Interview Bertrand Ringot, Président du Syndicat de l’Eau du Dunkerquois

Président du Syndicat de l’Eau du Dunkerquois, Maire de Gravelines, Vice-Président à la Communauté Urbaine de Dunkerque en charge de l’assainissement et de la GEMAPI, Conseiller Départemental du Nord et Président de la Commission Locale de l’Eau, Monsieur Bertrand Ringot nous en apprend davantage sur la tarification progressive de l'eau mise en place à Dunkerque.

 

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Le « Plan Eau » récemment annoncé par le gouvernement vise la généralisation de la tarification progressive. Vous devez ressentir une certaine satisfaction, vous qui figuriez parmi les premières collectivités à expérimenter ce type de dispositif ?

Bertrand Ringot : " Pour situer notre contexte, le territoire Dunkerquois ne dispose pas d’eau en propre sur son périmètre, nous prélevons les volumes d’eau potable à partir de la nappe des Monts de l'Audomarois, et devions ainsi dès le départ adopter une gestion vertueuse de la ressource en eau. Dans ce sens, plusieurs dispositions ont été prises de longue date pour l’efficacité du réseau de distribution, la consommation par l’industrie, par l’agriculture et bien sûr les usagers domestiques. Pour ces derniers, nous avons adopté un dispositif de tarification sociale de l’eau, dit « tarification éco-solidaire », depuis octobre 2012, juste avant la promulgation de la Loi Brottes, qui permettait l’expérimentation et le déploiement de tarifications différentiées. Notre dispositif comporte trois tranches tarifaires : entre 0 et 80m3 par an par foyer pour l’eau dite « essentielle », entre 80 et 200 m3 pour l’eau « utile » avec un tarif plus élevé, et au-delà de 200 m3 pour l’eau de « confort » avec un tarif encore plus élevé. Pour la tranche 0-80 nous avons intégré une tarification très basse pour les bénéficiaires de la CSS (Complémentaire Santé Solidaire). Le but est de protéger les foyers fragiles par un tarif préférentiel, s’élevant aujourd’hui à 50 centimes le m3. Nous obtenons les données des bénéficiaires de la CSS par échange automatique de données cryptées avec la Caisse Primaire d’Assurance Maladie, avec laquelle nous avons conventionné. Les bénéficiaires n’ont ainsi pas à accomplir de démarche.

Le Syndicat a aussi souhaité intégrer la composition du foyer dans la modulation tarifaire. Il fallait pour cela disposer des informations de la Caisse d’Allocations Familiales, avec laquelle nous n’avons cependant pas pu conventionner à ce jour. A défaut, pour compenser en partie, nous avons mis en place un « chèque eau », qui permettait aux familles nombreuses d’avoir une réduction de leur facture pour les foyers de 5 personnes ou plus. Cependant ce chèque eau nécessitait une démarche volontaire, avec l’apport de justificatifs, que moins de 10% des bénéficiaires éligibles accomplissaient. Nous avons ainsi abandonné ce dispositif par chèque et nous maintenons la volonté du territoire de prendre en compte la composition familiale. A ce jour ce problème d’accès aux données de la CAF demeure. Cependant, fort de l’intégration de la tarification au plan EAU du gouvernement, nous avons bon espoir d’aboutir prochainement à un conventionnement avec la CAF car ce volet de la composition du foyer est un enjeu majeur pour optimiser le dispositif.
A la mise en œuvre de la Tarification Eco solidaire, 80% des foyers ont vu leur prix de l’eau baisser, 20% ont vu leur facture augmenter, et la recette globale est restée stable."

Malgré les freins dans la prise en compte de la taille des foyers, parvenez-vous à mesurer l’efficacité du dispositif ?

Bertrand Ringot : " Tout à fait. Nous mesurions en 2012 une consommation de 81 m3 par an par foyer, et avons atteint aujourd’hui une consommation inférieure à 70 m3 par an par foyer. Attention, ce n’est pas la tarification éco-solidaire à elle seule qui a permis ce résultat, mais aussi l’accompagnement des usagers : l’information quant à la valeur de la ressource en eau, la sensibilisation aux éco-gestes, et la conduite d’actions récurrentes sur le terrain, par exemple à travers des interventions en milieu scolaire, et le don d’une gourde à la totalité des élèves de CM2… Seuls 47% des Dunkerquois boivent l’eau du robinet en raison d’idées préconçues, donc nous cherchons à sensibiliser dès le plus jeune âge. 

Le Syndicat de l’Eau du Dunkerquois a investi dans 3 autres projets majeurs. 
Premièrement, le déploiement généralisé des compteurs connectés, équipant la totalité de nos 90 000 abonnés. Cette télérelève permettra aux habitants de suivre leur consommation, de mieux la maitriser, et d’être alertés en cas de fuite ou de surconsommation anormale. Deuxièmement, la réduction du calcaire de l’eau potable, à travers la distribution d’unités d’adoucissement collectif de l’eau, pour que chaque usager puisse bénéficier d’une eau plus douce. Cela leur permettra par ailleurs de réduire les effets du calcaire sur l’usure de leurs appareils électroménager et de leur système de chauffage.  Enfin, nous incitons les habitants à utiliser les eaux pluviales, avec un dispositif porté par la Communauté Urbaine de Dunkerque, qui soutient les habitants dans l’achat d’un équipement de récupération des eaux de pluie, pouvant être utilisée pour arroser le jardin, laver la voiture etc."

Qu’avez-vous entrepris sur le rendement du réseau et de la limitation des fuites ?

Bertrand Ringot : " Comme je l’évoquais, l’acheminement de l’eau depuis les Monts de l'Audomarois nous impose une gestion vertueuse de longue date, ce qui implique un rendement optimisé du réseau réduisant les pertes en eau. En intégrant les parts assainissement et eau potable nous avons un prix de l’eau de plus de 5€ par mètre cube, plus élevé que la moyenne nationale, mais qui doit permettre de financer les investissements nécessaires à l’entretien du réseau : il faut bien comprendre que « c’est l’eau qui paye l’eau », et non la fiscalité. Nous investissons ainsi plus de 4 millions d’euros chaque année dans la qualité du réseau. Notre rendement est de 93% parmi les meilleurs au niveau national, soit un taux de fuite de 7% entre l’eau prélevée et l’eau acheminée. Nous renouvelons régulièrement les tronçons de canalisation pour identifier les tronçons défaillants et les renouveler. Pour identifier les fuites nous déployons différents dispositifs techniques. Nous mettons bien sûr en œuvre la sectorisation de la distribution, avec le comptage aux nœuds de distribution. Nous conduisons des campagnes de recherche par sonar, et mettons aussi en place des sonars à demeure, avec des écoutes permanentes permettant de détecter les anomalies, ce qui réduit d’ailleurs nos coûts d’investigation. Nous utilisons également des technologies plus innovantes, avec par exemple des robots de détection placés dans les canalisations, qui circulent sur des tronçons donnés et identifient les anomalies et fragilités."

Vous faites également partie des précurseurs sur la gestion active de la nappe.

Bertrand Ringot : " Nous sommes propriétaires de nos forages de prélèvement et dans l’optique de la préservation et de la bonne gestion de la nappe, nous avons mis en œuvre dès les années 70 un dispositif de réalimentation de la nappe. Sur le site de la rivière Houlle, la recharge naturelle de la nappe n’étant pas suffisante, nous prélevons l’eau de surface, et après pré-traitement de cette eau, nous la réinjectons dans la nappe par le biais de bassins de réalimentation, de manière à améliorer le niveau de la nappe et si nécessaire répondre aux besoins durant la période la plus sensible, c’est-à-dire la période d’étiage. Si en amont de la période d’étiage le niveau de la nappe est trop déficitaire, ce dispositif permet de la recharger et d’atteindre un niveau convenable. Ce dispositif, ainsi que les autres technologies que nous déployons, ne dispensent absolument pas des efforts de sobriété (et vice-versa) : il y a 40 ans le territoire prélevait 19 millions de mètres cubes, aujourd’hui nous en prélevons 14 millions."

Comment engagez-vous le monde agricole dans vos démarches ?

Bertrand Ringot : " Le monde agricole a été mobilisé pour participer aux actions de préservation de la ressource en eau souterraine. Nous travaillons ainsi avec l’Agence de l’Eau autour d’un Contrat d’Action pour la Ressource en Eau en partenariat avec la Communauté de Communes du Pays de Saint Omer qui vise à définir conjointement avec le monde agricole les objectifs de baisse des pressions d’origine agricole, permettant à terme une amélioration de la qualité de l’eau.  Pour atteindre ces objectifs, la CAPSO et le SED développent une démarche de protection de la ressource en intégrant le format d’un dialogue territorial réunissant l’ensemble des partenaires du territoire et notamment la Chambre d’Agriculture et le Parc Naturel Régional. En complément les outils tels que les Paiements pour Services Environnementaux et les Mesures Agro-Environnementales et Climatique sont déployés en intégrant pleinement l’enjeux de préservation de la ressource en eau potable."

Comment engagez-vous le monde industriel ?

Bertrand Ringot : " Dès les années 70 le territoire a mis en place un réseau spécifique de distribution d’eau de surface, distinct de l’eau potable, pour alimenter les grandes industries s’installant sur le Grand Port Maritime de Dunkerque. Ce réseau spécifique a permis de préserver la ressource en eau potable, tout en permettant aux industriels de disposer d’une alimentation en eau pour leurs besoins de process. Ainsi, alors que l’eau potable prélevée à partir de la nappe de l’Audomarois représente 14 millions de m3, pour qui concerne l’eau industrielle ce sont 22 millions de m3 d’eau de surface prélevés au canal de Bourbourg en amont de l’embouchure maritime qui sont orientés vers les industries du site industrialo portuaire de Dunkerque. Nous avons également dédoublé les canalisations alimentant les industriels afin de limiter les risques éventuels (rupture du réseau, acte de malveillance..) et ainsi sécuriser l’alimentation des sites industriels. Nous avons le deuxième réseau de France en eaux industrielles, et sommes parmi les secteurs qui connaitront le plus gros développement industriel sur la prochaine décennie (chimie, agroalimentaire, batteries, réacteurs EPR, activité portuaire…). Nous devons ainsi sécuriser la ressource et inciter les industriels à moderniser leurs réseaux et tendre vers une économie circulaire de l’eau.

Nous avons déployé une « Toile de l’Eau Industrielle » en partenariat avec l’Agence d’urbanisme locale (AGUR) : un outil prospectif permettant de partager des données exhaustives auprès de l’ensemble des acteurs du territoire. Les informations et données techniques (consommations, qualité de l’eau, process industriels…) sont agrégées sous forme de toile qui permet d’identifier les synergies entre les différentes entités, les différents sites industriels et ainsi construire les opportunités d’économie circulaire de l’eau industrielle. La Toile de l’Eau Industrielle a été identifiée comme outil majeur au service de l’économie de la ressource en eau et le territoire a été sollicité afin de le présenter lors de la conférence de l’ONU sur l’eau à New York en mars dernier."

Merci pour tous ces éléments, en conclusion, quel conseil donneriez-vous à vos confrères ?

Bertrand Ringot : " L’impulsion politique est indispensable et mes différentes fonctions me permettent d’être sur les différents fronts pour concrétiser mon engagement en matière de gestion de l’eau. Il m’apparait important de faire comprendre aux usagers qu’il s’agit d’une démarche « éco-gagnante », bonne pour notre environnement et aussi pour le pouvoir d’achat. Si l’on veut que les politiques publiques aient un impact, cela passe par des changements de comportement, dans une logique d’équité. Il y aura évidemment des résistances au changement, inhérents à notre société. Mais les bouleversements climatiques et énergétiques ne nous laissent plus le choix et nous amènent à modifier nos comportements. Je suis maire depuis 20 ans et je sens clairement un changement d’ère, et de notre rapport à la consommation."