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Jean Launay : "Les objectifs de développement durable, un levier pour remodeler la politique grand cycle de l'eau"

Dans le cadre de la deuxième séquence en cours des Assises de l’eau, le président du Comité national de l’eau et du Partenariat français pour l’eau, Jean Launay, a remis ce 16 mai un rapport sur la politique de l’eau à la secrétaire d’État Emmanuelle Wargon. L'ancien député dévoile en avant-première à Localtis ses grandes lignes et sa vingtaine de propositions pour le grand cycle de l’eau, travaillées à la lumière des cibles et objectifs de développement durable (ODD) à atteindre à l'horizon 2030.

Localtis - Dans quel esprit avez-vous réalisé ce rapport ?

Jean Launay - J'ai pu travailler durant trois mois avec une grande indépendance ; ce rapport en porte la marque. Il prend place dans le cadre de la seconde séquence en cours des Assises de l’eau. Lancée en novembre dernier, cette seconde phase concerne le grand cycle de l’eau. Elle a pris du retard et se terminera cet été. Si j'ai plaidé pour l'idée d'une nouvelle séquence, sachez qu'il y avait à l'époque des résistances, ce n'était pas du tout gagné. Depuis, quatre groupes de travail planchent sur les thématiques "économiser l'eau", la "protéger" et la "partager". En parallèle, j'ai été chargé d’assurer une mission transversale sur d'autres enjeux et notamment sur la mise en œuvre de l'objectif n? 6 des 17 objectifs de développement durable (ODD) approuvés en 2015 par les Nations unies dans le cadre de l'Agenda 2030. On est en plein dans le calendrier puisque la feuille de route française pour la mise en œuvre des ODD est quant à elle attendue fin juin. Mon rapport, nourri par l'écoute des principaux acteurs du secteur de l'eau, dont les associations d'élus et comités de bassins, porte donc sur ces sujets transversaux liés à la politique grand cycle de l’eau : la prise en compte des ODD, la gouvernance et le financement.

Les collectivités connaissent peu les ODD. Ce cadre de référence commun est-il un bon outil pour elles ?

C'est même un formidable outil ! Cette feuille de route universelle fixe pour de grands enjeux mondiaux (pauvreté, faim, santé, éducation, égalité des sexes, travail, énergie, inégalités, villes, consommation et production, climat, vie terrestre et aquatique et... eau) des cibles chiffrées à atteindre en 2030. Elle est assortie d'indicateurs précis pour mesurer les progrès accomplis. Ces ODD forment un cap, une direction commune pour une appropriation partagée des enjeux de transition écologique. Ils poussent les stratégies de moyens à se transformer en stratégies de résultats. Et ne sont nullement déconnectés du terrain. Bien au contraire, ils peuvent aider à développer un langage commun, à favoriser les échanges entre collectivités, à renforcer les synergies entre services. Ses cibles ne peuvent être atteintes sans une forte déclinaison territoriale. Elles peuvent aider à guider, réorienter, amplifier des actions ou politiques publiques en cours.

Quelles cibles sont directement liées à l'eau et à l'assainissement ?

Il y en a une vingtaine. L'appropriation des ODD par les collectivités, leur rôle clé pour atteindre ces cibles, sont au coeur du guide publié en novembre dernier pour le congrès des maires et produit conjointement par le Partenariat français pour l’eau avec l’Association scientifique et technique pour l'eau et l'environnement (Astee), l’AMF, le Sedif et la Banque des Territoires. Ce guide se veut très concret, utile aux élus pour les aider à appréhender les différentes façons d’intégrer ces objectifs dans l’exercice quotidien de leurs missions. Il est assorti de 17 exemples de collectivités métropolitaines et d’outre-mer qui ont mis en place des actions inspirantes. 

À la lumière de ces objectifs, cibles et indicateurs, quelles sont vos propositions pour le grand cycle de l’eau ? 

Une série de propositions visent à améliorer la gouvernance, avec un État plus fort, qui doit tracer des lignes directrices en utilisant mieux les leviers que sont les agences - c'est à dire ses propres outils -, en s'adossant aux collectivités décentralisées organisées autour de la gestion par bassin versant, en faisant confiance et en cessant les disparités d'interprétation pour déboucher sur un schéma commun national. Partant du constat que la carte nationale des schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (Sage) est encore lacunaire, tout particulièrement dans l'est de la France, je suggère de la compléter sur tout le territoire et aussi de renforcer la maîtrise d'ouvrage pour qu'elle puisse partout porter la mise en œuvre des compétences du grand cycle de l’eau, autrement dit les huit items hors Gemapi.

Vous suggérez également de créer des postes de préfets de l'eau ?

Oui, ils seraient rattachés au préfet coordinateur et capables de représenter l’État dans toutes les instances de l'eau du bassin. Pas d'inquiétude, ils ne chômeraient pas, il y a de quoi faire ! Pour que la gouvernance de l'eau soit plus démocratique, il faut aussi veiller à l'acceptabilité citoyenne de la facture d'eau et son emploi. Et ouvrir les comités de bassin à des citoyens tirés au sort ou à d'autres catégories comme les urbanistes. Puisque les agences - dont le malaise est au passage pointé dans mon rapport - contribuent à son financement, je propose de rebaptiser l'Office français de la biodiversité en Office français de l'eau et de la biodiversité. L’aide publique au développement (APD) des collectivités peut aussi être renforcée. Le 1% solidarité-eau permis par la loi Oudin-Santini est sous-utilisé, seul un tiers de sa capacité est affecté à la coopération décentralisée. Pour répondre aux indicateurs des ODD dans les pays avec lesquels nous coopérons, utilisons-le davantage, faisons-en un véritable levier.  

Et vos propositions sur le financement ?

Sacralisons le budget des agences de l'eau pour qu'elles soient en mesure de mettre pleinement en œuvre les politiques publiques et mettons fin au plafond mordant qui les bride. Je recommande aussi de ne plus comptabiliser les dépenses des collectivités, départements et régions dans le domaine de l'eau en fonctionnement mais en investissement. Et de considérer que les dépenses des agences et syndicats sont des dépenses d'intervention, assimilables à de l'investissement. Enfin, pour trouver d'autres sources de financement, j'entrevois quelques pistes : élargir le principe pollueur/payeur au financement dans la biodiversité sèche ; créer des redevances pour l'artificialisation des sols et pour l'usage de l'azote minéral ; élargir sous certaines conditions l'Aqua Prêt de la Banque des Territoires au financement du grand cycle de l'eau ; et enfin mobiliser davantage les fonds européens, un sujet crucial sur lequel il faut d'urgence nous mettre tous autour de la table.