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La loi "anticasseurs" arrive à l’Assemblée sur fond de vive polémique

La proposition de loi "anticasseurs" a été largement modifiée par la commission des lois, mercredi. Auditionné la veille par cette commission, le ministre de l'Intérieur a soutenu le texte, sur fond de polémique concernant les violences policières et l'usage du lanceur de balle de défense LBD. Le ministre promet plus de transparence. Il a demandé à ce que policiers et gendarmes soient équipés de caméras-piétons lors de l'acte 11 de samedi. Selon lui, quatre manifestants ont été grièvement blessé à l'oeil depuis le début des manifestations. Certains observateurs en comptabilisent 17.

Le ministre de l’Intérieur l’assure : la loi "anticasseurs" n’est "pas une loi anti-gilets jaunes". Il est vrai que dans sa proposition de loi visant à "prévenir et sanctionner les violences dans les manifestations, le sénateur LR Bruno Retailleau ciblait les "black blocs", qui s’étaient notamment illustrés lors de la dernière manifestation du 1er mai. Et le texte avait été adopté le 28 octobre par la Haute Assemblée, avant la crise actuelle. Mais c’est le gouvernement qui l'a inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée pour gagner un mois sur le calendrier parlementaire. D’ailleurs l’ancien maire de Forcalquier (Alpes-de-Haute-Provence) ne s’en est pas caché, mardi 22 janvier, devant la commission des lois de l’Assemblée : "Les forces de l’ordre attendaient ces signes et ces dispositions importantes pour que nous puissions agir." "Le bilan de ces manifestations est dramatique. Il est important de doter notre ordre public des meilleurs moyens d’assurer sa défense", a-t-il déclaré. Et malgré la réorganisation de la doctrine du maintien de l’ordre, rendu plus mobile, "le niveau de violence au sein des manifestations ne baisse pas", a encore justifié le ministre, évoquant des débordements à Bordeaux, Bourges, Nantes, Rennes, Montpellier et Toulouse, lors du dernier samedi.

"Casseur payeur"

Après avoir auditionné le ministre, la même commission des lois a apporté plusieurs modifications au texte, mercredi 23 janvier, avant l’examen en séance mardi prochain. Elle a notamment supprimé l’article 1 qui permettait au préfet, dans un périmètre délimité, d’autoriser des palpations de sécurité et des fouilles de sacs six heures avant une manifestation, jusqu’à sa dispersion. Mais la disposition qui suscitait le plus de craintes - quant à son détournement à des fins politiques - était la création d’un fichier d’interdits de manifestations, pris sur le modèle des interdits de stade. La commission des lois a adopté un amendement de la rapporteure Alice Thourot (LREM) visant à ce que les interdictions judiciaires de manifester soient plutôt inscrites au fichier des personnes recherchées (FPR).
Les députés ont aussi cherché à mieux encadrer le nouveau délit de dissimulation du visage lors des manifestations passible, dans la proposition de loi, d'"un an d’emprisonnement et 15.000 euros d’amende". "Ce n’est donc pas simplement la présence d’une personne dans une telle manifestation avec un casque ou une cagoule qui sera réprimée, mais le fait que cette personne, casquée ou cagoulée, a sans nul doute l’intention de commettre des troubles", précise Alice Thourot dans l’exposé de cet autre amendement. Les députés ont enfin cherché à mieux définir le principe du "casseur payeur" : l'État pourra exercer son recours sur le plan civil contre toute personne à l'encontre de laquelle sera rapportée la preuve qu'elle a participé aux faits dommageables.

Caméras-piétons pour l'usage des LBD

Pour Christophe Castaner, "la population attend un signe fort". Sept grandes associations de commerçants "à bout de nerfs" ont adressé un courrier au gouvernement en ce sens, a-t-il déclaré mardi. Mais il a aussi annoncé que les policiers et gendarmes seraient équipés de caméras-piétons lors de l’acte 11 des gilets jaunes, samedi 26 janvier. Cette mesure intervient au moment où enfle la polémique sur l’usage par les forces de l’ordre du lanceur de balles de défense LBD 40 (venu remplacer le Flash-Ball) ayant causé de nombreuses lésions graves chez les manifestants. "Au moment de l’usage des LBD, ils devront actionner ces caméras-piétons pour répondre à un débat ou à une contestation", a précisé le ministre de l'Intérieur. "Ce ne sera pas définitif et ne donnera pas lieu à une circulaire", a-t-il précisé aux députés.
Quelques jours après avoir déclaré n’avoir "jamais vu de policier et gendarme attaquer un manifestant ou un journaliste", le ministre a par ailleurs indiqué que quatre personnes ont été gravement blessées à l’œil depuis le début des manifestations des gilets jaunes, le 17 novembre. "Selon les dossiers qui me sont remontés, quatre personnes ont été frappées violemment à la vision – on parle de perte d’œil, je préfère ne pas reprendre ce terme-là, mais il y a actuellement quatre personnes qui ont eu des atteintes graves à la vision, certains pouvant éventuellement perdre un œil", a-t-il développé.
Un chiffre bien inférieur aux estimations de plusieurs observateurs dont le journaliste indépendant David Dufresne ou le collectif Désarmons-les qui recensent 17 cas de personnes ayant été gravement touchées à l’œil. Mais le ministre fait référence aux 81 enquêtes dont a été saisie l'Inspection générale de la police nationale (IGPN). Toutes les blessures "doivent faire l'objet d'une enquête pour déterminer les raisons avec lesquelles cela s'est produit et les conditions dans lesquelles cela s'est passé", a martelé le ministre. "Je serai parfaitement transparent sur les conclusions" des enquêtes, a-t-il assuré.
Alors que de nombreuses vidéos circulant sur les réseaux sociaux montrent des policiers visant volontairement la tête de manifestants, le patron de la Police nationale, Eric Morvan, avait rappelé il y a quelques jours dans une note que "le tireur ne doit viser exclusivement que le torse ainsi que les membres supérieurs ou inférieurs". Et que l’usage devait être proportionné. Deux personnes ont été blessées à l'oeil, dont l'une a été éborgnée, samedi à Rennes lors de la manifestation des gilets jaunes. Mais le ministre de l’Intérieur a aussi évoqué le cas d’un policier qui a perdu son œil et celui d’une commissaire de police de l’Aude qui lui a dit avoir "cru mourir", après avoir dû abandonner son véhicule sur un péage de Narbonne. Le ministre a exhorté les députés à "ne pas juger sur des images confuses, sur des vidéos tronquées" "Oui il y a eu des blessures graves, des forces de l’ordres et des manifestants. Dix personnes sont décédées depuis le début du conflit."

 

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