La fiscalité locale au service de la lutte contre l'artificialisation ?

Le "zéro artificialisation nette" (ZAN) conduit les collectivités à revoir leurs stratégies de développement fondées sur l'étalement urbain. Place à des politiques de sobriété foncière. Quel rôle la fiscalité locale peut-elle jouer dans cette révolution ? Plusieurs élus ont témoigné de leur expérience et de leurs points de vue sur le sujet, lors de la journée "Finances locales" qu'Intercommunalités de France a organisée récemment à Paris.

La communauté du Grand Autunois Morvan (Saône-et-Loire, 35.000 habitants) s'est fixé pour objectif de parvenir à une réduction de 20% de la vacance dans ses communes (au nombre de 55 au total), et même de 25% dans deux d'entre elles, Autun et Épinac. Cette ambition figure dans le plan local d'habitat intercommunal (PLHI).

Dotée de la compétence habitat-logement depuis 2017, la communauté de communes a "passé au peigne fin" les documents d'urbanisme, dans l'idée d'optimiser le foncier bâti. Ses élus voulaient avoir le réflexe de requalifier les friches ou les bâtiments vétustes, plutôt que d'étendre systématiquement les aires construites. Avant même le vote de la loi Climat et du principe du zéro artificialisation nette (ZAN), la démarche présentait selon eux un intérêt, y compris dans une zone à faible pression immobilière. Elle s'inscrit aujourd'hui dans le cadre de l'opération programmée d'amélioration de l'habitat et de renouvellement urbain, qui est mise en place avec le déploiement des programmes Action cœur de ville et Petites Villes de demain. L'objectif est notamment, grâce à un accompagnement financier, de "donner envie" à des propriétaires de logements vacants de requalifier ceux-ci. Et donc, au final, de remettre ces biens sur le marché, a indiqué Marie-Claude Barnay, présidente de la communauté, qui participait le 24 janvier à une table-ronde d'Intercommunalités de France sur "les leviers fiscaux dans la perspective du ZAN". L'opération s'accompagne de la reconversion, à l'initiative des collectivités, de lieux (hôtels, hypermarchés) qui n'avaient plus de destination. Elle porterait des fruits. "On commence à sentir que le marché bouge, avec l'arrivée d'investisseurs qui louent les biens qu'ils achètent", s'est réjouie l'élue. En outre, de nouvelles familles se seraient installées sur le territoire à la faveur du développement du télétravail.

"Ne pas jouer aux apprentis sorciers"

L'intercommunalité n'actionnera la taxe d'habitation sur les logements vacants (THLV) qu'en "dernier recours", autrement dit dans le cas où les incitations déployées actuellement ne seraient pas suffisantes pour réduire la vacance. À Autun, le conseil municipal a déjà recouru à des mesures "coercitives". Pour lutter contre la rétention foncière, il avait augmenté, en 2009, la surtaxe sur le mètre carré constructible, de 15 à 41 centimes d’euros. Avec un certain succès. En 2011, la municipalité avait suspendu le dispositif, au motif que les objectifs étaient atteints. "Sur les 76 hectares qui étaient potentiellement constructibles, plus d'une douzaine ont été construits, dont 5 hectares où il y a des aménagements pour des primo-accédants", a précisé la présidente de la communauté de communes.

Attention à ne pas "jouer aux apprentis sorciers" avec la fiscalité locale, a jugé de son côté Sébastien Miossec, président de Quimperlé communauté (16 communes et 56.000 habitants). Les intercommunalités doivent élaborer des stratégies fiscales à partir d'un panier fiscal qui est "régulièrement remis en question", a-t-il pointé. La taxe d'habitation a ainsi cessé de s'appliquer sur les résidences principales. Mais pas sur les résidences secondaires. Une évolution fiscale qui questionne l'élu de ce territoire littoral très prisé des habitants des métropoles voisines. En poursuivant une politique qui vise à réduire le nombre de résidences secondaires, l'intercommunalité "sciera la branche sur laquelle elle est assise", s'est désolé Sébastien Miossec. Pour autant, dans un contexte de très forte hausse des prix de l'immobilier ces dernières années, le besoin de politiques en faveur de la "mixité sociale et générationnelle" n'a jamais été aussi fort, a-t-il souligné.

Celui qui est aussi le président délégué d’Intercommunalités de France a donc plaidé pour qu'une partie de la ressource générée par l'explosion des transactions et des prix de l'immobilier aille au financement de telles politiques. "Aujourd'hui, on n'est pas pleinement outillé", a-t-il regretté. Autrement dit, la fiscalité qui pourrait jouer ce rôle pour le bloc communal reste à construire. L'élu a prôné par ailleurs une révision effective des valeurs locatives qui servent au calcul des impôts locaux, afin que celles-ci soient alignées sur les prix du marché. À ce titre, il a regretté que la loi de finances pour 2023 reporte de deux ans la révision prévue pour les habitations, qui devait, à l'origine, être prise en compte en 2026 dans les bases des impositions locales.

Des ressources nécessaires au financement de politiques incitatives

Un point de vue partagé par David Margueritte, président de la communauté d'agglomération du Cotentin (129 communes et 178.000 habitants), qui a parlé d'"occasion manquée". La révision est un véritable enjeu sur son territoire. L'écart allant "de un à quatre" entre les cotisations d'impôts locaux payées – pour un même type de logement – par les habitants de Cherbourg et ceux qui sont installés dans les communes voisines, a entraîné un véritable "exode", qui a favorisé l'étalement urbain. Par ailleurs, le territoire de la communauté accueille de très nombreuses résidences secondaires, contribuant à la tension immobilière.

Malgré les déséquilibres constatés, l'élu refuse de faire de la fiscalité un instrument destiné à orienter les choix des acteurs. Il dit préférer une fiscalité qui, par les recettes qu'elle génère, rend possible la mise en place de "politiques incitatives". David Margueritte a mis en avant par exemple le service gratuit d'accompagnement et les aides financières (jusqu'à 5.000 euros par logement) que la communauté a mis en place pour aider les particuliers à réaliser la rénovation thermique de leurs habitations. 20% des logements de la communauté sont des "passoires thermiques".

Compte tenu des évolutions rapides des marchés immobiliers, "il ne faut pas que les outils fiscaux tardent à arriver", a estimé Sébastien Miossec, en interpellant deux magistrats de la Cour des comptes présents lors du débat, David Carmier et Pauline Hodille. Les conseillers référendaires sont deux des auteurs du récent rapport du Conseil des prélèvements obligatoires sur "la fiscalité locale dans la perspective du ZAN".

Ne mettons pas "la charrue avant les boeufs", a répondu David Carmier. La négociation dans chaque région sur la territorialisation des objectifs du ZAN, l'élaboration des décrets et "l'accompagnement" du dispositif par l'État sont prioritaires, a-t-il dit. En mettant surtout en avant un écueil à éviter : l'exacerbation, avec le ZAN, des inégalités sociales et territoriales.