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Patrimoine - Il est possible de refuser des travaux sur un monument historique en se fondant sur son état avant le classement

Que classe-t-on exactement en classant un monument historique ? C'est à cette question insolite que répond un arrêt important du Conseil d'État. L'affaire concerne la place Vendôme à Paris. En l'occurrence la société Edilys (maison mère du célèbre joaillier Dubail, qui exploite un magasin situé sur la place) avait saisi le préfet de la région Île-de-France d'une demande d'autorisation en vue d'effectuer des travaux d'abaissement des allèges (partie du mur situé entre le plancher et l'appui d'une fenêtre) de l'immeuble qu'elle occupe, anciennement dénommé hôtel de Villemaré et classé monument historique.

La date du classement ne fige pas l'appréciation du monument

Devant le refus du préfet, notifié par une décision du 2 janvier 2014, la société Edilys saisit le tribunal administratif, puis la cour administrative de Paris, qui confirment toutes deux la décision initiale de rejet. En l'espèce, l'important se situe dans la date du classement de l'hôtel de Villemaré, intervenu en 1862. Comme il est logique pour un monument historique, celle-ci est nettement postérieure à la date de construction, qui remonte au début du XVIIIe siècle (1708-1716) et est l'œuvre de Jules Hardouin-Mansart. Au XIXe siècle - avant son classement - la place Vendôme a subi divers aménagements.
En l'occurrence, l'article R.621-19 du Code du patrimoine prévoit que "les services de l'État chargés des monuments historiques définissent, en fonction des caractéristiques des immeubles concernés, les conditions scientifiques et techniques selon lesquelles les interventions sur ces monuments historiques sont étudiées, conduites et font l'objet de la documentation appropriée". Et, selon le premier alinéa de l'article R.621-21, "lorsque le propriétaire, l'affectataire, son mandataire ou toute personne justifiant d'un titre l'habilitant à faire réaliser des travaux fait part au préfet de région de son intention de réaliser un projet de travaux sur un immeuble classé, le préfet de région met à sa disposition l'état des connaissances dont il dispose sur l'immeuble en cause et lui indique les contraintes réglementaires, architecturales et techniques que le projet devra respecter".

C'est l'intérêt historique ou artistique qui compte

Enfin, le Conseil d'État rappelle qu'il revient à l'autorité administrative d'apprécier le projet qui lui est soumis, non au regard de l'état de l'immeuble à la date de son classement, mais au regard de l'intérêt public, au point de vue de l'histoire ou de l'art, qui justifie cette mesure de conservation.
Dans sa décision du 5 octobre, le Conseil d'État considère donc que "dès lors, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en retenant que la légalité du projet n'avait pas à être appréciée au regard de la configuration de la place Vendôme telle qu'elle existait à la date de son classement, soit 1862".
De même, la cour administrative d'appel de Paris "n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant que le classement avait pour objet de préserver l'ordonnancement de la place telle qu'elle avait été conçue par Jules Hardouin-Mansart, à l'homogénéité et à l'unité duquel les transformations effectuées au cours du XIXe siècle avaient porté atteinte. Enfin, elle a porté sur les pièces du dossier qui lui était soumis une appréciation souveraine exempte de dénaturation, en estimant que cet ordonnancement pouvait s'apprécier au regard des gravures réalisées par Jean-François Blondel en 1752 qui donnaient, en l'état des connaissances, la description la plus précise, complète et certaine de la place Vendôme à la date de son achèvement malgré les transformations intervenues au début du XVIIIe siècle".
Ces gravures de 1752 retraçant l'état de l'hôtel de Villemaré et de la place Vendôme plus d'un siècle avant le classement pouvaient donc parfaitement être intégrées au dossier sur l'état des connaissances et servir de base à la décision de refus des travaux rendue par le préfet de région.

Références : Conseil d'État, 1e et 4e chambres réunies, décision n°410590 du 5 octobre 2018, société Edilys (publiée au recueil Lebon).

 

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