Commande publique - Le consentement des parties : un fondement de l'équilibre du contrat réaffirmé par le Conseil d'Etat
Par un arrêt du 1er juillet 2015, le Conseil d'Etat a apporté des précisions sur les cas dans lesquels le juge peut écarter un contrat litigieux, notamment en présence d'une modification substantielle de l'offre de la société cocontractante de l'administration.
L'office public de l'habitat (OPH) de Loire-Atlantique avait passé un marché avec la société Aareon France afin d'acquérir le progiciel de gestion du parc locatif Prem'Habitat. La société s'était alors engagée à l'assister dans l'utilisation du progiciel et à en assurer la maintenance pendant cinq ans. Suite à un retard et à des dysfonctionnements, le pouvoir adjudicateur a procédé à la résiliation du marché aux torts exclusifs de son cocontractant.
La société a alors saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande de dommages et intérêts. L'OPH a quant à lui demandé au juge de condamner Aareon France à lui verser une somme d'argent au titre du solde du marché litigieux. La juridiction de première instance ayant fait droit à la demande de la personne publique, la société Aareon France a donc fait appel.
La cour administrative d'appel de Nantes a annulé le jugement du tribunal administratif et rejeté les demandes indemnitaires de l'OPH. Ce dernier a alors décidé de porter l'affaire devant le Conseil d'Etat. Les juges du Palais Royal ont dû s'interroger sur le type de responsabilité à appliquer et sur la nécessité d'écarter ou non le contrat.
Défaut de consentement pour un "élément substantiel de l'offre de la société"
Le pouvoir adjudicateur avait procédé à une modification de l'article 9 du contrat après la signature de ce dernier et le début de l'exécution des prestations. La modification de cet article, concernant le mode de calcul des pénalités de retard, emportait de lourdes conséquences pour le cocontractant de l'administration. En effet, elle laissait supposer des conséquences financières "graves et inéluctables" pour la société, les retards ne pouvant être évités au vu des prestations visées par le marché et des circonstances de sa mise en œuvre. Le Conseil d'Etat a donc jugé qu'un "élément substantiel de l'offre de la société" avait été modifié et que le consentement de cette dernière était en conséquence vicié.
Une remise en cause de "l'équilibre économique du contrat"
Le retard a été rendu inéluctable par plusieurs faits dont certains ont été initiés par la personne publique elle-même. Ainsi, la procédure de dialogue compétitif a été lancée tardivement et les délais imposés par le pouvoir adjudicateur pour la fourniture des prestations s'avéraient très courts. De plus, ce type de logiciel peut être sujet à des dysfonctionnements au cours des premiers mois de son utilisation. La modification du contrat a donc eu des effets sur son équilibre économique. Les sages du Palais Royal ont d'ailleurs considéré que l'ensemble du contrat était vicié.
Le vice du consentement : une irrégularité particulièrement grave
Suivant une jurisprudence désormais classique, les juges de la haute juridiction ont rappelé le principe selon lequel il doit être fait application du contrat lors d'un litige relatif à l'exécution de celui-ci, exception faite de la présence d'une irrégularité d'une gravité telle qu'elle amène le juge à écarter ledit contrat. En l'occurrence, le vice du consentement remplissait cette condition et empêchait tout règlement du litige sur le terrain contractuel. La responsabilité contractuelle de la société Aareon France ne pouvait donc pas être recherchée, or, les conclusions de l'OPH concernaient exclusivement ce type de responsabilité. Elles ont donc été, en toute logique, rejetées.
L'Apasp
Référence : CE, 1er juillet 2015, n°384209