La Cour des comptes étrille le bilan financier de la Coupe du monde de rugby 2023

Le rapport de la Cour des comptes sur l'organisation de la Coupe du monde de rugby 2023 en France laisse apparaître un budget non maîtrisé, un héritage en danger et des défaillances de l'État, y compris vis à vis des  collectivités-hôtes.

C'est un placage à retardement plutôt viril que la Cour des comptes vient d'infliger aux organisateurs de la Coupe du monde de rugby 2023 en France. Dans un rapport publié le 8 avril, la cour souligne que si la compétition a été un "incontestable succès populaire, médiatique et sportif" et a entraîné une hausse du nombre de licenciés de la Fédération française de rugby (lire notre article du 23 mai 2024), "des dysfonctionnements ont conduit à des choix stratégiques hasardeux qui ont entraîné des pertes substantielles".

Tout d'abord, le budget exécuté par le GIP France 2023 (groupement d'intérêt public associant la FFR et l'État) s'est élevé à 478,1 millions d'euros en recettes et à 423 millions en dépenses, soit un montant supérieur de 31% au budget initial. Le jugement de la cour est cinglant : "Le soutien de l'État à la candidature de la FFR a été apporté sans examen préalable approfondi de la soutenabilité et de la cohérence du budget de candidature et en méconnaissance d'éléments essentiels de cette candidature." De son côté, le compte du GIE (groupement d'intérêt économique géré par la FFR et chargé de commercialiser les droits d'hospitalités et de voyages achetés à grands frais à la fédération internationale World Rugby) pourrait terminer, compte tenu des contentieux fiscaux et commerciaux en cours, avec un déficit de 53 millions d'euros. 

Des ressources en héritage nulles voire négatives 

Quant au montant total des contributions publiques, il s'élève à 138,6 millions d'euros, soit 50% de plus que dans le budget de candidature. "C'est notamment le cas des contributions des collectivités territoriales, définies de façon imprécise sur le plan financier comme sur le plan matériel dans la phase de candidature et qui ne reposaient alors sur aucun engagement chiffré précis, avance la cour. Cette impréparation initiale puis la précipitation avec laquelle ont été passées les conventions avec les collectivités territoriales-hôtes ont conduit à des tensions dans leur exécution du fait de leur déséquilibre initial."

Au total, cette Coupe du monde qui devait rapporter 68 millions d'euros, pourrait laisser un déficit de 13,9 millions d'euros, tandis que les pertes de la FFR pourraient aller jusqu'à 29 millions. Dans ce contexte financier négatif, la cour note encore que "le versement des aides aux villes et métropoles-hôtes au titre de l'héritage a été interrompu à la date d'engagement des opérations de liquidation, tandis que plusieurs partenaires du comité d'organisation, à l'image [...] des régions et des départements, sont exclus du projet de répartition de l'excédent disponible". "Les ressources laissées en héritage pour le développement du rugby en France sont quasi nulles voire négatives", conclut la cour.

Le contrôle de l'État défaillant 

Symbole de ce fiasco, le programme "Campus 2023", qui visait à former 2.023 apprentis dans les domaines du sport, de l'événementiel et de la sécurité, a enregistré un déficit sur le compte "rémunérations" du CFA de 33 millions d'euros et n'a finalement profité qu'à 1.297 jeunes dont l'"insertion dans l'emploi sportif paraît incertain".

Pour expliquer ces résultats, outre des "projets disparates" et des choix stratégiques "mal maîtrisés", la Cour des comptes met en cause "une forme d’insincérité des révisions budgétaires annuelles" et la responsabilité directe de Claude Atcher, directeur général du GIP avant d'être révoqué en octobre 2022, qui a "bénéficié d'une délégation de pouvoir illimitée". Mais elle pointe aussi l'État qui, alors qu'il disposait d'une minorité de blocage au sein du GIP, "a failli dans ses missions de contrôle".

Un avertissement dès 2018

Ces conclusions sont-elles surprenantes ? Pas vraiment. Dès 2018, un rapport des inspections générales des Finances (IGF) et de la Jeunesse et des Sports (IGJS) jugeait les relations entre les organisateurs et les pouvoirs publics déséquilibrés "jusqu'à la caricature" (lire notre article du 25 mai 2018). Les inspections pointaient un schéma où "les gains sont privatisés et les coûts (ou les pertes) socialisés" et estimaient que World Rugby "n'assume aucun risque ni charge, mais est assurée de recevoir une redevance très significative pour le droit d'organiser le tournoi". Lors de sa présentation le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, a rappelé que "pour World Rugby, cette Coupe du monde a été la plus rentable de son histoire et de très loin. Cela représente pour eux 500 millions. [...]. Vu de France, c'est la chronique d'un échec financier. C'est même un très bon cas d'école d'échec de gestion publique."

La Cour des comptes des comptes finit par avertir : "Les engagements pris par les pouvoirs publics auprès des fédérations sportives candidates à de grands événements sportifs internationaux devraient faire l'objet, contrairement à la pratique actuelle de cas par cas, de procédures établies rigoureuses permettant à l'État comme aux collectivités-hôtes de fonder leur soutien sur une expertise complète de la soutenabilité financière et opérationnelle de la candidature et des risques associés." Elle demande également que la gestion des droits commerciaux des grands événements sportifs internationaux soit à l'avenir intégrée dans la structure juridique du comité d'organisation. Les responsables des Jeux olympiques d'hiver 2030 sont prévenus... 

 

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