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La "revanche" des villes moyennes post-Covid : du discours à la réalité

Les villes moyennes sortent-elles gagnantes de la crise Covid en matière d'attractivité ? D'après l'étude "La revanche des villes moyennes, vraiment ?" de France Stratégie, publiée le 31 janvier 2022, rien n'est moins sûr. Côté emploi, l'effet est légèrement perceptible, mais il n'y a pas d'évolutions significatives sur la géographie générale du marché de l'immobilier résidentiel. Dans une seconde étude "Les villes moyennes, un pilier durable de l'aménagement du territoire ?", France Stratégie propose de mettre en place une approche différenciée dans l'accompagnement de ces villes.

"La revanche des villes moyennes, vraiment ?" Avec ce titre un peu provocateur, France Stratégie, organisme rattaché à Matignon, a voulu, dans une note d'analyse, faire la lumière sur l'attractivité retrouvée des villes moyennes. "Il est difficile de conclure à ce stade à un effet positif général de la pandémie sur ces villes moyennes même s'il est notable que la dynamique d'emploi ces deux dernières années y est légèrement plus favorable que dans les métropoles", tempère d'emblée cette note publiée le 31 janvier 2022 et menée sur 202 villes moyennes. Durant la crise, les villes moyennes suivent la tendance générale en matière d'emploi : le taux de croissance de l'emploi entre le troisième trimestre 2019 et le troisième trimestre 2021 y a atteint 2,3% soit exactement la moyenne nationale. Mais comparé à ce qui était observé avant 2020, la dynamique des villes moyennes est légèrement supérieure à celle des métropoles (+1,9%). "En deux ans, 160 villes moyennes sur les 202 étudiées ont créé de l'emploi, dont 77 plus de 3%", insiste la note. Autre enseignement : les territoires à trajectoires dynamiques dans la dernière décennie ont été moins affectés par la crise que ceux avec des trajectoires moins favorables.
Côté immobilier, la pandémie n'a pas entraîné non plus de bouleversements. "Les prix de l'immobilier ont augmenté fortement pendant la période de la pandémie et ce dans tous les territoires, indique l'étude. À court terme, l'effet de la pandémie n'a pas modifié substantiellement la géographie générale du marché de l'immobilier résidentiel." Ainsi, 65 villes moyennes présentaient des dynamiques des prix de l'immobilier supérieures à la dynamiques nationale. Pendant l'année 2020, elles sont 48 dans ce cas : 30 ont connu une augmentation des prix, les 18 autres étaient déjà dans ce cas avant la pandémie.

"Un effet de la pandémie diffus, d'ampleur variable selon les territoires"

D'après la note, neuf villes moyennes (Béthune, Cahors, Châteauroux, Étables-Le Touquet-Paris-Plage, Maubeuge, Montceau-les-Mines, Sedan, Sens et Tergnier) dont le marché de l'immobilier était en retrait avant la pandémie, ont aujourd'hui une dynamique supérieure à la moyenne nationale. À l'inverse, "parmi les 36 villes moyennes dont les prix de l'immobilier avaient une dynamique plus faible que la moyenne nationale, 20 sont encore dans cette situation en 2020 (notamment Carcassonne, Auxerre et Tulle)". La note conclut à un effet de la pandémie "diffus", "d'ampleur variable" selon les territoires et qui ne se matérialise probablement pas totalement dès l'année 2020. Difficile donc de conclure à ce regain d'attractivité des villes moyennes sur la seule base d'un marché de l'immobilier globalement dynamique pendant la pandémie.

En revanche, France Stratégie met en avant d'autres changements provoqués par la crise Covid dont l'essor du télétravail. Selon la note, la part des salariés en télétravail au moins deux jours par semaine est nettement supérieure dans les métropoles par rapport aux villes moyennes (18,9 % contre 14,8%). Mais les données disponibles n'ont pas permis "de savoir dans quelle mesure les villes moyennes ont pu bénéficier, depuis la pandémie, de l'arrivée d'actifs concernés par le télétravail en provenance d’autres territoires, notamment des métropoles". Quoi qu'il en soit, "le potentiel d'emplois télétravaillables ne se concrétise pas nécessairement en totalité" car "tous ces salariés n'ont pas le désir ou la capacité de changer de lieu d'habitation", souligne aussi France Stratégie. Cela dit, si une partie significative de ces personnes choisit effectivement de déménager à plus ou moins long terme grâce au télétravail, les effets territoriaux pourraient être importants.

De grands enjeux de logement, mobilité et d'emploi 

Si tel était le cas, la note met en avant les grands enjeux auxquels il faudrait répondre, au premier rang desquels la question des prix de l'immobilier, qui pourraient subir une pression supplémentaire du fait de l'arrivée de personnes ayant un pouvoir d'achat potentiellement plus élevé que les habitants d'origine. Ce qui, à terme, pourrait créer des difficultés d'accès au logement pour les populations déjà présentes, voire une "ségrégation socio-spatiale nouvelle". Sans parler de la consommation d'espaces naturels. Des enjeux en termes de gestion des ressources humaines sont également cités (remboursement des frais de transport, voire d'hébergement pour des salariés ayant choisi de déménager à grande distance du lieu de travail) tout comme des effets éventuels sur le marché de l'emploi local.

"Les statistiques ne permettent pas de dire que ces phénomènes concernent plus spécifiquement les villes moyennes que les autres territoires, indique l'étude. Il est trop tôt pour affirmer qu'ils pourraient s'amplifier et se pérenniser ou que l'effet lié à la pandémie sera uniquement conjoncturel". Mais France Stratégie estime que certaines villes moyennes, combinant un ensemble de facteurs déterminants (prix et disponibilité de l'immobilier, niveau de revenu ou d'épargne, environnement économique, qualité et réactivité de l'accompagnement local, accessibilité du territoire, niveau de services…) pourraient toutefois bénéficier d'une attractivité renouvelée.

Vers un accompagnement différencié des villes moyennes

Alors pour s'adapter aux différentes trajectoires que connaissent les villes moyennes depuis une décennie et faire face aux nouveaux enjeux, France Stratégie avance plusieurs pistes, reposant sur des politiques d'aménagement et de cohésion partant des priorités locales "plutôt que d'une approche homogène". Dans une deuxième note, intitulée "Les villes moyennes, un pilier durable de l'aménagement du territoire ?",  publiée le même jour, les auteurs proposent notamment d'établir tout d'abord un diagnostic partagé des vulnérabilités sociales, économiques, environnementales de chaque ville moyenne, ainsi que de ses atouts et opportunités afin de lui permettre de jouer son "rôle d'équilibre", entre les métropoles et les territoires ruraux (rôle politique et administratif, équipements et services, services publics, commerces, offre de santé, d'éducation ou de transport, offre culturelle). Un tel diagnostic permettrait à l'État et aux collectivités territoriales de définir les investissements prioritaires et les modes de gestion à privilégier. France Stratégie estime aussi qu'il faut mieux articuler les différentes politiques publiques à l'œuvre que sont Action cœur de ville et les Territoires d'industrie. Il s'agirait de moduler ces dispositifs en fonction de la variété des enjeux rencontrés dans les territoires.

La note propose d'évaluer le niveau et la qualité de l'offre d'équipements et de services que ces villes charnières abritent pour repérer les manques éventuels et de définir les principes permettant une socle minimal d'équipements et de services (santé, éducation, enseignement supérieur, recherche, mobilité). Un plan d'investissement conjoint entre l'État et les collectivités pourrait ainsi être initié "pour assurer ce socle minimal et permettre sa gestion efficace sur le long terme". L'étude insiste aussi sur la mise à disposition de données en temps réel pour étudier les dynamiques et phénomènes à l'œuvre dans les territoires (flux intra et interterritoriaux, mobilité des populations, prise en compte du télétravail dans la production territorialisée…).

  • Quatre trajectoires de dynamique pour les villes moyennes

À partir de trois indicateurs spécifiques, que sont la trajectoire démographique, l'évolution de l'emploi et les dynamiques des prix sur le marché de l'immobilier, l'étude "La revanche des villes moyennes, vraiment ?" de France Stratégie, publiée le 31 janvier 2022, identifie quatre catégories de villes moyennes. Première catégorie : les villes à trajectoires dynamiques. Représentant 40% des villes moyennes étudiées, elles sont majoritairement situées sur le littoral atlantique (Bayonne, Rochefort, Royan), le pourtour méditerranéen (de Sète à Perpignan), la vallée du Rhône (Valence, Orange) et la zone frontalière avec la Suisse (Chambéry, Thonon-les-Bains). "Elles sont quasiment absentes du centre nord de la France", indique l'étude.
La deuxième catégorie intègre les villes avec une trajectoire similaire aux tendances nationales (55 villes) qui sont disséminées sur l'ensemble du territoire (littoral breton, est de la France, centre, nord). Les villes avec une trajectoire en retrait (30) constituent la troisième catégorie. Elles sont minoritaires (16% des villes moyennes étudiées) et quasi exclusivement regroupées dans le centre de la France (Nevers, Châteauroux) et dans le quart nord-est (Charleville-Mézières, Épinal, Sedan). Dernière catégorie : les villes aux trajectoires atypiques (29, soit 14% des villes moyennes étudiées), qui se situent principalement en Normandie (Granville, Caen), dans le nord (Berck) et l'est de la France (Troyes, Colmar). "Elles présentent des profils contrastés", précise le document. Exemple avec Berck qui a connu une décroissance démographique et des destructions d'emplois mais une évolution des prix de l'immobilier plus dynamique que la moyenne nationale. Phénomène inverse pour Le Touquet et Le Creusot qui ont vu leur emploi croître mais leur démographie et les prix de l'immobilier baisser. Cette géographie des villes moyennes peut s'expliquer par les ensembles territoriaux plus larges auxquels elles appartiennent (comme l'attractivité générale de l'ouest de la France, et particulièrement les littoraux, pour les villes à trajectoire dynamique) et les fonctions qu'elles remplissent selon qu'elles sont proches d'autres unités urbaines ou qu'elles se trouvent dans des espaces principalement ruraux.