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Le Cese voit loin pour éradiquer la grande pauvreté à l'horizon 2030

"Éradiquer la grande pauvreté à l'horizon 2030" : sous cet intitulé, l'avis et le rapport du Cese dresse un large panorama des multiples difficultés liées à la pauvreté en France. Il pointe la complexité du système et des aides et la fragmentation des dispositifs d'accompagnement, avec un département "aux marges de manœuvre limitées". Les propositions sont nombreuses. Parmi elles, l'instauration d'un "revenu minimum social garanti" regroupant sept minima sociaux.

Le 26 juin, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a adopté, en présence de Christelle Dubos, la secrétaire d'État auprès de la ministre des Solidarités et de la Santé, un avis et un rapport intitulés "Éradiquer la grande pauvreté à l'horizon 2030". Ce rapport est le fruit des travaux de la commission temporaire "Grande pauvreté", qui a déjà publié, en décembre dernier, un rapport sur les personnes vivant à la rue. Il est présenté par Marie-Hélène Boidin Dubrule (groupe des représentants des entreprises privées industrielles, commerciales et de services) et par Stéphane Junique (groupe des représentants de l’économie mutualiste, coopérative, solidaire et non agricole).

Un constat plutôt pessimiste

Les 200 pages de l'avis et du rapport sont un bon condensé des forces et des faiblesses des travaux du Cese. Côté forces, l'exhaustivité du travail et l'approche transversale, indispensable dans la mesure où la pauvreté ne peut pas se réduire à sa seule dimension monétaire. Même s'il n'est pas véritablement nouveau, le constat des dysfonctionnements et des insuffisances des politiques et dispositifs actuels de lutte contre la pauvreté est également très éclairant.

Le rapport du Cese insiste en particulier sur les spécificités de la pauvreté – les "nouveaux visages de la pauvreté" – depuis le début des années 2000 : poids des familles monoparentales, nouvelles formes de pauvreté des personnes âgées ou des jeunes, spécificités des territoires ultramarins... Le rapport s'interroge surtout sur l'effectivité de l'accès aux droits. Il pointe en particulier les difficultés d'accès au logement et le poids des dépenses énergétiques, l'aggravation des difficultés d'accès à la santé (avec l'importance du non recours aux soins), la précarité alimentaire (même si celle-ci évolue aujourd'hui plutôt vers la difficulté à accéder à une nourriture saine et équilibrée), les difficultés de l'école face à la grande pauvreté, ou encore les inégalités dans l'accès à une formation et à un emploi décent, seule voie durable pour sortir de la grande pauvreté.

"L'inégal accompagnement vers l'emploi des bénéficiaires du RSA"

Sur ce dernier point, le rapport souligne notamment l'inégal accompagnement vers l'emploi des bénéficiaires du RSA selon les départements. Il rappelle ainsi qu'"en 2015, leurs dépenses d’insertion des bénéficiaires du RSA représentaient 8% du total, alors que la loi prévoyait pour le RMI une obligation à hauteur de 20% pour les départements". Cette obligation, au demeurant peu respectée, a d'ailleurs été supprimée dans le cas du RSA.

Le rapport indique aussi que "les évolutions récentes sont marquées par une tendance à la baisse des dépenses d’insertion des bénéficiaires du RSA des départements, et plus encore de la part des dépenses consacrées à l’insertion. Entre 2011 et 2015, alors que les dépenses de prestation ont augmenté de 28% (en euros constants), les dépenses d’insertion ont baissé de 8%". Le Cese estime ainsi qu'entre 2011 et 2016, le montant moyen de dépenses d’insertion par allocataire du RSA socle aurait diminué dans une proportion comprise entre un quart et un tiers. En outre, cette évolution d'ensemble recouvre de forts constats entre départements.

Par ailleurs, le rapport juge intéressantes les initiatives récentes en matière d'insertion par l'activité économique – comme l'expérimentation des "Territoires zéro chômeur" –, mais il estime que les résultats obtenus doivent être consolidés.

Le Cese a également le mérite de s'intéresser à d'autres champs de la pauvreté moins explorés, comme l'accès à la culture. Même si la question de la démocratisation culturelle irrigue désormais toutes les politiques publiques et les discours officiels en la matière, l'écart reste encore important entre les intentions et la réalité.

La complexité des dispositifs à nouveau pointée du doigt

De façon plus classique – et comme l'ont déjà fait de nombreux rapports –, le Cese dénonce également la complexité des dispositifs en matière de lutte contre la pauvreté et un "système français qui privilégie les aides monétaires et oublie l'importance de l'accompagnement". Il souligne ainsi le manque de lisibilité et la complexité du système des aides monétaires, qui va jusqu'à rendre difficile la mesure précise de l'effort national de lutte contre la pauvreté, en raison de la persistance d'une approche par risques et des difficultés de périmètre de la notion d'"aide et action sociale".

Le rapport pointe notamment la multiplicité et la diversité des conditions d'attribution des aides monétaires et le maintien d'un système déclaratif des ressources "lourd et source d'erreurs". Conséquence : les pouvoirs publics et les acteurs locaux sont confrontés à un manque de vision transversale et globale incluant l'ensemble des intervenants. Curieusement, le rapport ne fait pratiquement aucune allusion au futur revenu universel d'activité (RUA), qui est pourtant supposé contribuer à alléger ces difficultés et à simplifier le dispositif.

Un accompagnement "fragmenté" et une gouvernance "perfectible"

Pour sa part, l'accompagnement présente "un paysage fragmenté" et peine à répondre à "un besoin nouveau et grandissant d'accompagnement relationnel et de solidarités de proximité" (avec des thématiques comme le soutien à la parentalité). Enfin, et comme cela a déjà été pointé à de multiples reprises, le Cese s'inquiète de la pluralité des acteurs, avec des recoupements et des chevauchements qui persistent.

Enfin, le rapport souligne la persistance – voire le renforcement – de la logique par dispositif, qui conduit inéluctablement à segmenter l'accompagnement. Cette situation contribue également au malaise qui existe chez les acteurs sociaux, encore accru par les efforts de rigueur budgétaire et la montée de l'approche gestionnaire.

Un ensemble d'observations qui conduisent finalement au constat d'une "gouvernance perfectible", car "complexe et génératrice d'incompréhensions et d'inégalités". Sur ce point, le rapport voit le département comme "un chef de file théorique aux marges de manœuvre limitées". Pour le Cese, cette situation a une double cause. D'une part, le fait que le département ne détient pas de pouvoir d'autorité sur les autres acteurs. D'autre part, le fait que les moyens des départements sont de plus en plus contraints face à la montée de la demande sociale, comme le constatait encore récemment l'Odas (voir notre article ci-dessous du 20 juin 2019).

Le point faible des propositions

Comme dans nombre de rapports du Cese, le point faible de celui-ci réside dans les propositions. Celles-ci sont en effet obérées par un double phénomène. D'une part, le souci d'exhaustivité face à l'aspect multifactoriel de la pauvreté - plutôt que de se concentrer sur quelques mesures -, qui aboutit à un long catalogue (un même numéro de proposition en recouvrant en réalité plusieurs). D'autre part, l'absence de chiffrage et de priorisation qui conduit à la même impression. Il est difficile en effet de ne pas admettre qu'il faut "améliorer l'accès aux soins", "garantir l'effectivité du droit à l'éducation" ou "conforter l'accompagnement vers l'emploi".

Le Cese reprend ainsi sa mesure phare, depuis son rapport d'avril 2017 sur le sujet, d'"instaurer un revenu minimum social garanti (RMSG), assurant un revenu stable aux personnes en situation de grande pauvreté". Mais rien n'est vraiment dit sur les modalités. Le RMSG, qui regrouperait sept minima sociaux (mais pas les APL) soulève pourtant de nombreuses questions ou difficultés prévisibles de mise en œuvre – comme on le voit déjà avec le RUA –, qui ne sont pas évoquées. De même, en matière de logement, la proposition de généralisation de la cotation des demandes de logement social dans les 18 départements tendus, "afin de mettre fin aux inégalités et à l'incompréhension des ménages candidats en rendant les critères d'attribution lisibles", est justifiée, mais elle ne peut suffire à résoudre la question de la difficulté de l'accès au logement (le Cese rappelant aussi par ailleurs "l'urgence de construire 60.000 PLAI par an).

Des mesures qui restent à chiffrer

Ou encore, en matière de d'insertion par l'activité économique, il est proposé de "permettre aux salariés et salariées des différentes structures de l'IAE de mener des parcours progressifs, mieux accompagnés, adaptés et simplifiés, de renforcer leur formation et de donner du temps à celles et ceux qui en ont le plus besoin". Mais il reste à donner un contenu concret et des objectifs de mise en œuvre pour chacun des adjectifs utilisés dans cette phrase.

D'autres propositions sont toutefois plus originales, comme celle consistant à intégrer la question du non recours dès la conception d'un dispositif (un peu à l'image de la prise en compte de la question des normes).

Il reste maintenant à voir quelles seront les suggestions reprises par le gouvernement ou le Parlement. Certaines sont assez proches de mesures envisagées ou en cours, comme celles relatives à l'accès aux droits et à la simplification du dispositif. Mais, avant tout choix éventuel, il faudra chiffrer ces mesures, le rapport du Cese ne donnant aucune indication, même très générale, sur le coût des mesures proposées, ni même sur le nombre de bénéficiaires potentiels.

 

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