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La pression monte autour du projet de décret sur Mon Accompagnateur Rénov'

Le projet de décret sur l'accompagnement des bénéficiaires du dispositif MaPrimeRénov', qui était soumis à consultation jusqu'au 25 février, a recueilli un avis favorable de la part du Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique (CSCEE) mais avec une sérieuse réserve sur les modalités de prévention du risque de conflit d'intérêt. La question des garanties d'indépendance des futurs accompagnateurs suscite des interrogations de la part des associations qui ne veulent pas d'entreprises privées dans le dispositif tandis que les acteurs privés sont eux-mêmes divisés sur la position à tenir.

Dans le prolongement de l'article 164 de la loi Climat et Résilience du 22 août 2021, le gouvernement avait mis en consultation, jusqu'au 25 février, le projet de décret relatif à l'accompagnement des bénéficiaires du dispositif MaPrimeRénov' (sur le contenu du projet de décret, voir notre article du 8 février 2022). Cet accompagnement commence à être plus connu sous son nom grand public de Mon Accompagnateur Rénov'.  Le CNEN (Conseil national d'évaluation des normes) et le CSCEE (Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique) viennent également de rendre leur avis sur le projet de décret. Et, dans le même temps, la pression monte, depuis la mise en consultation, sur une disposition centrale du texte : la garantie d'indépendance des futurs accompagnateurs des ménages dans leurs projets de rénovation énergétique.

Le CSCEE rend un avis favorable mais sous réserve 

Le projet de décret prévoit en effet d'ouvrir ce rôle d'accompagnateur à l'actuel réseau des espaces conseils de France Rénov' (issu de la fusion des structures locales de l'Anah et de l'Ademe), aux organismes déjà agréés par l'Anah (comme le réseau Soliha), aux collectivités territoriales, mais aussi à des opérateurs privés. Il prévoit pour cela, outre la description des compétences attendues des accompagnateurs, un certain nombre d'éléments garantissant l'indépendance de ces derniers vis-à-vis des travaux qu'ils prescrivent, à commencer par l'"impossibilité de réaliser directement des activités d'exécution d'ouvrage". Le terme "directement" semble toutefois entrouvrir la possibilité de sous-traitance.

Auditionnée il y a quelques jours par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, Emmanuelle Wargon s'est pourtant voulue catégorique, évoquant, à propos de la dichotomie entre les entreprises qui conseillent et celles qui assurent les travaux, une "muraille de Chine", sur laquelle il n'est pas question de transiger (voir notre article du 24 février 2022).

Dans sa séance du 15 février, le CSCEE a émis un avis favorable, rendu public le 23, sur le projet de décret, mais "sous réserve que les modalités de prévention du conflit d'intérêt soient définies en concertation avec les acteurs de la filière, en prenant le temps d'une réflexion pour évaluer précisément son impact potentiel sur le marché de la rénovation et s'assurer que l'offre soit de qualité et suffisante sur tous les territoires". De son côté, le CNEN aurait rendu un avis défavorable (qui n'est pas encore publié), mais le motif tiendrait à des raisons de délai de mise en œuvre.

Les associations ne veulent pas d'entreprises privées dans l'accompagnement...

La réserve du CSCEE pose bien le problème du décret. D'un côté, l'indépendance des accompagnateurs est une condition indispensable au bon fonctionnement du système et à la confiance des ménages, surtout après les arnaques sur les "rénovations à 1 euro" qui ont marqué l'opinion, même si elles n'ont concerné qu'un petit nombre d'opérateurs marginaux et sont aujourd'hui largement contrées par l'interdiction législative de procéder à du démarchage en ce domaine. Du côté des associations, Amorce (Réseau national des territoires engagés dans la transition écologique), le CLER (Réseau pour la transition énergétique), l'Anil (Association nationale d'information sur le logement) et la FNCAUE (Fédération nationale des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement) ont adopté une  position commune, adressée à la ministre du Logement. Ils estiment que "les garanties de neutralité de l'Accompagnateur Rénov' vis-à-vis des solutions technologiques sont insuffisantes". Les signataires expliquent qu'ils "défendent la vision d'un accompagnateur indépendant de toute entreprise de travaux, de matériaux, d'équipement, de fournisseurs d'énergie" et "regrettent l'absence des collectivités dans le processus d'agrément et demandent la mise en place d'un comité d'agrément des accompagnateurs intégrant les fédérations de collectivités". Sans se joindre aux signataires, le réseau FLAME (Fédération des agences locales de l'énergie et du climat) est sur une position similaire. FLAME estime en outre que "la publication hâtive du décret sans véritable concertation avec les collectivités locales risque de déstabiliser les services publics de la performance énergétique de l'habitat (SPPEH) déjà mis en place, avec l'arrivée d'un nouvel acteur, 'l'accompagnateur Rénov', dont le rôle dans l'écosystème de la rénovation n'est pas organisé à l'échelon local".

...et le privé est lui-même divisé

De l'autre côté, la réserve du CSCEE à propos du projet de décret sur la nécessité d'"évaluer précisément son impact potentiel sur le marché de la rénovation et s'assurer que l'offre soit de qualité et suffisante sur tous les territoires" renvoie à une interrogation sur la capacité du périmètre d'acteurs envisagé à faire face à la montée en charge très rapide de la demande avec le succès de MaPrimeRénov'. L'intervention d'acteurs privés apparaît donc indispensable. Mais ces derniers sont dans des situations et sur des positions pour le moins différentes.

Les architectes, via leur ordre national, se disent satisfaits de constater qu'ils "figurent parmi les professionnels identifiés par le gouvernement pour être Accompagnateurs Rénov'. L'information est désormais officielle suite à la publication du projet de décret soumis à la consultation publique". Ils pourront donc être agréés comme accompagnateur, sous réserve de ne pas avoir de lien contractuel avec les entreprises de travaux, et pourront ainsi réaliser pour les ménages à la fois une mission d'accompagnement, d'audit énergétique et de maîtrise d'œuvre.

Du côté de certaines entreprises, plutôt importantes et qui développent une approche globale de l'amont à l'aval, le souhait serait de pouvoir conserver leur activité de conseil des ménages, quitte à la filialiser et à mettre en œuvre les autres règles prescrites par le projet de décret. La position est diamétralement opposée à la Capeb (artisans et petites entreprises du bâtiment). Celle-ci estime en effet que "si cette nouvelle version du décret apporte des améliorations, les garanties quant à l'indépendance et à la neutralité des accompagnateurs ne sont toujours pas réunies. En effet, les entreprises générales du bâtiment ou les délégataires dans le cadre des CEE (certificats d'économies d'énergie) pourraient, selon le texte actuel, être agréées pour accompagner les particuliers. La Capeb a toujours été contre cette disposition et continue de se battre car elle considère que l'accompagnateur rénov' ne doit pas être juge et partie dans une logique évidente pour éviter les conflits d'intérêt". La Capeb estime aussi avoir obtenu "des avancées significatives quant à la définition du périmètre de l'accompagnateur rénov'", et notamment avoir obtenu "que les missions des accompagnateurs rénov' n'empiètent pas sur celles des maîtres d'œuvre, ni des entreprises qualifiées RGE (Reconnu garant de l'environnement). Pas question notamment de prescrire des travaux ou encore de contrôler la réalisation des travaux".

Au-delà de la question des garanties d'indépendance et du périmètre d'intervention de Mon Accompagnateur Rénov', d'autres sujets font également l'objet de positions très divergentes. C'est le cas notamment du seuil de recours obligatoire à Mon Accompagnateur Rénov. Alors que les associations souhaitent que l'obligation (à partir de 2023) de faire appel à un accompagnement assuré par un organisme agréé débute à un seuil de travaux le plus bas possible, la Capeb se félicite d'"avoir été entendue" puisque "l'accompagnement ne serait obligatoire qu'à partir de 10.000 euros d'aides de travaux"...

 

 

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