Impact du confinement sur le travail : tous "vulnérables", d'une façon ou d'une autre

Si le choc économique de la crise du coronavirus laisse présager des licenciements massifs, c'est l'ensemble du monde du travail qui se trouve aujourd'hui chamboulé : mise à l'arrêt pour les uns, surcharge de travail pour d'autres, hyperconnectivité des télétravailleurs, risques infectieux pour les professionnels de première ligne... France Stratégie dresse une typologie "inédite" en cinq grands groupes, avec chacun ses vulnérabilités.

Malgré l’amortisseur de l’activité partielle qui a connu une hausse vertigineuse en quelques semaines (11,3 millions de salariés bénéficiaires à ce jour), le chômage a connu au mois de mars la progression la plus forte depuis 24 ans, avec 246.100 inscrits de plus. Et ce n’est sans doute qu’un avant-goût amer du choc qui se profile. Devant les députés, mercredi, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire a ainsi appelé à être "lucide" sur la période à venir, la rentrée de septembre-octobre risquant de connaître "une multiplication de faillites". L’impact sur l’emploi sera "sévère". Si le gouvernement dépense sans compter pour sauver les meubles (près de 26 milliards sont programmés pour le seul financement du chômage partiel, sur les 110 milliards d’euros du plan de sauvetage économique), il sera difficile d’éviter les plans sociaux, une fois le chômage partiel désactivé, comme cela avait été le cas en 2009.

8,5 millions de travailleurs exposés au chômage

Au total, 8,5 millions de travailleurs (32% de l’emploi) se trouvent particulièrement exposés, estime France Stratégie, dans une note d’analyse publiée le 29 avril sur la vulnérabilité des "métiers au temps du corona". Des catégories qui "coïncident largement avec les salariés en chômage partiel". Il y a tout d’abord les "vulnérables de toujours", ouvriers ou artisans de l’industrie et du bâtiment, "traditionnellement confrontés à des conditions de vie et de travail difficiles", déjà fragilisés mais qui se trouvent "très exposés" dans cette crise, même s’ils sont nombreux à bénéficier du chômage partiel. Ainsi, 8.000 emplois ont été perdus dans le BTP en mars, selon la Fédération française du bâtiment.

4,2 millions de personnes sont rangées dans cette première catégorie. Presque autant que les 4,3 millions de "nouveaux vulnérables" dont les activités ont été ralenties voire interdites du fait du confinement. Il s’agit là des métiers du transport, de l'hôtellerie-restauration, des services aux particuliers (notamment les coiffeurs), de l’art, de la culture et du sport. Ces derniers sont fragilisés par leur statut : 31% sont intermittents ou indépendants en solo. Là encore, le chômage partiel a pu servir d’amortisseur chez ceux qui sont salariés, mais 20% de ces emplois sont "non permanents", avec des pics dans l’hôtellerie-restauration, les arts ou la manutention. Le revenu médian de ce groupe est de 1.550 euros mensuels, soit le plus faible de toutes les catégories socio-professionnelles étudiées par les auteurs… "Leur vulnérabilité individuelle peut affecter leur capacité de rebond, d’autant que les indépendants en solo sont nombreux : coiff­eurs, esthéticiens, employés de services divers, patrons et cadres d'hôtels cafés, restaurants, professionnels des arts et spectacles (dont les graphistes), souligne la note. Pour ces derniers, un arrêt prolongé de leur activité les menacerait durablement (difficultés de trésorerie, impossibilité de recourir au chômage partiel). Comme l’a indiqué le Premier ministre mardi soir, les bars-cafés-restaurants ne rouvriront pas avant juin. Ils font l’objet d’un plan d’aides spécifique. Quant au tourisme, il y verra sans doute plus clair à l'issue d’un comité interministériel programmé le 14 mai.

Cependant l’intérêt de cette note ne se limite pas à l'analyse des risques de suppressions d’emplois dans les secteurs les plus exposés. Elle montre que l’ensemble du monde du travail se trouve aujourd’hui chamboulé par le confinement. "Certains professionnels ont besoin à la fois de prévenir leur vulnérabilité économique et financière, d’autres sont en risque d’inadaptation des compétences ou de désocialisation, d’autres encore sont vulnérables sanitairement et psychiquement", soulignent les auteurs qui invitent les branches professionnelles et les partenaires sociaux à un "traitement différencié".

10,4 millions de fantassins

Ainsi, à côté des personnes les plus vulnérables économiquement, la note s’intéresse aux vulnérabilités liées aux conditions de travail. C’est d’abord le cas des 10,4 millions de fantassins de première ligne, selon la terminologie en vogue : tous les métiers de la santé, de l’éducation, de la propreté, de l’alimentaire et de sa distribution, et les professions régaliennes (armée, police, pompiers). Ces derniers sont souvent protégés par leur statut (notamment les fonctionnaires), ils n’en sont pas moins, pour la plupart, "soumis à un risque infectieux par leur contact direct avec le public : 73% font habituellement face aux usagers, clients ou patients". De plus, il s’agit souvent d’emplois féminins, où le nombre de parents isolés est important, ce qui engendre des "difficultés à concilier la garde des enfants et un rythme de travail intense". Or, ces métiers ont également en commun d'être rémunérés à un niveau proche ou inférieur au salaire médian (1.626 euros) mensuels en moyenne. Ces professionnels travaillent plus fréquemment le week-end, le soir ou la nuit.

Hyperconnectivité et désocialisation

Alors quand on fait partie des 3,9 millions de télétravailleurs, on peut s’estimer heureux. Las, c’est "l’hyperconnectivité" qui guette. Les télétravailleurs, souvent des cadres, "voient leur charge mentale et les difficultés de conciliation avec la vie familiale renforcées par la crise". Avant même le confinement, 81% des cadres déploraient une charge de travail excessive, la moitié déclaraient devoir travailler sous pression. Leur vulnérabilité pourrait s’accroître dans les prochains mois "compte tenu des difficultés économiques des secteurs où ils travaillent". "Les incertitudes sur le contexte économique en sortie de confinement laissent augurer un doute à plus long terme sur la préservation de leur emploi", estiment les auteurs. C’est notamment le cas des cadres du BTP.

Dans cette typologie "inédite", France Stratégie comptabilise enfin, dans un cinquième groupe, 4 millions de professions intermédiaires ou d’employés qualifiés souvent en activité partielle. Certes, ils "sont protégés du licenciement à court terme par leur statut". Mais leur difficulté à télétravailler les expose à des risques d’éloignement de la sphère professionnelle et de désocialisation.

"Le burn out peut toucher des professions très qualifiées et très peu qualifiées qui ont affronté la crise sanitaire en présentiel au contact de l’épidémie ou à distance pour en gérer les conséquences et la reprise de l’activité", conclut la note.

Pour France Stratégie, "la récurrence vraisemblable de crises majeures" imposera "des mesures durables d’hygiène et de sécurité qui transformeront les collectifs de travail et pourraient imposer de nouveaux modes de collaboration et d’organisation du travail".

 

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