La Ciotat (13) implique ses agents dans la lutte contre l'illettrisme

Pour contrer l'illettrisme, facteur d'exclusion, La Ciotat (Bouches-du-Rhône) mène une politique globale, sur la ville et dans ses propres services. Une action menée en partenariat avec les acteurs locaux de l'insertion et le centre de ressources illettrisme (CRI) régional.

L'illettrisme - absence de maîtrise ou "désapprentissage" de l'écrit - constitue un obstacle à l'insertion et à l'évolution professionnelles de quelque deux millions de Français. Les collectivités territoriales s'y trouvent confrontées au double titre d'acteurs de politiques publiques et d'employeurs. Et là, ce sont surtout les agents les moins qualifiés qui sont concernés. A La Ciotat (33.000 habitants, 800 agents), la première prise de conscience remonte à la fin 2003. "Sur la ville, le phénomène était alors totalement méconnu, au niveau de la population comme des agents communaux. Nous éprouvions toutefois le sentiment diffus de sa réalité", commente Bruno Andrey, directeur général adjoint du développement social. Pour progresser, une collecte de données qualitatives et quantitatives est alors lancée, afin de dimensionner le problème et d'identifier les populations touchées. Elle aboutira en décembre, avec la présentation du premier panorama social de la ville. En 2004, la municipalité s'est engagée plus directement, en signant un partenariat technique avec le centre de ressources illettrisme régional, affilié à l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme (Anlci), afin de porter un regard plus professionnel et plus actif, et à travers des propositions. Dans ce cadre, la municipalité s'efforce d'améliorer les conditions d'intervention des services impliqués dans la lutte contre l'illettrisme : enseignement, culture, bibliothèque...

Priorité aux services d'aides-ménagères

Ici, l'illettrisme semble étroitement lié à l'histoire de la ville. Lors de la fermeture des chantiers navals, en 1986, l'institution municipale a joué un rôle d'amortisseur social en absorbant un nombre élevé de personnels sans qualification professionnelle, recrutés sans concours, essentiellement dans les services d'aides-ménagères et d'entretien des bâtiments. Depuis, de nouvelles procédures de gestion des ressources humaines ont alerté la ville sur quelques cas d'illettrisme, à l'occasion de l'analyse des évolutions de carrière, de la validation des acquis de l'expérience ou de conventions imposant des démarches qualité. "Beaucoup d'insuffisances ont été ainsi mises à jour, explique Bruno Andrey. Le vieillissement des personnels a aussi induit des reclassements sur des postes administratifs et montre l'ampleur du problème." Aussi le Ccas qui gère une soixantaine d'aides-ménagères a-t-il engagé une démarche de qualification des personnels. Les évaluations, qui font appel à l'écrit, permettent de repérer des agents en difficulté, "probablement une dizaine", estime Bruno Andrey. Dans un contexte porteur de remise à niveau de l'organisation et de professionnalisation, l'approche est collective, au niveau du service, par le biais de groupes de parole et d'analyse des conditions d'exercice du métier. Elle est ensuite complétée par un soutien psychologique individuel. Un plan de trois ans (2005-2007) prévoit ainsi la titularisation des deux tiers des aides-ménagères.

L'accueil aux guichets, un outil de repérage

Bruno Andrey déplore "le manque crucial de données chiffrées sur la nature et l'ampleur de l'illettrisme au niveau local, qui rend plus difficile la programmation d'actions ciblées". Avec d'autres institutions recevant du public, la municipalité s'est alors concentrée sur le dépistage. En misant sur les agents d'accueil, situés à un point névralgique pour repérer les personnes en difficulté. Depuis deux ans, la ville travaille avec le réseau Agents relais d'accueil (ARA), un dispositif régional de formation animé sur place par la mission locale du canton de La Ciotat. Il intervient notamment sur le décloisonnement institutionnel et une meilleure coordination de la fonction premier accueil (mairie, Ccas, associations). Le CNFPT a déjà dispensé des formations intercommunales à une trentaine de ces agents, pour qu'ils acquièrent un socle de connaissances communes et puissent échanger des bonnes pratiques. "Mais nos actions restent fragmentaires, regrette Bruno Andrey. Il faudrait les étendre aux guichetiers des banques, aux caissières de supermarché qui remplissent les chèques des clients, ainsi qu'aux bailleurs sociaux." Si les générations intermédiaires sont globalement épargnées par l'illettrisme, le phénomène risque de resurgir avec les 16-20 ans qui montrent un fort taux d'abandon scolaire. "Je crains que sans dispositif d'alerte relayé par des politiques de résorption, nous n'allions au-devant de grandes difficultés", conclut Bruno Andrey.

Catherine Barnasson / EVS Conseil pour Localtis

"Il faut réenclencher la dynamique de l'apprentissage"

Françoise Gautier-Etié est chef de projet de la lutte contre l'illettrisme au Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT).

Comment les collectivités territoriales appréhendent-elles l'illettrisme au sein de leur propre personnel ?

Si on applique le taux national de 9% d'adultes illettrés aux 47% d'agents territoriaux de catégorie C recrutés sans concours, cela donne une représentation assez juste de la situation. Pourtant, les collectivités méconnaissent l'ampleur de l'illettrisme et le mot reste tabou. La moitié seulement des collectivités contactées dans le cadre d'une enquête (2004-2005) ont répondu et les résultats posent davantage de questions qu'ils n'apportent d'éléments de réponse. 60% des collectivités disent n'identifier aucune situation d'illettrisme, ni parmi les employés, ni parmi les usagers. Et 6% ont retourné le questionnaire avec la mention "sans objet". Deux seulement parmi celles qui ont mené des actions emploient le mot "illettrisme", un terme repoussoir, amalgamé à "ignorance", "incompétence" ou "analphabétisme", perçu comme une remise en cause de leur image et de leur recrutement. En revanche, 66% des collectivités souhaitent connaître les expériences menées par d'autres.

De quelle manière le CNFPT accompagne-t-il les collectivités dans cette lutte?

En décembre 2004, nous avons signé un accord-cadre national avec l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme (Anlci). Il rappelle que la formation des agents en difficulté est une priorité dans l'évolution de carrière. Il faut les aider à s'approprier ou à se réapproprier les compétences de base (préparation aux concours, formation continue). Cet accord vise le développement d'actions au plan régional, pour ces agents et pour ceux chargés de l'accueil qui jouent un rôle de veille sociale. Il entend aussi aider les responsables de ressources humaines à orienter les agents et à sensibiliser les chefs de services. L'idée est de créer des entrées buissonnières qui ne stigmatisent personne. Par exemple dans le cadre d'un projet de service, le chef de service repère des agents en difficulté et leur propose une formation de base, de neuf mois à trois ans, avec une approche faite à petits pas, dans le respect de la personne, qui soutiendra sa motivation et l'aidera à fixer des objectifs.

Qui sont ces agents en situation d'illettrisme et comment les repérer ?

Pas de profil type. Des hommes et des femmes, avec en moyenne 10 à 20 ans de carrière dans une collectivité. Leurs compétences techniques sont reconnues. La plupart présentent un parcours mêlant échec scolaire, ruptures avec l'environnement social, blocage dans l'apprentissage... Ils sont parfois titulaires d'un CAP mais ont perdu la maîtrise de l'écrit, faute d'avoir été sollicités dans leur vie professionnelle. Il faut réenclencher la dynamique de l'apprentissage. Si le rôle du collectif est déterminant, un suivi individuel est indispensable. Ces personnes déploient souvent des trésors d'imagination, au prix d'une souffrance inouïe, et une stratégie qui dénote une grande intelligence. Ils masquent leurs difficultés par peur du regard des autres et d'une remise en cause de leur travail par leur supérieur. Nous avancerons quand nous aurons inversé les représentations de ces personnes.
Contact : francoise.gautieretie@cnfpt.fr

L'illettrisme concerne 9% de la population adulte

Première du genre, l'enquête Information vie quotidienne (IVQ) de l'Insee 2004 porte sur un échantillon représentatif de l'ensemble de la population et se fonde sur un processus d'évaluation précis. Des chiffres parlants, à défaut de mots pour dire l'illettrisme...

Aujourd'hui, en France, plus d'une personne sur dix, soit environ 9% de la population âgée de 18 à 65 ans ayant été scolarisée en français, peut être considérée en situation d'illettrisme. La proportion est de seulement 7% parmi les personnes nées en France et de langue maternelle française. Cette part importante de la population ne maîtrise pas le socle fonctionnel de compétences de base, dont la lecture et l'écriture, nécessaires pour affronter de manière autonome des situations simples de la vie courante : circuler, faire ses courses, utiliser un appareil, suivre la scolarité de son enfant. Les femmes sont moins souvent en difficulté que les hommes et les jeunes beaucoup moins souvent que leurs aînés. Ainsi, 4% des 18-24 ans éprouvent des difficultés sensibles, contre 19% des 55-65 ans. Les compétences à l'écrit sont bien sûr fortement liées au niveau d'études : la moitié des personnes qui ont arrêté leur scolarité sans obtenir de certificat d'études ont du mal avec l'écrit, pour un quart de celles qui sont sorties de l'enseignement secondaire sans le BEPC ou un CAP. Un élément révélateur : chaque année, lors de la Journée d'appel à la préparation à la défense (JAPD), 11% des jeunes butent devant la compréhension d'un texte simple, et parmi eux, 4,4% connaissent des difficultés très importantes en lecture. L'enquête montre que la proportion de personnes en situation d'illettrisme augmente avec l'âge. Elle pointe par ailleurs un taux d'illettrisme élevé dans les régions d'outre-mer. Nombre de personnes ont développé de très habiles stratégies de contournement, mais leur situation les fragilise dans leur accès ou leur maintien dans l'emploi, dans l'accès à leurs droits, et les place en risque permanent d'exclusion. L'enquête traduit la nécessité d'une mobilisation renforcée et durable, pour permettre à tous l'accès à la lecture, à l'écriture, aux compétences de base et leur consolidation tout au long de la vie.

Aller plus loin sur le web :
 
Le centre ressources illettrisme de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur.
http://www.illettrisme.org
 
L'étude "Les difficultés des adultes face à l'écrit", Insee Première, avril 2004.
http://www.insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/IP959.pdf

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