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Congrès des maires - Ingénierie : beaucoup de moyens sur la table… qui doivent encore arriver jusqu'aux territoires

Entre les agences départementales ou régionales, l'ANCT, les programmes nationaux comme Action Cœur de ville ou Petites villes de demain, l'offre d'ingénierie disponible est abondante. Mais elle peine à arriver jusqu'aux maires. Un paradoxe mis en avant au cours d'une conférence "Ruralités : les nouvelles dynamiques territoriales", organisée le 17 novembre 2021 dans le cadre du 103e Congrès des maires de France.

"Il y a de la ressource mais on n'arrive pas à la faire arriver sur nos territoires." Lors d'un débat "Ruralités : les nouvelles dynamiques territoriales" organisé le 17 novembre 2021 dans le cadre du 103e Congrès des maires de France, Michel-François Delannoy, directeur du département Appui aux Territoires à la Banque des Territoires, a dressé un nouvel état des lieu de l'ingénierie disponible pour les territoires. Après des années de vache maigre, de désengagement de l'Etat (fin de l'Atesat...), la situation a aujourd'hui bien changé. "En quelques années, les moyens à disposition des territoires en matière d'ingénierie se sont considérablement renforcés, les territoires ont accès à une ingénierie comme jamais", a-t-il affirmé. C'est le cas grâce aux agences départementales et régionales, à la création de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) qui fournit une assistance gratuite aux communes de moins de 3.500 habitants (ou aux intercommunalités de moins de 15.000 habitants), mais aussi aux programmes nationaux comme Action Cœur de ville ou Petites villes de demain, pour lesquels des structures comme le Cerema peuvent intervenir au profit de petites communes souvent dépourvues d'ingénierie. "2.000 ingénieurs et techniciens sont présents sur 23 sites régionaux en métropole, a détaillé Pascal Berteaud, directeur général du Cerema, nous intervenons via des recommandations et des guides mais aussi à travers un accompagnement sur-mesure, dans le cadre des grands programmes nationaux, avec 3 à 5 jours d'expertise gratuite et si le besoin est plus important, cela peut aller plus loin, avec un financement à hauteur de 50%, le reste étant financé selon la taille de la collectivité par l'Agence nationale de la cohésion des territoires". "Il y a énormément de moyens sur la table, a effectivement souligné Michel-François Delannoy, cela devient presque une difficulté, et pose la question de l'organisation de ces moyens."

L'aménagement au cœur des préoccupations des petites villes

Pour tenter de bien identifier les besoins en ingénierie, la Banque des Territoires, en association avec l'AMF, a questionné l'an dernier les communes, et notamment les plus petites (moins de 10.000 habitants). D'après les résultats de cette enquête, encore en réactualisation, ces communes placent au centre de leurs préoccupations les questions d'aménagement, de logement et de réhabilitation des friches. Autres préoccupations : le maintien de l'attractivité des territoires ruraux. "Cette thématique est plus affirmée en 2021, a détaillé Michel-François Delannoy, il y a cette question du renouveau des territoires, la revitalisation des centres-villes, des commerces, et la rénovation des écoles". Enfin, les territoires se préoccupent aussi beaucoup de la transition écologique, un élément qui prend de l'ampleur. Les communes ont aussi des besoins en ingénierie sur les fonctions supports (commande publique, prestations informatiques). Quant au type de soutien attendu par les territoires, il s'agit surtout d'une ingénierie en amont (étude de faisabilité, recherche de financements, hybridation des ressources publique-privée), d'une simplification des procédures et d'un appui à la recherche de subventions. Car outre la question de l'ingénierie technique ou thématique, les territoires ont un fort besoin d'ingénierie financière.

"Une épidémie d'appels à projets"

"Il y a une épidémie d'appels à projets, on en reçoit tous les jours, sur toutes les thématiques, a déploré Thibaut Guignard, maire de Ploeuc-L'Hermitage (Côtes-d'Armor) et président de Leader France, il faut monter des dossiers, rédiger des argumentations, on a besoin de chasseurs de subventions pour les optimiser et pour faire les demandes de paiement qui parfois sont tout aussi compliquées". Le maire alerte sur ce système qui, après avoir créé des procédures compliquées, impose de financer des postes pour les gérer… "Il faudrait déjà commencer par simplifier les procédures, indique-t-il, et donner les moyens aux collectivités d'avoir une ingénierie financière."

Autre difficulté pour ces territoires : le recrutement. "Quand 1.600 communes sont labellisées Petites villes de demain et vont chercher à recruter un chargé de mission, c'est un pari sur l'avenir", a souligné Constance de Pélichy, maire de La Ferté-Saint-Aubin (Loiret) alors que Pascal Berteaud a reconnu que le vivier de compétences pouvait en effet être insuffisant quand tout le monde cherche à recruter au même moment et cela, malgré les efforts de formation réalisés par le Cerema sur ces profils. Enfin, dernier point soulevé par les territoires : le manque de réactivité de l'Etat dans le cadre de ces dispositifs, notamment en matière de paiement. "Il faudrait que l'Etat soit au moins autant réactif que ce qu'il demande de notre part", a insisté Constance de Pélichy.

Le zéro artificialisation des sols :  une "mise sous cloche" des territoires ruraux ?

"Oui, le zéro artificialisation nette des sols est une menace très forte pour le développement des territoires ruraux, c'est clairement une menace d'une mise sous cloche." Lors d'une table ronde "Ruralités : les nouvelles dynamiques territoriales", organisée le 17 novembre 2021 dans le cadre du 103e Congrès des maires de France, Eric Charmes, sociologue, urbaniste, directeur de recherche à l'ENTPE (Vaulx-en-Velin) a exposé les risques que fait peser la loi Climat et Résilience publiée le 24 août 2021 sur les territoires ruraux. La loi fixe un premier objectif de réduction de 50% du rythme d'artificialisation et de consommation des espaces naturels agricoles et forestiers d'ici dix ans, et un deuxième, en 2050, qui correspondra au zéro artificialisation nette. "Ce qui porte la dynamique des territoires ruraux, c'est le jardin, a souligné l'urbaniste, ce n'est pas d'aller habiter dans un appartement, il y a même l'envie du retour du potager chez les jeunes. Il y a quelque chose de très fort autour de ça." Une crainte partagée par de nombreux maires tout au long de ce congrès. "Comment accueillir des jeunes quand on est coincé par l'artificialisation des sols ?", a ainsi interrogé Pierre Fischer, maire du petit village de Montfuron, dans les Alpes-de-Haute-Provence, qui attire des chercheurs en télétravail pour le grand projet ITER du centre de recherche CEA de Cadarache. Pour David Nicolas, maire d'Avranches et président de la communauté d'agglomération Mont-Saint-Michel Normandie, la tendance au zéro artificialisation a conduit à l'annulation pure et simple du travail en cours sur le Plan local d'urbanisme intercommunal (Plui). "Tout allait bien, les démarches avançaient, nous avons même été labellisés sur le volet méthodologique, nous étions très bons élèves, mais quand nous avons rendu notre copie, nous avons subi un avis défavorable du préfet au prétexte que nous consommions trop d'espaces, a expliqué le maire, on nous a clairement reproché d'être des bétonneurs et de gros consommateurs de fonciers." David Nicolas regrette le manque de négociation, qui a abouti à l'annulation des documents qui étaient en cours d'élaboration depuis plusieurs mois. Coût estimé : un million d'euros pour l'EPCI.
Toutefois, pour Eric Charmes, "on ne va pas revenir sur le modèle précédent", consistant à consommer toujours plus de terres agricoles ou forestières. Il faut plutôt considérer le zéro artificialisation "comme un point de rupture qui oblige à remettre sur la table un certain nombre de manières de faire", a-t-il précisé. Tout va dépendre du décret en Conseil d'Etat, qui devrait donner ces détails importants. "Si l'artificialisation est prise dans le sens d'une imperméabilisation, alors les jardins ne seraient pas considérés comme artificialisés", a insisté l'urbaniste. Dans ce contexte, l'Association des maires de France (AMF) et Régions de France ont demandé un report d'un an (voir notre article) de l'échéance de février 2022 inscrite dans la loi pour décliner les objectifs de division par deux de l'artificialisation des sols en dix ans dans les schémas de cohérence territoriale (Scot). "Nous avons besoin de mettre en cohérence les documents, a insisté Sylvain Robert, maire de Lens et coprésident de la commission aménagement, urbanisme, habitat, logement de l'AMF, février 2022 est un peu tôt pour répondre à des objectifs locaux."