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Social - Le Conseil constitutionnel censure les sanctions spécifiques contre la fraude à l'aide sociale

Dans une décision du 28 juin 2013 - consécutive à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) - le Conseil constitutionnel censure l'article L.135-1 du Code de l'action sociale et des familles (CASF). Introduit par l'ordonnance du 1er décembre 2005 portant diverses dispositions relatives aux procédures d'admission à l'aide sociale et aux établissements et services sociaux et médicosociaux - qui supprimait notamment les commissions d'admission à l'aide sociale -, cet article précisait les sanctions de la fraude à l'aide sociale. Son unique alinéa prévoyait ainsi que "le fait de percevoir frauduleusement ou de tenter de percevoir frauduleusement des prestations au titre de l'aide sociale est puni des peines prévues par les articles 313-1, 313-7 et 313-8 du Code pénal".

Des textes contradictoires sur un même objet

Dans sa décision, sur une saisine de l'association Emmaüs Forbach, le Conseil constitutionnel ne remet pas en cause le principe de sanctions en matière de fraudes à l'aide sociale. Mais il constate que l'article 313-1 du Code pénal - auquel renvoie l'article L.135-1 du CASF - punit le délit d'escroquerie, au titre des peines principales, de cinq ans d'emprisonnement et de 375.000 euros d'amende, tandis que les articles 313-7 et 313-8 du même code déterminent les peines complémentaires applicables.
Mais d'autres articles fixent également des sanctions en cas de fraude. C'est le cas de l'article L.114-13 du Code de la sécurité sociale (CSS), qui prévoit qu'"est passible d'une amende de 5.000 euros quiconque se rend coupable de fraude ou de fausse déclaration pour obtenir, ou faire obtenir ou tenter de faire obtenir des prestations ou des allocations de toute nature, liquidées et versées par les organismes de protection sociale, qui ne sont pas dues". Ces sanctions valent notamment pour le revenu de solidarité active (RSA), l'aide personnalisée au logement (APL) ou l'allocation aux adultes handicapés (AAH), servis par les CAF. D'autres articles renvoient en effet à la sanction prévue par cette disposition, comme les articles L.262-50 du CASF (fraude au RSA), L.351-13 du Code de la construction et de l'habitation (fraude à l'APL) et L.821-5 du CSS (fraude à l'AAH).

Vers un retour devant le législateur ?

Dans ces conditions, le Conseil constitutionnel constate que "des faits qualifiés par la loi de façon identique peuvent, selon le texte d'incrimination sur lequel se fondent les autorités de poursuite, faire encourir à leur auteur soit une peine de cinq ans d'emprisonnement et 375.000 euros d'amende, soit une peine de 5.000 euros d'amende". Or, "cette différence de traitement n'est justifiée par aucune différence de situation en rapport direct avec l'objet de la loi". En outre, "eu égard à sa nature et à son importance, la différence entre les peines encourues méconnaît le principe d'égalité devant la loi pénale" (grief soulevé d'office par le Conseil, l'association requérante s'étant contentée d'invoquer la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines - qui ne semble pourtant pas en cause en l'espèce - ainsi que celle des principes de nécessité et de proportionnalité des peines). Le Conseil constitutionnel déclare donc l'article L.135-1 du CASF contraire à la Constitution.
Le Conseil précise que l'abrogation de l'article L.135-1 du CASF prend effet à compter de la publication de sa décision - soit le 30 juin 2013 - et qu'elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date. Cette absence de délai laissé au législateur pour adopter d'autres dispositions s'explique par l'absence de vide juridique, puisque subsistent l'article L.114-13 du CSS et les articles qui lui font référence. Si les peines prévues par l'article censuré étaient effectivement exorbitantes, il reste qu'une amende maximale de 5.000 euros pour les quelques cas - rares mais bien réels - de fraude organisée au RSA semble assez peu dissuasive. La défense appuyée de l'article L.135-1 du CASF par le représentant du Premier ministre lors de l'audience - voir la vidéo dans le lien ci-contre - pourrait donc laisser augurer un retour devant le législateur.