Finances locales - Ingénierie financière : les régions françaises peinent à combler leur retard
A l'heure où l'Europe rivalise d'idées pour surmonter la débâcle économique, la crise conduit l'ensemble des pouvoirs publics (UE, Etat, collectivités), à écrire une nouvelle page dans le financement de l'économie.
Ancré dans la culture française, le recours à la subvention semble aujourd'hui passé de mode face à la montée en puissance des outils financiers et la compression des dépenses publiques. Le dernier Conseil européen des 27 et 28 juin a confirmé cette tendance, en privilégiant l'augmentation du volume de prêts aux PME via la transformation des traditionnels fonds structurels en garanties.
Le message envoyé est clair : les collectivités sont sommées de changer de logiciel. Mais elles partent de loin. En France, depuis 2007, seuls 2,2% du fonds européen de développement économique régional (Feder), soit 128 millions d'euros, ont été utilisés sous la forme de garanties, capital-investissement ou prêts.
Bilan modeste
D'autres pays ont opéré ce virage dès les années 1990. En Grande-Bretagne ou en Allemagne, l'utilisation du Feder au profit d'outils financiers atteint respectivement 10% et 8,5% des enveloppes nationales. Outre-Manche, l'administration se montre plus encline à travailler avec la sphère financière (banques, capital-risqueurs), quand l'Allemagne s'appuie sur ses banques publiques locales, adossées aux Länder.
En comparaison, l'Hexagone affiche un bilan modeste, en deçà des capacités offertes. Dans le détail, on constate que la plupart des régions tentent de se frotter à ces outils : 17 régions françaises ont par exemple utilisé une partie de leurs fonds européens pour renforcer les capitaux propres des PME et 11 les ont mobilisés pour abonder un fonds de garantie géré par Oséo, les montants d'intervention variant de 15 millions d'euros (Bourgogne) à 509 millions (Ile-de-France).
Les outils européens, baptisés "Jeremie" et "Jessica", sont en revanche marginalisés. Le premier, consacré aux PME, n'a été mis en oeuvre que dans 3 régions : le Languedoc-Roussillon, l'Auvergne et Provence-Alpes-Côte d'Azur.
Le second, pourtant au service d'enjeux bien identifiés par la population, comme les transports urbains, le réhabilitation thermique des logements ou la reconversion des friches industrielles, est tout bonnement inutilisé sur le territoire français.
L'exemple auvergnat
Quatre études ont été lancées par la Banque européenne d'investissement dans le Nord-Pas-de-Calais, en Lorraine, en Ile-de-France et dans la métropole marseillaise. Des territoires dont les besoins se mariaient bien avec les objectifs du dispositif Jessica. Toutes sont restées lettre morte. Le programme "n'est pas bien vendu par la Commission européenne et n'est pas relayé par l'Etat", observe un expert.
La situation est bien différente en Angleterre, où le maire de Londres Boris Johnson en a fait la vitrine de sa politique de développement durable : depuis 2009, un "green fund" de 116 millions d'euros, constitué pour moitié de Feder, finance des sites de recyclage et un programme de rénovation de logements sociaux.
"Cela nécessite des compétences stratégiques d'investissement et de suivi de remboursement qui effraient les responsables des préfectures. A Londres, le projet a marché, car ils se sont entourés de professionnels de la finance", ajoute le même spécialiste.
Cette démarche est peu à peu acceptée par les régions françaises. En Auvergne, une convention quadripartite unit le conseil régional, la préfecture et la chambre de commerce à Sofimac, spécialiste du capital investissement implanté à Clermont-Ferrand.
Lancé en 2009, le fonds Jeremie a une capacité de 25 millions d'euros (dont 18 proviennent des fonds européens). Le but de l'opération est d'octroyer des prêts d'honneur à 0% aux PME prometteuses et de renforcer leurs fonds propres en leur fournissant par exemple des obligations convertibles en actions. 215 entreprises de la région ont pu être accompagnées par ce biais, avec un taux d'échec très bas : seuls 0,60% des prêts n'ont pas été remboursés.
Le Languedoc précurseur
Hésitations sur le gestionnaire du programme, attente de la publication des règles européennes sur le capital-investissement... L'outil a tout de même mis deux ans à voir le jour. Plusieurs obstacles ont retardé le coup d'envoi d'un processus aussi complexe que novateur : "Personne ne savait rien sur tout", ironise l'un des artisans du projet.
Précurseur, la région Languedoc-Roussillon est la première d'Europe à s'être aventurée sur le terrain du programme Jeremie. Contrairement à l'Auvergne, qui trouvait le service rendu trop coûteux, le Languedoc a choisi de s'en remettre au Fonds européen d'investissement, installé à Luxembourg, pour s'occuper de la gestion quotidienne de l'outil.
Au-delà du capital-risque et des prêts aux jeunes pousses, elle a également choisi d'étendre sa force de frappe aux garanties, que sa voisine auvergnate n'a, pour le moment, pas mises en oeuvre.
Avec une manne de 30 millions d'euros (15 millions de Feder, 15 millions de la région), le territoire détient le plus gros fonds Jeremie de l'Hexagone, mais celui-ci reste sans commune mesure avec son équivalent andalou (235 millions d'euros) ou du Nord-Ouest de l'Angleterre (210 millions d'euros).
Des espoirs naissent aussi en Paca : avec 20 millions d'euros de garanties, dont la moitié provient de l'UE, la région espère déclencher une vague de prêts de l'ordre de 111 millions d'euros au profit des PME locales.
Une intention peut d'ailleurs en cacher une autre : en plaçant 10 millions d'euros de Feder dans ce fonds, la région a évité "le dégagement d'office", relève un expert. En clair, le non-versement de l'argent européen qui vient sanctionner une gestion hasardeuse et trop lente des fonds structurels.