d'agriculture - APCA) a travaillé d'octobre 2017 à juin 2018, en amont de la deuxième phase des assises de l'eau, qui sera lancée cet automne et portera sur le grand cycle de l'eau et l'adaptation des territoires aux conséquences du changement climatique.
La mission a étudié les vingt projets de territoires les plus avancés sur la soixantaine répertoriée par l'administration. Depuis leur mise en place suite à l'instruction gouvernementale du 4 juin 2015, "moins de cinq sont validés et mis en œuvre", estime-t-elle. Si l'exercice "s'est imposé partout", c'est parce qu'il est un préalable pour l'accès au financement par les agences de bassin. Il est ainsi, "dans certains cas", "davantage subi que choisi" et la méthode a pu montrer ses limites "lorsqu'il s'est agi pour certains acteurs de sortir de situations bloquées, souvent anciennes et donc cristallisées, faute de refonder l'ensemble de la démarche locale".
Malgré les difficultés émises par les acteurs locaux, les auteurs du rapport soutiennent ces projets : "Des nombreux entretiens et de l'analyse fine des projets, la mission a tiré la conviction que l'instruction propose un cadre judicieux et proportionné pour favoriser l'émergence, la construction partagée et la mise en œuvre de véritables projets de territoire centrés autour de la ressource en eau." "Trop de projets anciens n'ont pas tiré les leçons des difficultés passées et n'ont ainsi pas bénéficié de l'opportunité du nouveau contexte créé par l'instruction de 2015 pour sortir de l'ornière, faute pour les acteurs concernés d'élargir leur champ de préoccupations et leur tour de table", constate la mission. Selon elle, "les évolutions fréquentes des modalités réglementaires et/ou financières" ont également été "facteur de ralentissement de l'instruction des dossiers d'autorisation".
Le rapport insiste aussi sur "la faiblesse de l'approche économique" - "aucun projet n'a donné lieu, comme le demande l'instruction, à une analyse coût-bénéfice et encore moins à celle de la récupération des coûts", note-t-il qui "ne permet pas de démontrer la pertinence des équipements les plus importants figurant dans des projets de territoire (retenues, systèmes de transfert d'eau et d'irrigation)".

Une gouvernance qui devrait "représenter la diversité des usages"

Dans leurs recommandations, les experts estiment que la gouvernance doit "représenter la diversité des usages et des acteurs" car "les projets de territoire portés par une seule catégorie d'acteurs (monde agricole, par exemple) sont ceux qui ont le plus de difficultés à émerger". La co-construction du projet doit notamment "être formalisée par la signature d'un protocole sur la méthode et le calendrier" et intégrer une procédure de suivi, ajoutent-ils. Ils préconisent l'appui par des "prestataires extérieurs" qui soient "neutres", voire la nomination d'un "garant" dans "les situations les plus tendues". Ils jugent en outre que "le projet doit prendre en compte l'état des milieux" et que l'analyse coût-bénéfice doit être systématisée. Selon eux, la démarche "éviter, réduire, compenser" est "logiquement pertinente pour les projets de territoire ce qui présuppose un volet 'recherche de diminution des prélèvements totaux'". Le rapport évoque également des "questions méritant approfondissement", comme une réflexion sur l'évolution des pratiques agricoles durables, intégrant en particulier leur contribution au changement climatique, et sur la réutilisation des eaux usées épurées.

FNE publie le rapport complet

Après la publication du communiqué ministériel et du rapport, FNE a "salué" de son côté la parution d'un "rapport éclairant". La fédération a néanmoins "regretté qu'il ait été amputé de plusieurs annexes dans la version rendue publique" et a publié une version datée de juin dernier, faisant 247 pages et non plus 132. Celle-ci intègre une annexe intitulée "notes de contexte des préfectures de bassin", c'est-à-dire explique FNE, qu'elle recense "l'analyse et les propositions des services de l'État sur le terrain". "Or, c'est bien ce retour d'expériences qui interroge l'État central sur la cohérence et la lisibilité de son action au plan national", juge FNE. Il est nécessaire selon elle de "sortir par le haut des divisions liées à l'usage de l'eau". "Après le drame de Sivens, l'Etat avait déclaré que tout nouveau projet de barrage ou de retenue d'eau devait être co-construit avec l'ensemble des acteurs concernés, afin que les projets autorisés répondent réellement à l'intérêt général, rappelle-t-elle. L'autorisation donnée cet été par la préfecture du Lot-et-Garonne pour la construction d'un nouveau barrage à Caussade montre que sur le terrain, on est encore très loin du compte." FNE espère donc que les Assises de l'eau permettent de "stabiliser le cadre national d'une gestion quantitative de l'eau ambitieuse, au service du bon état écologique des eaux".

Un guide destiné aux élus sur la protection des captages d'eau potable
La Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) vient de publier un guide sur les filières agricoles et la protection des captages d'eau potable destiné aux élus et responsables de collectivités en charge des services publics d'eau. Alors que les aires d'alimentation de captages représentent aujourd'hui environ 3% de la surface agricole utile, la protection de la ressource en eau passe par l'amélioration des pratiques agricoles sur ces aires mais cela nécessite, au-delà de contrôles renforcés, une réelle prise en compte des enjeux des agriculteurs concernés, souligne le guide. Celui-ci présente le rôle des acteurs des filières agricoles (instituts techniques, industries agroalimentaires, coopératives…) auprès des agriculteurs pour accompagner et valoriser des types de production compatibles avec l'environnement, et tout particulièrement la ressource en eau. Il invite les collectivités à dialoguer avec eux et à impulser ainsi de bonnes pratiques. A.L.