Instaurer la gratuité des transports par avenant peut-il transformer un contrat de délégation de service public (DSP) en marché public ?
Contexte : Ces dernières années, une quarantaine de municipalités ont fait le choix, dans le cadre de leurs politiques publiques, d’instaurer la gratuité, de manière partielle ou totale des transports publics à destination de certaines catégories d’usagers. L’Observatoire des villes du transport gratuit définit la gratuité pour la majorité des usagers : "un réseau au sein duquel la grande majorité des usagers, c’est-à-dire a minima les habitants et dans de nombreux cas les visiteurs, bénéficient sans payer des services réguliers de transport public tous les jours, sur le périmètre d'une commune, d'une intercommunalité ou le territoire couvert par l’autorité organisatrice de la mobilité (AOM) ». Quelle incidence un tel choix peut-il avoir sur l’exécution du contrat, lorsque le service a été délégué ?
Réponse : Si la gratuité totale ne contrevient pas théoriquement au principe d’égalité des usagers devant les charges publiques, exempter de paiement certains usagers pourrait être contesté devant le juge administratif. Par application de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d’Etat (1) (2), il est fondé de légitimer ce type de discriminations tarifaires, par exemple au bénéfice des habitants dont le domicile se trouve dans le ressort de l’AOM.
Une partie de la doctrine estime que la gratuité permanente et totale du service des transports est une faculté prévue par l’article L. 1221-5 du code des transports, lequel dispose que l’autorité organisatrice définit la politique tarifaire de manière à obtenir l’utilisation la meilleure, sur le plan économique et social, du système de transports correspondant. Ainsi, lorsque les AOM décident de mettre en œuvre ce principe de gratuité, il leur appartiendra d’en définir des conditions permettant de limiter les risques juridiques.
En tout état de cause, si le service de transport public est délégué, il conviendra de s’assurer que l’exploitant supporte un risque d’exploitation.
Cependant, la gratuité n’implique pas nécessairement une requalification en marché public.
La cour administrative d'appel de Marseille (3) a jugé que l’avenant en cause dans l’affaire ne supprimait pas le risque d'exploitation, que la rémunération du délégataire restait liée aux résultats de l'exploitation, et que l'avenant n'affectait pas substantiellement l'économie globale du contrat initial. Les juges ont estimé que le fait que le délégataire ne perçoive plus de recettes liées au paiement de titres de transport « est en l'espèce sans incidence sur l'économie globale du contrat et sur l'existence d'un risque d'exploitation pour le délégataire ». En l’espèce, la rémunération du délégataire était fonction d’une contribution financière forfaitaire annuellement versée par l’AOM et égale à la différence entre l’engagement du délégataire sur les dépenses d’exploitation et son engagement sur la fréquentation des lignes. La Cour en a alors conclu qu’un risque d’exploitation demeurait à la charge du délégataire dès lors que la contribution ne couvrait qu’un résultat d’exploitation prévisionnel (et non pas l’ensemble des dépenses du délégataire) et était pondérée en fonction des résultats d’exploitation.
A contrario, la haute juridiction relève que, si les clauses tarifaires d’un contrat de DSP ont un caractère réglementaire, « les tarifs sont au nombre des éléments essentiels qui concourent à l’équilibre économique du contrat ». En l’espèce, « l’avenant en cause prévoyait des hausses de tarifs comprises entre 31 et 48 %, qui se traduiraient par une augmentation de plus d’un tiers des recettes et qui allaient très au-delà de la compensation des augmentations de charges liées aux modifications des obligations du délégataire convenues par ailleurs ». Dès lors, en en déduisant qu’une modification substantielle était ainsi apportée au contrat, la cour n’a pas commis d’erreur de droit. Ainsi, une délégation de service public ne peut être substantiellement modifiée par voie d’avenant (4). L’article L 1411-6 du code général des collectivités territoriales prévoit que « tout projet d'avenant à une convention de délégation de service public ne peut intervenir qu'après un vote de l'assemblée délibérante. Tout projet d'avenant à une convention de délégation de service public entraînant une augmentation du montant global supérieure à 5% est soumis pour avis à la commission (d’ouverture des plis). L'assemblée délibérante qui statue sur le projet d'avenant est préalablement informée de cet avis ».
Par ailleurs, l'article L1413-1 du CGCT ne prévoit pas la consultation de la commission consultative services publics locaux dans le cas d'un avenant.
Références : (1) CC, DC, 12 juillet 1979, Ponts à péage, n° 79-107 ; (2) CE, 29 décembre 1997, Commune de Gennevilliers, n° 157425 ; (3) CAA Marseille, 28 avril 2014, n° 12MA00238 ; (4) CE 9 mars 2018, n° 409972).
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