Grenoble met en relief le risque "sols pollués" sur son territoire

Grenoble vient de terminer la cartographie de ses anciens sites industriels. L'outil permet d'identifier rapidement le risque de pollution des sols et de gérer au mieux les projets d'aménagement d'une ville, entourée de montagnes, et donc obligée de se reconstruire sur elle-même.

"Il faut avoir été confronté au problème pour mesurer tout l'intérêt de cet outil", s'exclame, en connaissance de cause, Isabelle Bertone-Bahier, responsable du service Environnement de la mairie de Grenoble. En 1999, une pollution "surprise" des sols sur le site d'un projet de rénovation urbaine - un centre social avec une partie crèche halte-garderie - entraîne une série de déboires qui marqueront durablement les esprits.
Le chantier, classé grand projet de ville (GPV), est retardé plus de 20 mois, entraînant des surcoûts importants (104.000 euros), une perte d'énergie (quatre arrêtés préfectoraux, un nombre incalculable de réunions...) et une incompréhension de la part de la population.
Pour éviter que ce déplaisant scénario ne se reproduise, la ville décide d'examiner à la loupe son passé industriel. Le 30 décembre 2002, elle signe une convention de partenariat avec le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), fort de son expérience acquise lors de la réalisation des inventaires historiques régionaux (IHR) et de la base de données Basias (voir ci-contre).
L'objectif est de réaliser un inventaire historique urbain (IHU), sorte de Basias plus précis, cartographiant les différentes activités industrielles ayant pris place sur les 1.830 hectares du territoire. "Il fallait un outil opérationnel et Basias s'avérait malheureusement très insuffisant, puisque seuls dix-neuf sites avaient été identifiés sur Grenoble", explique la responsable.

Le nez dans les archives

Aujourd'hui, après deux ans et demi de travail, l'IHU recense 1.276 sites industriels ! Tous sont cartographiés parcelle par parcelle et accessibles d'un seul clic via le système d'information géographique (SIG) de la mairie. Nom du ou des entreprises s'étant succédé, type d'activités, produits utilisés ou accidents éventuels, le SIG livre, depuis le 21 juin, toutes les informations glanées dans plus de 150 ans d'archives départementales. 25 gros classeurs sont également disponibles pour compléter ces données.
Le travail a consisté à dépouiller l'équivalent de 400 mètres linéaires de cartons d'archives départementales, pour en extraire plus de 1.700 fiches d'activités industrielles. Les fiches ont ensuite été regroupées par site. Puis le BRGM a réalisé une approche toponymique sur cartes anciennes, suivie d'un positionnement très précis avec identification, à l'aide du plan cadastral sous support informatisé, du parcellaire relatif aux sites.
Au final, la réalisation de l'IHU aura coûté 122.500 euros, dont 72.000 euros uniquement pour le dépouillement des archives. Le BRGM a financé 20% de l'outil, les autres 80% restant à la charge de la municipalité, qui n'a pu bénéficier de subventions ni de l'Ademe ni de l'agence de l'eau. "L'investissement peut paraître conséquent, mais au regard des économies futures, cela reste intéressant. La simple économie du surcoût engendré sur le projet de GPV aurait suffit à payer l'outil", argumente Isabelle Bertone-Bayer.

Un outil à faire vivre

La municipalité place beaucoup d'espoir dans cette cartographie. Celle-ci devrait permettre d'engager une politique d'acquisition foncière adaptée aux risques et d'apporter des éléments d'orientation pour les procédures d'urbanisme. Une meilleure connaissance de l'historique des sites devrait également favoriser l'anticipation des interventions de dépollutions, aussi bien sur sol que sur les nappes phréatiques.
"Certes, l'outil est encore largement perfectible. Certes, il n'apporte qu'une réponse très partielle de l'état du site, la présence d'une industrie ne signifiant pas qu'il y ait une pollution. Cependant, les informations permettront d'être plus réactifs. Les consulter avant tout projet d'aménagement doit devenir un réflexe", analyse la responsable. Pour être vraiment opérationnelle, la base doit aussi être régulièrement mise à jour en fonction de l'évolution des sites (dépollution, cessation d'activité, diagnostics réalisés...).
Par ailleurs, la mise en évidence d'un risque de pollution provoque souvent des réactions irrationnelles, constate Lucien Callier, du BRGM. La municipalité réfléchit donc à la façon dont l'information pourrait être diffusée auprès du grand public. Doit-elle être annexée au PLU ? Doit-elle être réservée au seul usage des services de la mairie ? La question reste ouverte. En tout état de cause, la diffusion d'une carte aussi précise serait une première dans un domaine où les acteurs sont plutôt enclins à la discrétion.

Emmanuelle Lesquel / Victoires-Editions pour Localtis

"La localisation à la parcelle est très exigeante"

Blandine Clozel est responsable de projet IHU au BRGM. Elle a supervisé depuis le début la réalisation de l'outil cartographique pour Grenoble.

Qu'apporte un inventaire historique urbain (IHU) par rapport à Basias ?

Rhône-Alpes fut la première région à réaliser son IHR. Le recensement des anciens sites industriels, tel que défini par le comité de pilotage de l'époque, utilisait des critères ne prenant en compte que les plus grosses industries. Aujourd'hui, on voit les limites de ce recensement et les critères se sont affinés. Par exemple, un IHU expérimental, réalisé sur le 3e arrondissement de Lyon, répertorie autant de sites sur l'arrondissement que sur tout le département avec les critères premiers de l'IHR tels qu'affichés dans Basias ! Ce premier inventaire est donc presque à refaire, alors que les derniers sont plus exhaustifs. De plus, les données de Basias ne sont pas localisées de façon précise - statutairement, la localisation est faite au 1/25.000e - et sont donc difficilement exploitables par un service urbanisme, qui a besoin de travailler au moins à la parcelle. L'IHU apporte donc une plus grande précision aussi bien dans le recensement que dans la localisation des sites industriels.

Quelles sont les principales difficultés pour réaliser l'outil ?

L'une des grandes difficultés, c'est d'estimer le nombre de sites qui vont être répertoriés. Les archives ne sont jamais classées de la même façon d'une ville à une autre. Il est donc difficile d'extrapoler. A Grenoble, nous avions estimé, par sondage dans les archives, ce chiffre à 800. Or plus de 1.200 ont été recensés ! Le type de classement des archives est également très important. Pour Le Grand Lyon, les archives ne permettant pas de travailler par commune, l'IHU sera réalisé sur tout le département. La localisation demande de jongler avec les plans et cadastres de différentes périodes. Les changements dans les parcelles cadastrales et les modifications de nom et de numérotation des rues peuvent aussi compliquer le travail. La localisation à la parcelle est exigeante et il ne faut pas hésiter à puiser dans la mémoire "vivante" de la ville que sont les employés. Les photos aériennes ou encore un déplacement sur le site peuvent aussi s'avérer nécessaires.

Comment fonctionne le partenariat entre le BRGM et les collectivités qui souhaitent réaliser leur IHU ?

Nous travaillons en étroite collaboration avec la collectivité pour que l'outil s'adapte le mieux à sa demande et puisse être mis à jour et consulté régulièrement. Un partenariat est signé entre la collectivité qui souhaite réaliser son IHU et le BRGM. Après une visite des archives, nous estimons un prix de revient. C'est de la densité du tissu industriel que dépendront le coût et la durée de réalisation. Pour le Grand Lyon, qui débute son IHU, nous avons estimé que plus de 500.000 euros et deux ans de travail seront nécessaires. Mais ces estimations, très difficiles à réaliser, nous donnent des "sueurs froides". Pour les premiers IHU, comme Grenoble, le Grand Lyon ou les 124 hectares de la zone industrielle de Fraisses-Unieux-Firminy, ancien site de Creusot-Loire, nous avons financé 20 à 25% de l'outil, sous réserve que les données collectées soit reversées dans Basias et contribuent à améliorer son exhaustivité. Elles y apparaîtront sous une forme moins précise que dans l'IHU.

Pour entrer en contact

Blandine Clozel, responsable de projet IHU au BRGM, b.clozel@brgm.fr

Basias et Basol, deux bases de données nationales

Il existe deux bases de données nationales concernant les sites industriels. Basias regroupe les sites industriels et d'activité de services alors que Basol ne recense que les sites et sols pollués (ou susceptibles de l'être) appelant une action des pouvoirs publics, à titre préventif ou curatif.

"Etre inscrit dans Basias (Base de données des anciens sites industriels et d'activité de service) ne préjuge en rien d'une éventuelle pollution du site", rappelle en préambule Lucien Callier, du BRGM. Créée par l'arrêté du 10 décembre 1998, la base de données regroupe les informations recueillies lors des inventaires historiques régionaux (IHR) recensant les sites ayant accueilli une installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE). Ces inventaires, effectués par le BRGM, consistent à identifier et à localiser les sites industriels, abandonnés ou non, et à déterminer les activités exercées, les exploitants, les accidents, les pollutions connues, ainsi que les éventuelles études déjà menées et la bibliographie des documents consultés. A ce jour, seuls 70 départements ont achevé l'inventaire et, déjà plus de 120.000 sites sont recensés. L'inventaire s'inscrit dans le cadre de la circulaire du ministère de l'Environnement du 3 décembre 1993 définissant la politique nationale de traitement et de réhabilitation des sites et sols pollués. Depuis 1999, Basias est accessible gratuitement sur http://basias.brgm.fr
Basol - Base de données sur les sites et sols pollués (ou susceptibles de l'être) appelant une action des pouvoirs publics, à titre préventif ou curatif - est, elle, renseignée par les services déconcentrés de l'Etat en charge de la police des ICPE comme les Drire. Ces services alimentent la base en cas de présomption ou de constat de pollution, ou encore à partir d'une information spontanée des responsables du site. Le but est de mieux appréhender les actions menées sur les sites pour prévenir les risques ou les nuisances. Basol comprend plus de 3.700 sites. Ces sites peuvent également être présents dans Basias. La mise à disposition des données au public se fait via le site http://basol.environnement.gouv.fr

Cartographie des sols pollués : les collectivités fourbissent leurs armes

A l'instar de Grenoble, de nombreuses collectivités mettent en place des outils pour mieux appréhender le risque "sols pollués" sur leur territoire.

Grenoble, Clichy, le grand Lyon ou Lille Métropole communauté urbaine (LMCU) ont en commun un riche passé industriel. Elles ont également été confrontées à des découvertes tardives de pollution sur des terrains à aménager. "Pour éviter des situations de crise ou, au contraire, le blocage de gisements fonciers, souvent stratégiques dans les démarches de reconquête de la ville, il faut travailler au maximum en amont", conseille Stéphan Muzika, directeur de l'établissement public foncier de l'ouest Rhônes-Alpes, qui assure pour les collectivités des actions de portage foncier pour sites dégradés.
Pour avoir une longueur d'avance, Grenoble et le Grand Lyon ont misé sur un IHU. Dès 2003, Clichy optait, dans le cadre de la révision de son PLU, pour une véritable "étude risquologie" réalisée par EACM (Etudes, aménagement, matériaux et carrières), bureau d'études indépendant. EACM a recensé et regroupé sur le SIG de la ville les risques naturels (mouvements de terrains, zones inondables...), les risques historiques (anciens sites industriels, zones bombardées...), les risques technologiques (industries actuelles, transport de matières dangereuses, stations radioélectriques...) et les zones sensibles comme les crèches ou les écoles. Pour fournir un réel outil de pilotage, EACM a également proposé à la ville une échelle du risque.
Dans le Nord, LMCU a mis au point une véritable stratégie, en interne, pour recenser et gérer au mieux ses friches industrielles. "Connaître l'historique des sites est un outil foncier qui permet de négocier les prix en connaissance de cause", note Vincent Bougamont, chef de service ville renouvelée de LMCU. Sous l'impulsion du pôle de compétences sites et sédiments pollués (www.polessp.org), chaque commune du Nord-Pas-de-Calais pourra également bénéficier, d'ici fin 2005, d'un "kit territoire" permettant de mieux spatialiser les 14.223 sites de la région recensés dans Basias.
Contact : Tanguy Latron, directeur de l'agence d'EACM ayant réalisé l'étude pour Clichy, latron@eacm.fr

Aller plus loin sur le web :
 
Le portail des sites et sols pollués ou radio-contaminés du ministère de l'Ecologie et du Développement durable
http://www.fasp.info

Découvrez nos newsletters

  • Localtis :
    Propose un décryptage des actualités des collectivités territoriales selon deux formules : édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques.

  • Territoires Conseils :
    Recevez tous les quinze jours la liste de nos dernières publications et l'agenda de nos prochains rendez-vous.

S'abonner aux newsletters