La gestion des impôts locaux entravée par des "dysfonctionnements"

Après la Cour des comptes et le syndicat Solidaires finances publiques au début de l'année, une mission d'information de la commission des finances de l'Assemblée nationale - créée sous la précédente législature à la demande du groupe socialiste - alerte à son tour sur des "dysfonctionnements" dans la gestion des impôts locaux. Dossier "le plus brûlant" selon les rapporteurs, Christine Pirès Beaune (SOC) et David Amiel (EPR) :  les nouvelles modalités de liquidation des taxes d'urbanisme, qui font peser un risque de "perte sèche" de plusieurs centaines de millions d'euros pour les collectivités. Le rapport revient aussi sur les loupés de l'outil "Gérer mes biens immobiliers".

Les conditions du transfert de la liquidation de la taxe d'aménagement et de la redevance d'archéologie préventive menacent les recettes que le bloc communal et les départements, pour l'essentiel, se partagent au titre de ces impôts. Des quatre dossiers concernant la gestion des impôts locaux abordés par la mission d'information, celui qui traite de la liquidation des taxes d'urbanisme est "sans doute le plus brûlant", a déclaré la rapporteure, Christine Pirès Beaune (groupe socialiste), en présentant le 18 juin les travaux qu'elle a menés. Avec l'autre rapporteur, David Amiel (EPR), elle pointe notamment "des dysfonctionnements graves dans la liquidation des taxes d’urbanisme, qui résultent en particulier des insuffisances du nouveau système de gestion automatisée de ces taxes". Ces outils ont été mis en place par la direction générale des finances publiques pour faire face au transfert au 1er septembre 2022 de la compétence de recouvrement des taxes d'urbanisme exercée antérieurement par les directions départementales des territoires et de la mer (DDTM).

Le rapport issu de leurs travaux cite des données de France urbaine faisant était d'une chute de 25% entre 2022 et 2023 du produit de la taxe d'aménagement pour ses collectivités adhérentes. Pour sa part, l'association Départements de France évalue un manque à gagner compris "entre 200 et 300 millions d'euros" en un peu plus de deux ans pour les départements. 

Risque de "perte sèche"

Les Conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) sont particulièrement vulnérables, parce qu'ils sont "financés à 80% par une portion de la taxe départementale de la taxe d'aménagement", comme l'a indiqué Christine Pirès Beaune lors de la présentation du rapport. Certains auraient déjà été "contraints de licencier".

Si les recettes étaient versées avec retard, le mal serait moindre pour les collectivités. Mais il existe un "véritable risque" de "perte sèche", avertissent les rapporteurs. En effet, le délai d’exercice du droit de reprise de l’administration fiscale (quatre ans après la naissance du fait générateur pour la taxe d’aménagement) pourrait être échu en ce qui concerne nombre d'ouvrages soumis à la taxe. Dans ce cas, l’impôt non liquidé pourrait ne pas être recouvré "du tout". Si cela devait arriver, les collectivités devraient obtenir une compensation financière, plaident les députés.

Le syndicat Solidaires Finances Publiques estimait au début de l'année qu'au moins 635 millions d'euros supplémentaires de taxes d'urbanisme auraient dû être versés par le fisc aux collectivités territoriales depuis fin 2022 (voir notre article).

Avis d’imposition erronés

Les députés se sont également intéressés à l'application de l'administration fiscale dénommée "Gérer mes biens immobiliers" (GMBI), dont la mise en œuvre à grande échelle en 2023 a été qualifiée de "chaotique" par la Cour des comptes (voir notre article).

Le lancement en 2023 du nouvel outil destiné à moderniser la déclaration des biens immobiliers "s’est opéré de manière trop précipitée et a manifestement manqué de pédagogie en direction des propriétaires", estiment les rapporteurs. Ces dysfonctionnements ont provoqué l’émission d’avis d’imposition erronés, comme ceux qui sont parvenus à 16.500 enfants mineurs. Cette situation s’est traduite par "des dégrèvements massifs à la charge de l’État et au bénéfice des collectivités locales", qui se sont élevés à 1,4 milliard d’euros en 2023. Il s'agissait d'un "gain sec" pour ces dernières, a précisé en souriant David Amiel.

Une "trop faible anticipation" et un "pilotage inadapté" sont à l'origine de ce fiasco, selon les députés. Ils critiquent aussi le choix fait par la DGFIP de "ne pas procéder à l’envoi de courriers papier aux usagers sans adresse courriel", ou encore les défaillances d'une communication qui a manqué de pédagogie.

Après son "lancement manqué" et sa "mise en place très difficile", l'outil accessible aux usagers depuis leur espace sécurisé du site impots.gouv.fr, a donné lieu en 2024 à une campagne déclarative "plus sereine, tant pour les contribuables que pour les agents de la DGFiP". 

"GMBI" : une campagne 2024 "apaisée"

Certes d'une moindre ampleur, la campagne déclarative 2024 s'est cependant "mieux déroulée" et ceci notamment grâce au plan d'action de la DGFIP (mise à disposition d’un formulaire "papier", instauration d’un accusé de réception, actions de relance auprès des propriétaires, amélioration du parcours déclaratif…). Un plan aujourd'hui bien engagé, puisque 22 des 41 actions prévues sont dans un état d’achèvement compris entre 50% et 75%, quatre n'étant pas encore lancées. Il reste que les montants dégrevés, notamment du fait de l'envoi d'avis d'imposition erronés, demeurent élevés en 2024 (1,3 milliard d'euros). Et ce montant devrait encore grimper puisqu'il est provisoire. Dans le détail, si le recouvrement de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires a connu "une nette amélioration", celui qui concerne la taxe d'habitation sur les logements vacants a au contraire donné lieu à une "forte hausse" des dégrèvements.

GMBI doit permettre de collecter les loyers pratiqués par les propriétaires bailleurs et ceci constitue un "préalable indispensable à la mise en œuvre de la révision des valeurs locatives des locaux d'habitation", estiment les rapporteurs. Qui soutiennent l'entrée en vigueur de cette révision dans les délais actuellement prévus (2028), en dépit des "transferts importants entre contribuables et entre collectivités territoriales qu'elle occasionnera "probablement".

Evolutions du cadastre

Déployé progressivement à partir de 2021, l'outil "Foncier innovant" a fait ses preuves dans le contrôle des constructions non déclarées - en particulier les piscines, constatent par ailleurs les rapporteurs. Grâce à cette application qui repose sur l'utilisation de l'intelligence artificielle, 40 millions d’euros de recettes fiscales supplémentaires sont attendus pour l’année 2024. Mais son extension prévue à la mise à jour du cadastre "suscite l’interrogation". Si la réforme voyait le jour, "la représentation au plan" serait "issue d’une prise de vue aérienne et non d’un relevé au sol, ce qui constitue un changement non négligeable dans la perception du bâti". En outre, le rôle des géomètres du cadastre serait remis en cause, souligne le rapport.

Ce dernier fait enfin le point sur les retards observés à partir de 2015 dans les travaux de publicité foncière. En concluant qu'ils ont régressé après un pic en 2020. Le délai moyen de mise à jour du fichier immobilier au niveau national est ainsi passé de plus de 150 jours en 2020 à 25 jours en 2024.

DGFIP : une image écornée

Ces dysfonctionnements trouvaient leur origine dans les retards dans la prise en compte des changements de propriétaires par les services de la DGFIP en charge de la publicité foncière et, donc, dans la mise à jour du fichier immobilier à laquelle ils sont tenus.

Les conséquences ont été bénignes pour les collectivités territoriales, qui "se voient garantir le versement du produit voté". En revanche, l'administration fiscale doit déplorer une détérioration de son image et une gestion alourdie des taxes foncières.

Les mesures prises par la DGFIP - dont la réorganisation des services de publicité foncière et la généralisation de la dématérialisation des relations avec les notaires - portent leurs fruits, puisqu'en 2024 les contentieux d'attribution ont entraîné des dégrèvements limités à 229 millions d'euros (contre plus de 500 millions d'euros en période critique).

 

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