L'ascenseur social pour les jeunes bloqué depuis les années 2000

L'origine sociale pèse sur le destin des jeunes en France. Une cinquantaine de dispositifs de politiques publiques ont été recensés, mais leurs moyens jugés "modestes", "morcelés" et peu "coordonnés", ne parviennent pas à s'attaquer structurellement aux racines des inégalités, dénonce un rapport de France Stratégie publié mardi 3 octobre 2023.

"La mobilité sociale a progressé sur les trente-cinq dernières années, mais ce mouvement s’est interrompu depuis le milieu des années 2000, et le destin des jeunes reste toujours fortement marqué par leur origine sociale, tant en termes de parcours scolaire que professionnel", analyse France Stratégie, le service de prospective de Matignon, dans un rapport publié mardi 3 octobre 2023. Ainsi, les jeunes occupent "souvent la même position que leurs parents", constate le rapport : en 2019, cinq à huit ans après la fin de leurs études, plus de 80% de ceux nés dans des familles à "dominante cadre" exerçaient un emploi de cadre ou profession intellectuelle supérieure ou intermédiaire, et 69% de ceux issus d'une famille ouvrière un emploi d'ouvrier ou d'employé. Ce poids de l'origine "s'observe dès leur entrée sur le marché du travail", avec un diplôme qui diffère "fortement" selon le milieu social, poursuit le rapport.

Cartographie d'une cinquantaine de politiques publiques

La publication propose une cartographie d'une cinquantaine de dispositifs et moyens déployés par l'Etat pour remédier à cette situation par grands domaines de l’action publique en faveur des jeunes : éducation, emploi et insertion professionnelle.

Dans cette approche, le total des moyens de l'État en faveur de la mobilité sociale des jeunes est estimé à 13 milliards d’euros en 2022, soit 12,5 % environ de l’ensemble des dépenses publiques de l’État identifiées comme des "politiques en faveur de la jeunesse" dans les documents budgétaires, estimées à 105 milliards d’euros.
Autrement dit, sur 100 euros de moyens mobilisés en faveur de la mobilité sociale des jeunes :
 - 49 euros concernent l’éducation, dont 18 visent à améliorer directement les performances et la réussite scolaire des jeunes, le reste étant constitué d'aides monétaires (bourses du secondaire et du supérieur) ;
- 40 euros ont pour objet de favoriser l’insertion professionnelle des jeunes ; il s’agit, hors apprentissage, du financement de dispositifs destinés principalement à favoriser la "deuxième chance" pour les jeunes sortis du système scolaire peu diplômés ou sans diplôme ou qualification ;
-  11 euros sont consacrés à d'autres politiques (Pass culture, Service civique par exemple).

Une action publique "dispersée" aux moyens "modestes"

"Cette grande hétérogénéité de dispositifs témoigne de trois faits marquants", analyse France Stratégie. Tout d'abord, l'action publique est "largement dispersée aux moyens globalement modestes". Cette cinquantaine de dispositifs ne représente "qu’une petite part des moyens alloués par l’État à la jeunesse" et témoigne "d’une grande dispersion des efforts" : ainsi 15 dispositifs représentent près de 95% des sommes engagées et 30 dispositifs à peine 500 millions d’euros.
De plus, ces dispositifs "sont éclatés entre différents ministères et administrations, et leur dispersion nuit à la lisibilité de l’action publique, pour les jeunes comme pour les acteurs en charge de les accompagner", relève encore l'organisme du service de prospective de Matignon.

Autre fait notable : "l'approche largement curative". "Ces dispositifs s’attèlent à réparer ce que les politiques publiques de l’éducation et de l’emploi ont du mal à atteindre : l’égalité des chances", regrettent les auteurs qui estiment que "cela ne doit pas empêcher d'interroger plus structurellement les racines de ces inégalités, comme la ségrégation scolaire ou la pauvreté des familles, qui dépassent pour partie le champ de l’éducation".

Enfin, il ressort de cette analyse "un manque d'articulation et de coordination entre ces dispositifs". France Stratégie constate que "les politiques publiques ayant pour objectif explicite la mobilité sociale sont rares". "Faire de cet objectif de mobilité sociale un objectif explicite des politiques publiques passe sans doute par un meilleur calibrage et une plus grande articulation de ces dispositifs pour en accroître l’efficacité et les synergies", encourage l'instance.

Cinq politiques susceptibles de favoriser la mobilité sociale des jeunes

Le rapport conclut avec une note d'espoir par l'examen de cinq dispositifs susceptibles de favoriser la mobilité sociale des jeunes. Le rapport préconise d'accroître la mixité sociale à l’école, et propose d'instaurer un pilotage national à haut niveau des politiques de mixité, de renforcer l'attractivité des établissements les plus défavorisés, d'agir sur la sectorisation dans chaque académie, d'intégrer plus systématiquement des objectifs de mixité dans les critères d’affectation (par exemple dans le cadre de la procédure Affelnet* dans chaque région) et faire contribuer le secteur privé sous contrat aux objectifs de mixité.
Les auteurs s'accordent aussi à dire qu'il faut "mieux articuler l'obligation de formation pour les 16-18 ans et les dispositifs de deuxième chance". Cette politique publique très récente, entrée en vigueur depuis seulement 2020, permet un meilleur repérage et un meilleur suivi des "Neet", les mineurs ni en études, ni en emploi, ni en formation. 
Le rapport préconise également de favoriser l'accès à l'enseignement supérieur. L'instauration de quotas de boursiers dans l'accès aux formations du supérieur au sein du dispositif Parcoursup, inscrite en 2018 dans la loi d’orientation et de réussite des étudiants (Ore), semble efficace. France Stratégie encourage enfin à "faire de l’apprentissage un levier de mobilité sociale" et à recourir à la formation continue des jeunes les moins qualifiés. Concernant, la formation continue, l'institution signale que deux dispositifs récents, le compte personnel de formation (CPF) créé par la loi du 5 mars 2014 "véritablement opérationnel depuis 2018", et le Plan d’investissement dans les compétences (PIC) lancé en 2018, peuvent contribuer par des leviers différents à favoriser le retour en formation de jeunes peu ou pas qualifiés".

*La procédure Affelnet permet d'affecter les élèves de troisième dans les lycées de leur académie.