Haute-Normandie : la coopération au coeur de l'action culturelle

La culture en Haute-Normandie est-elle à l'aube d'une ère nouvelle ? Avec le rapprochement du conseil régional et des deux conseils généraux de l'Eure et de la Seine-Maritime en vue de l'élaboration d'une politique concertée et de la définition d'objectifs communs, la question mérite d'être posée.

Depuis les élections cantonales et régionales de 2004, les acteurs locaux entendent donner un nouvel essor à l'action culturelle en Haute-Normandie : "Dans une période où la culture n'est plus une priorité au plan national, il est important qu'ici elle le soit", proclame Didier Marie, président du conseil général de Seine-Maritime. Pour Jean-Louis-Destans, son homologue du département voisin de l'Eure, le constat est identique : "La vocation de la culture est de grandir toujours davantage et d'être partagée par le plus grand nombre." De son côté, Alain Le Vern, président du conseil régional, veut "mettre fin au mitage des politiques, au saupoudrage des initiatives et créer une réelle attractivité culturelle au sein de la région". Pour cela, il préconise "une véritable mise en perspective des actions proposées sur le territoire". Au-delà de ces déclarations d'intention, les trois présidents ont déjà arrêté les modalités de leur nouvelle coopération. Réunis au sein d'une instance baptisée "276" - nombre formé par le rapprochement des numéros 27 et 76, associés respectivement aux départements de l'Eure et de la Seine-Maritime -, ils affichent leur volonté de travailler ensemble à partir d'une approche concertée devant aboutir à une action commune dans plusieurs domaines. Parmi les thèmes retenus, la culture figure au nombre des priorités au même titre que les infrastructures de communication, l'emploi et la lutte contre le chômage.

Créer un événement fort

Dès le mois de juin 2004, les trois collectivités ont confié à Bernard Faivre d'Arcier, ancien directeur du festival d'Avignon, la réalisation d'une mission de réflexion sur la politique culturelle en Haute-Normandie. Avec un premier objectif précis : "Nous souhaitions tout d'abord repenser notre approche en matière d'actions événementielles dans le domaine culturel." Dans son rapport remis à la fin de l'année dernière, Bernard Faivre d'Arcier propose plusieurs pistes. L'une d'elles prévoit la création de rendez-vous culturels d'ampleur nationale. Pour cela, les trois acteurs entendent s'appuyer sur un événement phare de la région : le festival Octobre en Normandie. "Cette manifestation déjà ancienne bénéficie d'une grande visibilité et d'une notoriété importante", souligne Benoît Pétel, du conseil régional de Haute-Normandie. Toutefois, pour accroître son attractivité et répondre aux objectifs, le périmètre de la manifestation est modifié pour l'édition 2005. Jusque-là consacré à la danse et à la musique, Octobre en Normandie ouvre sa programmation au théâtre. De 60 spectacles programmés, cet événement passe à plus de 100 cette année. Autre nouveauté : jusqu'alors exclusivement réservée à la Seine-Maritime, la diffusion est élargie au département de l'Eure. Enfin, pour tenir compte de ce nouveau périmètre, la durée du festival est prolongée jusqu'à la fin du mois de novembre.

Vers la création d'un EPCC

Si ce remodelage assure une plus grande ampleur à la manifestation, celui-ci n'est pas sans conséquences sur une action phare menée par le conseil régional : Théâtre en région. Cette manifestation portée en régie directe par le conseil régional disparaît. Associant notamment les scènes nationales et conventionnées, cet événement comportait généralement entre dix et douze création originales. La prochaine étape du rapprochement entre les trois collectivités consiste en la constitution d'un établissement public de coopération culturel (EPCC). "Nous travaillons actuellement à l'élaboration d'un statut, à la rédaction du cahier des charges relatif au projet artistique que le futur directeur devra respecter. Les axes majeurs retenues pour cette nouvelle structure sont le renforcement de la programmation, l'ouverture la plus large possible sur les différents publics et le maintien d'un haut niveau d'exigence artistique", explique Benoît Pétel. Le recrutement du nouveau directeur de l'EPCC est prévu pour le début de l'année 2006. D'ici là, la collaboration entre les trois collectivités va se poursuivre dans le cadre d'un groupe projet regroupant les trois vice-présidents chargés de la culture, les trois DGS et des représentants des trois directions de la culture. Cette instance de pilotage du "276" s'appuiera sur les travaux réalisés par les comités chargés des aspects techniques et des contenus artistiques associant des personnels des trois collectivités.

Pascal Clouet / PCA pour Localtis

"Aller à la rencontre de toutes les disciplines et de tous les publics"

Première initiative menée dans le cadre de la politique culturelle commune de la région et des deux départements hauts-normands, la refonte du festival Octobre en Normandie repose sur une diffusion et une programmation élargies. Le point avec Benoît André, directeur par intérim du festival.

Quels sont selon vous les atouts de cette nouvelle formule du festival ?

Je pense que la nouvelle édition 2005 d'Octobre en Normandie bénéficiera tout d'abord de la notoriété de cette manifestation. Depuis près de 30 ans, et bientôt 15 ans sous sa forme actuelle, le festival a su se faire une place à part parmi les animations culturelles proposées dans la région. Il est apprécié par un public nombreux - 23.000 spectateurs en 2004 - et bénéficie d'une forte notoriété. La principale nouveauté de l'édition 2005 réside dans l'ouverture de la programmation au théâtre, en plus de la danse et de la musique. Cet élargissement s'inscrit d'ailleurs dans la création artistique actuelle, qui rapproche de plus en plus les trois disciplines. Le dernier festival d'Avignon en est d'ailleurs la parfaite illustration. Le second atout de cette nouvelle édition réside dans l'élargissement de la diffusion au département de l'Eure. Avec cette nouvelle formule, nous souhaitons vraiment aller à la rencontre de toutes les disciplines et de tous les publics.

Justement, par quels moyens comptez-vous attirer tous ces publics ?

Concrètement, nous mettons à leur disposition des navettes gratuites au départ des grandes villes de la région comme Rouen, Le Havre, Dieppe, Evreux vers les différents lieux des manifestations. Par ailleurs, une politique tarifaire adaptée devrait encourager la fréquentation. Le coût le plus élevé pour une place s'élève à 25 euros et la mise en place d'un pass à 50 euros pour cinq spectacles, dont trois appartenant obligatoirement à l'une des trois discipline proposées. L'offre élargie devrait également jouer en faveur d'une plus grande fréquentation. De 60 manifestations sur un mois en 2004, nous passons cette année à 110 représentations pour 45 spectacles proposés sur deux mois. Enfin, nous investissons de nouveaux lieux de diffusion. Ceux de l'Eure, mais également des lieux plus faciles d'accès susceptibles d'attirer un public peu habitué à la musique ou la danse. Enfin pour attirer un jeune public, nous programmons pour la première fois plusieurs spectacles au Zénith de Rouen.

Quelles sont les actions de sensibilisation artistique proposées dans le cadre d'Octobre en Normandie ?

Les spectacles ne seront pas les seuls rendez-vous du festival. Avant, pendant et après les spectacles, nous proposons de nombreuses actions de sensibilisation. Des cycles de conférences en lien avec les thèmes de la programmation seront organisés. Par ailleurs, le public pourra dialoguer avec des metteurs en scène, lors de rencontres, afin de mieux comprendre leur travail. A la fin de certains spectacles, le public sera invité à rester dans la salle, afin d'échanger ses impressions avec les artistes. Des répétitions publiques seront également proposées. Pour les apprentis artistes, des master-classes de danse et de théâtre seront proposées. Le jeune public ne sera pas oublié, grâce à des représentations exclusivement dédiés aux scolaires et des ateliers animés par des artistes pendant le temps scolaire. Enfin, des outils pédagogiques élaborés en collaboration avec le rectorat permettront aux enseignants de préparer les élèves avant leur venue aux spectacles.

Les départements de Savoie pionniers de la coopération culturelle

Si la région Haute-Normandie et les deux départements qui la composent font leurs premiers pas en matière de coopération culturelle, deux autres départements disposent d'un savoir-faire reconnu dans ce domaine. Depuis 2001, la Savoie et la Haute-Savoie développent de nombreuses actions communes.

Née il y a plus de 20 ans, l'Entente régionale de Savoie marque le début de la coopération entre les deux départements savoyards. En 2001, les deux conseils généraux franchissent un pas supplémentaire en transformant l'Entente en Assemblée des pays de Savoie, qui regroupe les 71 élus départementaux. Cet établissement public doté d'une autonomie financière et dirigé par un conseil d'administration exerce des compétences déléguées par les deux conseils généraux. C'est le cas notamment de l'aménagement du territoire et des infrastructures de transport, du développement des TIC, de l'environnement, de l'agriculture, du tourisme, de la coopération transfrontalière, de la formation, de la culture et du patrimoine. Ces deux derniers domaines représentent à eux seuls près du quart du budget de l'Assemblée, soit 2,5 millions d'euros en 2005. La figure emblématique de cette coopération culturelle est sans nul doute l'Orchestre des pays de Savoie. Créée à l'époque de l'Entente régionale, cette formation a fêté son vingtième anniversaire l'année dernière. Par ailleurs, en 2003, l'orchestre devient la première formation permanente française dirigée par une femme, en l'occurrence Graziella Contratto, ancienne assistante de Claudio Abado au sein du Philharmonique de Berlin. Au-delà de cette formation musicale, la coopération culturelle couvre d'autres domaines. Les deux départements ont ainsi délégué leurs compétences en matière de lecture publique à l'Assemblée des pays de Savoie. Le rapprochement entre les deux bibliothèques de prêt, initié dès 2001, a abouti à la mise en place d'une organisation transversale baptisée "Savoie-biblio", reposant sur plusieurs pôles de compétences : développement du lectorat, mise en valeur des collections, desserte, projets et réalisation, formation, vie littéraire et, enfin, réseaux numériques. Cette nouvelle organisation repose également sur cinq centres répartis entre les deux départements (Annecy, Chambéry, Maurienne, Tarentaise, Chablais).

Du patrimoine à la création contemporaine

L'action en faveur du patrimoine donne lieu à plusieurs formes de coopération. Les deux directions départementales des archives ont développé une base de données commune sur l'histoire, la géographie et les communes (inventaires d'archives communales, registres paroissiaux et d'état civil, cartes postales anciennes?) et ont publié deux CD-rom présentant des cartes de la Savoie du 15e siècle à nos jours. Cet important travail a donné lieu à la création d'un site internet commun dédié à la découverte du patrimoine local. Par ailleurs, l'Assemblée des pays de Savoie vient de concevoir - avec le soutien du conseil régional Rhône-Alpes - un musée virtuel en ligne permettant de découvrir les différents aspects du patrimoine et des musés à travers des parcours thématiques (vie rurale, architecture, patrimoine touristique et industriel, traversée des Alpes, histoire) et de nombreuses cartes interactives. Le contenu de ce site sera progressivement enrichi jusqu'en 2006. Autre initiative : le financement de la collecte de films anciens produits en Savoie relatifs à cette région dans le cadre de la cinémathèque des pays de Savoie. Enfin, l'Assemblée des pays de Savoie et la région Rhône-Alpes envisagent une coopération en matière d'inventaire sur des thèmes particuliers, comme celui des villes thermales
Les secteurs de la diffusion et de la création artistique donnent également lieu à des initiatives communes. Dans le domaine du cinéma, l'Assemblée des pays de Savoie participe au financement du dispositif itinérant "Cinébus", qui permet notamment la projection de films en milieu rural. Elle finance également la production d'émissions et de documentaires regroupés sous forme de collections thématiques (Artistes en Savoie, Miroir d'histoire, A livre ouvert). Ces derniers sont régulièrement diffusés sur la chaîne de télévision locale TV8 Mont-Blanc. Enfin, la création artistique va connaître un développement important avec la création, le 28 juin 2005, du Centre d'art et de création des Savoies. Cette nouvelle structure assurera le maintien d'un potentiel de création, permettant ainsi de compenser l'arrêt de l'activité du Centre dramatique national de Savoie décidé par l'Etat en 2003. Deux cellules de production des arts vivants seront créées au sein des scènes nationales de Chambéry et d'Annecy. Durant trois ans, huit compagnies vont bénéficier d'un soutien technique, humain et financier pour la réalisation de leurs spectacles, de la création à la diffusion en passant par l'exploitation et la diffusion, grâce notamment à des productions déléguées.

Aller plus loin sur le web

La rubrique consacrée à la culture sur le site du conseil régional de Haute-Normandie.
http://www.cr-haute-normandie.fr/actions/culture/homepage.asp
 
Le site du conseil général de la Seine-Maritime.
http://www.cg76.fr
 
Le site du conseil général de l'Eure.
http://www.cg27.fr
 
Le site du nouveau festival Octobre en Normandie.
http://www.octobre-en-normandie.com

Découvrez nos newsletters

  • Localtis :
    Propose un décryptage des actualités des collectivités territoriales selon deux formules : édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques.

  • Territoires Conseils :
    Recevez tous les quinze jours la liste de nos dernières publications et l'agenda de nos prochains rendez-vous.

S'abonner aux newsletters