Jean-Luc Boch (ANMSM) : "Sauver la planète en arrêtant le ski, c'est de l'utopie"

L'Association nationale des maires des stations de montagne (ANMSM) a tenu son assemblée générale le 20 septembre à Paris. Dans une ambiance passionnée, une centaine d'élus venus de tous les massifs ont abordé pêle-mêle l'adaptation des stations au changement climatique, les meublés touristiques et l'habitat permanent, mais aussi leurs places dans un environnement politique, juridique et médiatique qui les montre souvent du doigt. Jean-Luc Boch, président de l'ANMSM et maire de La Plagne-Tarentaise, revient sur ces débats pour Localtis.

Localtis : Les travaux de votre assemblée générale ont amené les participants à aborder beaucoup de sujets, parfois avec véhémence. Quelle synthèse tirez-vous de cette journée ?

Jean-Luc Boch : Ce qui était voulu, c'était de ne rien cacher. Nous n'avons pas l'habitude de mettre la poussière sous le tapis. On a par exemple parlé d'une chose qui nous tient à cœur en montagne : les retenues collinaires. Nous avons encore dans notre débat un amalgame ô combien lamentable avec les bassines, qui relèvent du pompage en nappe phréatique, alors que les retenues collinaires consistent à retenir l'eau quand elle est en surabondance pour la redistribuer pour différents usages : la neige de culture, l'agriculture, l'arrosage ou tout simplement l'alimentation humaine en eau potable. On est tout le temps dans des polémiques et il faut à un moment donné les arrêter car on n'est pas dans les vrais sujets. Une partie des ONG et des détracteurs de la montagne est focalisée sur le fait que si on arrête l'activité économique de ski en montagne, on va sauver la planète. C'est de l'utopie, de la démagogie, du grand n'importe quoi !

Dominique Faure, ministre déléguée aux Collectivités territoriales, a suscité les applaudissements de la salle en affirmant, lors de la clôture de vos travaux : "Vous avez en moi quelqu'un qui vous soutient. J'aime vos stations de montagne et il nous faut continuer. La neige est là, et même si on réfléchit à cinq, dix, vingt ou trente ans, aujourd'hui profitons de cette neige." Qu'en avez-vous pensé ?

J'ai adoré ces propos. C'est la première fois qu'on a des paroles aussi fortes. Notre modèle a permis de maintenir des centaines de milliers d'emplois sur nos territoires. Si demain on supprime ce travail, on supprime ces personnes et toutes leurs familles, et derrière on supprimera tous les services à la population : hôpitaux, écoles, etc. Le ski est une vie économique et un modèle social sur un territoire. C'est la seule "usine" dans laquelle on veut supprimer des emplois sans qu'il y ait un buzz médiatique. C'est extraordinaire. Si on était la cause directe du changement climatique, je serais le premier à dire "on arrête tout". Mais ce n'est pas du tout le cas. Si on arrête de fonctionner demain, ça ne changera rien. Pire, notre modèle a été créé pour que les Français prennent des vacances à la montagne et en France, et ils en ont besoin. Ça évite de les mettre dans des avions vers des destinations exotiques, là où l'empreinte carbone est totalement négative.

En termes de transports vers vos stations, justement, que réclamez-vous ?

On ne communique plus du tout sur les vols long-courriers à destination des montagnes françaises et on demande à cor et à cri de rétablir des lignes ferroviaires dignes de ce nom, de remettre les trente rames de TGV supprimées ces dix dernières années et qui n'ont pas été remplacées, de remettre des trains de nuit. On ne demande pas l'impossible. Quand on voit que le gouvernement a effacé une dette de 35 milliards de la SNCF, on se dit que cet argent est aussi le nôtre. En face, il doit y avoir un effort pour recréer des places de voyageurs et donc des destinations décarbonées.

À propos de décarbonation, la question des performances énergétiques des logements se pose aussi dans vos territoires alors que 59% des résidences secondaires en France se trouvent en montagne…

On est tous d'accord sur l'objectif d'abaissement des DPE [diagnostics de performance énergétique], mais le calendrier n'est pas tenable. Le gouvernement n'a pas compris le modèle des résidences secondaires en montagne. Si vous mettez à la location permanente un logement en haute altitude, à 2.000 mètres, personne ne viendra y habiter à l'année car il n'y a pas d'emplois sur les intersaisons, mais aussi, et on peut dire ce qu'on veut sur le changement climatique, quand au printemps ou en automne il fait -5° et il neige ou il pleut tous les jours, vous n'avez qu'une envie : descendre en vallée. Cela fait qu'on ne pourra jamais transformer ces hébergements en résidences principales. Par ailleurs, on n'avait jamais demandé d'augmenter le plafond [d'abattement sur les recettes de location de meublés en courte durée] à 71%. Ça a été fait par on ne sait qui, personne n'est capable de nous le dire.

Vos travaux ont mis en évidence le fait que la diversification des pratiques afin d'attirer des touristes en toutes saisons est à l'œuvre depuis de nombreuses années dans vos territoires. Dans ces conditions, êtes-vous favorable à perpétuer les investissements tels qu'ils ont eu lieu dans les stations depuis plusieurs décennies ?

Les investissements ont déjà été fortement diversifiés. L'usage initial était l'usage hivernal, lequel s'est transformé en ludique estival : pistes de descente de vélo, chemins de randonnée, etc. Les appareils de remontées mécaniques étaient donc aussi destinés à faciliter cette accessibilité de la montagne. Toutes les activités sont en train de changer, mais ce n'est pas nouveau, cela fait vingt ans qu'on change et qu'on utilise de plus en plus nos équipements en intersaison et surtout durant l'été. Donc, on change le modèle, mais personne ne veut l'arrêter. Si demain on n'a plus de neige naturelle et qu'on n'a pas la capacité de faire de la neige de culture en complément de la neige naturelle, car aucune station ne tourne uniquement sur de la neige de culture, on arrêtera. Depuis soixante ans, notre modèle a eu des hauts et des bas, ce n'est pas la première fois qu'on a des difficultés avec l'enneigement. Mais si vous remarquez bien, il s'agit plutôt d'un dérèglement climatique : on a peu de neige en début de saison, mais on en a toujours beaucoup plus au printemps.

Vos débats ont parfois été tendus quand il s'est agi de savoir à quel niveau doivent se prendre les décisions concernant les territoires de montagne. Avez-vous l'impression d'être malmenés, en tant qu'élus locaux, par des organisations d'envergure nationale ou internationale ?

L'État français est une démocratie. Le vote a mis en place des élus, c'est comme ça que ça fonctionne. Cette démocratie est censée appliquer une politique qui a été "vendue" à des habitants sur un territoire. Quand on met en place une économie, c'est pour qu'elle rapporte de l'argent, lequel permet de réaliser des infrastructures qui se mettent à leur tour au service de la population locale, ou alors je n'ai pas tout compris. On veut toujours en France avoir une péréquation horizontale et partager avec tout le monde. Cela veut dire que les bons élèves qui créent de la richesse sur leur territoire doivent partager avec ceux qui ne veulent rien faire. Ce n'est pas ma vision.

Comment la saison à venir s'annonce-t-elle ?

En termes de réservations, c'est très positif. Nous sommes en avance sur les chiffres de l'année dernière, lesquels étaient déjà en avance sur les précédents. Il y a toujours un engouement pour la montagne française. Il reste à voir si nous serons en adéquation avec les possibilités d'emplois.

L'an dernier, quinze à vingt mille emplois n'avaient pas été pourvus ou l'avaient été avec de grandes difficultés dans les stations de ski. Comment l'expliquez-vous ?

On assiste à un phénomène qui n'existait pas il y a quelques années : des personnes annoncent à leur patron qu'elles ne reviendront pas le lendemain et ne finiront donc pas la saison car elles ont acquis leurs droits au chômage. Là il y a peut-être quelque chose à faire au niveau législatif.

De votre côté, comment pouvez-vous agir ?

En tant que maires nous insistons sur deux points, même si nous n'avons pas toujours la main. D'abord, avoir des logements saisonniers dignes de ce nom. Les cages à lapins, c'est fini, il faut arrêter les bêtises ! Et ensuite que les salariés soient payés correctement. L'esclavagisme, on n'en veut pas ! J'ai convoqué plusieurs fois des employeurs qui m'ont dit : "Je m'en fiche, c'est mon commerce." Je leur ai répondu que j'allais faire leur contre-promotion et qu'il ne fallait pas se moquer du monde. Mais nous sommes dans une dynamique positive. Les employeurs ont compris que s'ils logeaient et payaient bien, ils auraient des salariés efficaces et n'auraient pas besoin d'en chercher d'autres.

Dernier point, les annonces et précisions de Dominique Faure sur les aides de l'État – Fonds vert, Dsil, DETR, dotation biodiversité qui va passer de 30 à 100 millions d'euros, etc. – correspondent-elles à vos attentes ?

Pas totalement, mais chaque commune étant totalement différente, chaque commune peut avoir des besoins totalement différents. Certaines auront besoin d'équipements spécifiques pour leur domaine skiable, si elles sont en régie ou en SEM, d'autres pour des installations estivales. Il y a toujours des manques dans les financements, mais nous ne sommes pas des mendiants. Les montagnards sont avant tout des bosseurs. Ce qu'on demande, c'est qu'on nous laisse vivre du fruit de notre travail. Ça s'arrête là. Très peu de communes sont subventionnées à 60, 70 ou 80% car il y a une activité économique derrière qui fait vivre un écosystème. Quémander des sommes parfois fantastiques alors qu'on a les moyens d'investir, c'est ne pas être digne d'être montagnard.