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Services publics - La culture inquiète de l'encadrement européen des subventions

Les collectivités délaissent les subventions au profit des procédures de marchés publics, par manque de connaissance des règles européennes. Le monde de la culture redoute cette évolution, mais les sénateurs se veulent rassurants.

Après les acteurs sociaux (HLM, organismes de formation, crèches...), le monde de la culture se rend compte qu'il est également touché. Dans un souci de transparence et de respect des règles de concurrence, l'UE encadre strictement les aides publiques aux services locaux depuis 2005. Dans les faits, la complexité et la raideur du système ont rendu celui-ci inapplicable. La Commission s'est donc attachée, l'an dernier, à le réviser, avec l'adoption d'un ensemble de textes baptisé "paquet Almunia". Mais, sur le terrain, l'heure est à "l'inquiétude", voire à "l'exaspération", rapportent les sénateurs membres d'un groupe de travail emmené par le socialiste Vincent Eblé.

La culture, un secteur économique ?

Pris en main tardivement par le secteur culturel, le sujet a d'abord été mal compris. Tout d'abord, les acteurs ont sous-estimé l'étendue du pouvoir de Bruxelles, dont la capacité d'interdire ou d'autoriser les "aides d'Etat", qui ne se limitent pas aux subventions nationales. Le concours des collectivités locales, y compris lorsque celles-ci mettent leurs locaux à disposition des associations, est aussi concerné. Deuxième difficulté, l'UE assimile les acteurs culturels à des "opérateurs économiques" agissant au sein d'entreprises. Si cette approche n'est pas contestée dans le secteur de l'audiovisuel et du cinéma, elle semble plus discutable pour le milieu associatif, le théâtre, la danse, etc.
Pour toute attribution d'une subvention, l'UE impose la mise en place d'un contrat, appelé "mandatement". Etabli entre la collectivité locale et le bénéficiaire, le document doit garantir que l'aide attribuée ne dépasse pas le coût de fourniture des activités d'intérêt général subventionnées. Un calcul précis doit alors être adopté, ce qui ne correspond guère à la réalité du terrain, selon les sénateurs. "Ces critères sont particulièrement complexes à respecter pour bon nombre d'acteurs culturels, en particulier pour les associations qui se trouvent soit dans une approche globale, soit dans une approche de création, qu'il est difficile de segmenter et d'évaluer à travers une comptabilité analytique."
Autre point, les projets résultent parfois de la rencontre entre les élus et les structures culturelles. Pour répondre à cette logique de "co-construction", il est alors possible de recourir à une "convention d'objectifs" qui avait été explicitée en janvier 2010 par une circulaire de François Fillon. "Mais beaucoup d'acteurs culturels estiment que ce texte reste imprécis et ne constitue pas une base juridique fiable. En tout état de cause, elle devra être actualisée", remarquent les sénateurs.

La culture, un service public ?

Le flou juridique, couplé au manque de maîtrise des règles européennes, entraîne parfois des situations fâcheuses. Les services des collectivités se détournent peu à peu des subventions pour se retrancher derrière les marchés publics ou les concessions, qu'elles connaissent mieux. Or, "les plus aptes à rédiger les lourds dossiers de candidatures ne sont pas toujours les acteurs culturels les plus pertinents". De plus, "l'essentiel des projets culturels et artistiques initiés et menés par des associations ne relèvent pas de la commande publique".
Afin de répondre aux attentes du monde culturel, les sénateurs esquissent plusieurs pistes. Rien ne sert de s'acharner à réclamer à l'échelle de l'Union un "service public culturel", car la France apparaît "relativement isolée dans son appréhension de cette question". En revanche, une action pourrait être menée du côté de "l'art lyrique" ou de "certains autres domaines du spectacle vivant", dont le niveau de subventions dépasse souvent 200.000 euros sur trois ans. Au-delà de ce seuil, l'octroi des aides est plus contraignant. Une révision reportée à l'été pourrait porter le seuil à 500.000 euros sur trois ans si les Etats l'acceptent. Si ce montant reste encore trop faible pour certaines structures, d'autres alternatives pourraient être discutées.
Les traités européens prévoient en effet un traitement spécial des "aides destinées à promouvoir la culture et la conservation du patrimoine". Mais cet article "est aujourd'hui assez peu exploité par la Commission européenne". Une négociation pourrait par exemple être engagée dans ce sens avec Bruxelles. Quoi qu'il en soit, le régime applicable doit respecter le "principe de proportionnalité", estiment les sénateurs, afin que les procédures retenues ne soient pas excessivement lourdes au regard des sommes engagées.
Par ailleurs, la Commission n'exclut pas de proposer à l'avenir des règlements, secteur par secteur, qui affranchiraient certains prestataires de l'application classique du droit de la concurrence et faciliterait le versement d'aides publiques. En novembre 2011, la France avait encouragé six autres Etats (Allemagne, Autriche, Luxembourg, Pays-Bas, Espagne et Hongrie) à se mobiliser pour que la culture soit traitée avec la même clémence que les services sociaux. Sans succès.