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Congrès des maires - À la recherche de l'intercommunalité heureuse

Alors que la discussion du projet de loi Engagement et proximité a commencé en séance à l'Assemblée, les maires ont pu parler intercommunalité le 19 novembre avec Sébastien Lecornu. Tout le monde veut de la souplesse. Certains estiment avoir trouvé l'équilibre. Nombre de petits maires, en revanche, se sentent dépossédés. Au point de ne plus siéger à l'interco. L'un des enjeux : les règles de représentativité des communes.

Il y a ceux pour qui les choses se passent bien. C'est du moins ce qu'ils choisissent de mettent en avant lorsqu'ils évoquent les relations communes-intercommunalité sur leur territoire. Ceux-là évoquent leur "capacité à s'organiser", la confiance, le "cousu-main" qui préside aux projets mis en place, la collégialité des prises de décision, les mutualisations… Ils s'en disent même "heureux". Et puis il y a ceux qui vivent les choses tout autrement. Des maires de petites communes le plus souvent, qui se sentent ignorés, dépassés ou engloutis par leur intercommunalité, ce lieu où, désormais, les décisions se prendraient sans faire grand cas de leurs priorités et contraintes.

Ce mardi 19 novembre, pour la première plénière du 102e Congrès des maires, les premiers étaient plutôt en tribune tandis que les seconds étaient dans la salle, se succédant au micro pour prendre la parole. En tribune aussi, le ministre Sébastien Lecornu. Sa présence s'imposait évidemment, quelques heures avant que ne débute l'examen de son projet de loi Engagement et proximité en séance à l'Assemblée nationale. Le fait même que la première plénière du congrès ait été consacrée à l'intercommunalité était assez naturel : une part importante de ce projet de loi entend précisément répondre au "sentiment de dépossession des maires" face à l'intercommunalité "depuis la loi Notr", tel que l'a lui-même décrit Sébastien Lecornu. Rappelant qu'il avait été "un farouche opposant à la loi Notr", il a pris devant les maires un "engagement" : "que toutes ces innovations institutionnelles, à l'avenir, fassent l'objet d'une concertation la plus large possible".

Une dizaine d'amendements gouvernementaux

Son projet de loi doit, a-t-il résumé, permettre d'"avancer sur le triptyque périmètres, gouvernance (remettre le maire au cœur de cette gouvernance, notamment à travers la conférence des maires) et compétences". Sauf que l'on sait aussi que c'est ce volet du texte qui soulève le plus de difficultés. Et qui a beaucoup fait parler de lui lors de l'examen au Sénat, les sénateurs l'ayant très sensiblement modifié. Depuis, la commission des lois est revenue à une version proche du texte initial. Et les changements ne sont pas terminés, preuve que les choses sont compliquées. "En séance, nous allons revenir sur certaines dispositions telles qu'introduites par le Sénat", a d'ailleurs indiqué le ministre. Le gouvernement a en effet déposé en fin de semaine dernière une dizaine d'amendements, dont un, par exemple, sur la question des compétences optionnelles des EPCI (en abaissant de trois à un le nombre de compétences optionnelles devant être exercées par les communautés de communes et les communautés d’agglomération). De tout premiers amendements ont d'ailleurs été adoptés le 19 novembre en fin de journée à l'Assemblée, où les travaux devaient se poursuivre ce 20 novembre après-midi.

Pas question toutefois, a insisté Sébastien Lecornu, de "tout détricoter", appelant à distinguer "ce qui relève de la loi et ce qui relève de la pratique". Bien des aspects liés à l'intercommunalité "ne pourront jamais faire l'objet d'une norme". "L'avenir, c'est la différenciation infracommunautaire", a-t-il ajouté. Selon lui toutefois, les échanges lors de ce forum, à l'image d'ailleurs des débats parlementaires, font bien apparaître "une concurrence entre deux valeurs", "la liberté" d'une part, "le souci d'égalité" d'autre part. Ainsi, le Sénat aurait en réalité, sur certains points, "de bonne foi", introduit davantage de contraintes par un souci d'égalité, par exemple en rendant obligatoire le conseil des maires.

Il a aussi considéré que la future révision constitutionnelle "permettra de faire atterrir certaines propositions", dans l'esprit de la proposition de loi Sueur, visant à aller plus loin en matière de représentation des communes au sein du conseil communautaire.

Si on est inaudible... autant se taire

"Cette question de la représentativité est essentielle. Il est impensable que dans un conseil communautaire, certaines communes disposent d'un seul délégué tandis que d'autres en ont 35 ! C'est à cela qu'il faut mettre fin", a lancé, en tribune, Pierre Jouvet, le président de la communauté de communes des Portes DrômArdèche. Sa communauté, issue de la fusion volontaire de quatre intercommunalités ("Nous voulions travailler ensemble"), ne connaît pas ce problème. Il était là, au contraire, pour illustrer le fait que certaines communautés ont, bien avant la loi Engagement et proximité, mis en place des équilibres intéressants. "Chez nous, pas une décision importante n'est prise sans qu'elle ait été validée par les 35 maires. Notre conférence des maires, où les projets sont débattus et co-construits, se réunit quatre à cinq fois par an", a-t-il indiqué.

Pierre Jouvet réagissait plutôt à plusieurs témoignages venus de la salle. Comme celui de ce maire d'une petite commune : "On va dans les commissions de l'EPCI, mais en fait 95% des dossiers sont déjà prêts, décidés. Le président décide seul, fait voter des packages… Alors forcément, ça n'intéresse plus les gens. C'est anormal." Il y a aussi eu ce maire d'une commune pyrénéenne de 550 habitants appartenant désormais à une communauté de communes comptant 95 communes. Sa commune ne dispose que d'une seule voix au sein du conseil communautaire. "Nous étions donc inaudibles." Alors autant se taire pour de bon. Sa commune a décidé de "ne plus siéger". Et l'élu de regretter au passage "le temps des pays" (le leur couvrait le même périmètre que l'actuelle communauté de communes), notamment pour le travail très riche mené par les acteurs locaux dans le cadre du conseil de développement. "Je regrette qu'il n'y ait pas l'équivalent avec la communauté de communes." "Entendre ainsi qu'il y a des maires qui ne siègent plus, c'est un échec collectif", a regretté, en tribune, Stéphanie Guiraud-Chaumeil, maire d'Albi et présidente de l'agglo de l'Albigeois.

Pour les élus communaux qui, bon an, mal an, tiennent à être les plus présents possible au niveau de l'interco, les choses ne sont pas toujours simples non plus. La maire d'une "commune très rurale", pour qui "depuis la loi Notr, la proximité s'est un peu abîmée", a ainsi relaté la façon dont l'intercommunalité, aujourd'hui, "double le temps et le travail" de l'élu : "Entre toutes les réunions de la commune et toutes celles de l'interco, on ne peut pas y arriver. Et pourtant, si on ne le fait pas, beaucoup de choses nous échappent." L'élue constate aussi "une gestion désormais très administrative des EPCI, avec des chefs de service qui peuvent prendre des décisions sans consulter"…

Les maires connaissent les besoins

Dans le même temps, se sont glissés des exemples de projets qui n'auraient naturellement pas pu voir le jour sans l'interco. Tel ce centre intercommunal de santé qui salarie aujourd'hui sept médecins (communauté d’agglomération Fécamp Caux Littoral) ou ce partenariat inédit avec Pôle emploi pour la mise en relation entre demandeurs d'emploi et entreprises sur un territoire qui ne disposait pas d'agence (Portes DrômArdèche).

In fine, que tel ou tel projet soit mené à bien par l'EPCI ou la commune, on aura aussi entendu que l'essentiel est de "laisser la liberté aux maires de pouvoir satisfaire le quotidien de leurs concitoyens, car seuls les maires peuvent savoir ce dont ils ont besoin". C'est en tout cas ce qu'a dit haut et fort le maire d'une commune normande de 1.200 habitants, pour qui il faut leur "laisser décider les compétences qu'ils souhaitent garder" afin, comme cela a été le cas dans sa propre commune, de pouvoir soutenir l'implantation d'une station-service, la mise en place d'un distributeur de billets, la création d'une boulangerie-bar-tabac, des terrains à 1 euro / m2 et une salle de télétravail…

Quelques heures plus tard, dans son allocution d'ouverture, Emmanuel Macron a brièvement abordé le sujet : "L'intercommunalité, nous l'assouplissons. Répartition des compétences entre les communes, périmètres des EPCI, conseil des maires, tout est mis en place pour tout à la fois mieux s'organiser et respecter les libertés locales. (…) Le Premier ministre et les ministres permettront utilement d'avancer et ce jusqu'au bout du chemin de ce texte de loi pour que les maires puissent choisir. Pour que les maires élus au suffrage universel ne puissent jamais être en quelque sorte simplement les récipiendaires d'instructions d'une autre collectivité." Reste à savoir, très concrètement, comment se résoudront les "points durs" entre les versions Sénat et Assemblée du projet de loi Lecornu.

 

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