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Apprentissage - Le Cereq analyse les freins au développement de l'apprentissage

Alors que le ministre du Travail a confirmé la baisse du nombre d'apprentis en 2013, une étude du Cereq identifie les freins au développement de l'apprentissage.

"Aujourd'hui, il y a 2% de personnes en apprentissage en moins par rapport à l'année dernière." Interrogé sur Public Sénat le 11 février 2014, Michel Sapin a confirmé la baisse actuelle de l'apprentissage. Le gouvernement s'est pourtant donné un objectif à la hausse, de 500.000 apprentis d'ici 2017... "C'est trop 2% mais ça n'est que 2%, a toutefois tempéré le ministre du Travail, donc il faut arrêter de dire que ça s'est écroulé."
D'après les chiffres de la Dares, la baisse est pourtant nettement plus marquée si on s'intéresse au nombre de contrats d'apprentissage. Au total, 275.000 contrats d'apprentissage ont ainsi été conclus en 2013 contre 295.000 en 2012, soit une diminution de plus de 8%... L'évolution de l'apprentissage est cela dit différente en fonction des régions (voir ci-contre notre article du 31 janvier 2014). La baisse atteint des records dans le Limousin (-28,5%), en Bretagne (-16%) et en Alsace (-15%).
Pour comprendre les freins au développement de l'apprentissage, le Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Cereq) a analysé les pratiques de trois régions dans une étude publiée en janvier 2014. Ces trois régions, dont le Cereq ne donne pas les noms, ont des situations différentes concernant le développement de l'apprentissage. Dans la première, la croissance du nombre d'apprentis est inférieure à la croissance attendue par rapport aux moyens déployés. La deuxième voit le nombre d'apprentis baisser régulièrement, après un fort dynamisme. Enfin, dans la troisième région analysée, la progression des apprentis est soutenue mais inférieure à la moyenne nationale. Dans chacune de ces régions, des entretiens ont eu lieu auprès des intervenants du système d'apprentissage (responsables du conseil régional, des instances de régulation ou de concertation au plan régional, responsables des services déconcentrés de l'Etat, décideurs du monde éducatif et de l'entreprise…).

Quatre facteurs

A partir de ces cas, le Cereq identifie quatre facteurs qui expliquent les différences de développement de l'apprentissage entre les régions. Premier facteur : l'histoire du système éducatif, de la place de la formation professionnelle et de l'apprentissage, ainsi que du développement différencié de l'enseignement supérieur dans la région. D'après le Cereq, la dynamique de l'apprentissage dépend ainsi de son implantation historique et de son articulation, plus ou moins harmonisée, avec les autres voies de formation professionnelle initiale. "Une région où la formation professionnelle est essentiellement réalisée au sein des lycées a pu connaître sur une période récente une évolution importante des effectifs d'apprentis du fait d'une forte mobilisation de l'Education nationale dans ce sens, explique l'étude, inversement, une région leader pour l'apprentissage peut ne plus connaître de marge de croissance de ses effectifs, malgré ses efforts en la matière, en raison d'un plafond atteint par les entreprises."
Les contextes socio-économiques régionaux dans lesquels est implanté l'apprentissage jouent aussi un rôle important. La nature du système productif (présence de nombreuses TPE ou de grandes entreprises, salariat ou artisanat) fait en effet varier le développement de l'apprentissage en région. Dans certaines régions, comme la troisième étudiée par le Cereq, la diversité des tailles et secteurs des entreprises a amorti les effets de la crise économique en matière d'apprentissage, "ce qui n'est pas le cas dans les régions moins diversifiées", détaille le Cereq.

Un fonctionnement entravé si un acteur prend le leadership

Le troisième facteur de développement de l'apprentissage identifié par le Cereq est de nature plus politique. Il correspond aux choix réalisés par les régions en matière de ciblage des niveaux de formation, d'organisation et d'implantation de l'offre par apprentissage et de démarche qualité (pour éviter la rupture des contrats notamment).
Le Cereq note ainsi que le choix de développer l'apprentissage au niveau de l'enseignement supérieur, pour élever les niveaux de qualification, amène à amoindrir l'apprentissage aux niveaux V (CAP et BEP) et IV (sans diplôme ou brevet des collèges). Par ailleurs, "l'accompagnement est mis en œuvre de manière différente suivant les régions, insiste le Cereq, les acteurs régionaux reconnaissent que l'action dans ce domaine n'en est qu'à ses débuts et peut encore être améliorée". La question de la fonction du maître d'apprentissage au sein de l'entreprise est notamment posée pour encadrer le jeune, suivre sa formation et sécuriser son parcours. Une des pistes d'action envisagée par l'étude pour améliorer l'accompagnement du jeune consisterait à pérenniser et élargir la labellisation de "normes de qualité" pour encadrer et reconnaître cette fonction de maître d'apprentissage.
Enfin, dernier facteur faisant varier le développement de l'apprentissage d'une région à l'autre : les modes de gouvernance choisis. Partage des objectifs, mode de pilotage, articulation du système éducatif avec le monde des entreprises… autant de paramètres qui rendent les politiques régionales en la matière très différentes. "Les observations effectuées dans les trois régions montrent l'importance et la diversité des partenariats, noués entre les principales parties prenantes, pour un fonctionnement optimal du système", précise la note. Ce fonctionnement est au contraire entravé si un acteur prend le leadership, "car aucun ne possède la capacité d'intervention, notamment financière, pour réaliser seul, une politique", explique le Cereq, précisant que l'action du conseil régional, acteur pivot de la politique d'apprentissage, "aura d'autant de chances de succès qu'elle impliquera la participation de tous".
D'après le Cereq, la nouvelle phase de décentralisation actuellement en marche va probablement changer encore la donne dans les positions des différents acteurs. "Annoncée depuis un certain temps, cette nouvelle phase de réforme n'est pas sans générer des incertitudes auprès des acteurs régionaux," signale aussi le Cereq. Certains s'inscrivent dans le statu quo en attendant les nouvelles mesures, d'autres optent pour des stratégies innovantes. "Il sera particulièrement intéressant d'analyser les évolutions futures issues à la fois de ce nouvel acte de décentralisation et du redéploiement des politiques régionales d'apprentissage au sein des territoires."