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Le Défenseur des droits appelle à "mettre fin aux discriminations dans l'accès à la cantine"

Le Défenseur des droits a rendu public, le 20 juin 2019, un nouveau rapport sur le "droit à la cantine scolaire pour tous les enfants", mettant à jour des inégalités d'accès notamment du fait de "fractures territoriales". Il préconise d'ouvrir une réflexion sur l’évolution du statut de service public de restauration scolaire et une autre sur la généralisation du repas végétarien de substitution.

Le Défenseur des droits publie un rapport intitulé "Un droit à la cantine scolaire pour tous les enfants" et sous-titré "Intérêt supérieur de l'enfant, égalité des droits et non-discrimination". Ce n'est pas la première fois qu'il s'intéresse à la restauration scolaire. Il y a six ans, il consacrait déjà un rapport à "L'égal accès des enfants à la cantine de l'école primaire" (voir notre article ci-dessous du 3 avril 2013).
Le contexte est aujourd'hui un peu particulier. Les sénateurs viennent de tenter de modifier l'article L.131-13 du code de l'éducation, issu de la loi du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et la citoyenneté (LEC), prévoyant que "l'inscription à la cantine des écoles primaires, lorsque ce service existe, est un droit pour tous les enfants scolarisés. Il ne peut être établi aucune discrimination selon leur situation ou celle de leur famille". L'amendement sénatorial entendait encadrer ce droit en prévoyant – de façon quelque peu tautologique – que l'inscription dans les cantines des écoles primaires "s'effectue dans la limite du nombre de places disponibles". La disposition a été supprimée dans le texte adopté le 13 juin par la commission mixte paritaire, mais elle montre que le sujet demeure sensible.

Un rôle dans l'alimentation, l'équilibre nutritionnel et le quotidien des enfants

Dans son rapport, la Défenseur des droits constate que "si une partie des constats effectués dans [le rapport de 2013] conservent leur pertinence six ans après", la situation a sensiblement évolué. En particulier, "l'accès à la restauration scolaire, qui constitue un corollaire du droit à l'éducation, joue un rôle de plus en plus important dans l'alimentation, l'équilibre nutritionnel et le quotidien des enfants". Ce rôle accru se double d'une fréquentation accrue, avec environ 70% des enfants des écoles primaires.

Dans ce contexte, le Défenseur des droits estime à la fois que "le rôle joué par la cantine apparaît [...] de plus en plus important pour certains enfants, en particulier les plus pauvres, le repas du midi pouvant constituer le seul repas complet et équilibré de la journée", mais que "le développement de la pauvreté contribue à fragiliser l'accès à ce service public" (obligatoire dans le secondaire, mais facultatif dans le primaire).

Vers la cantine obligatoire ?

En outre, les inégalités d'accès se doublent de fractures territoriales, en particulier au détriment des écoles situées en zones rurales ou périurbaines. Celles-ci se traduisent aussi dans les tarifs pratiqués, laissés au libre choix des collectivités. Or, le rapport estime que "pour les familles à revenus modestes, l'inscription à la cantine exige un taux d'effort proportionnellement plus élevé que pour les familles aisées et coûte souvent trop cher". Ceci est vrai notamment dans les petites villes et les communes rurales, qui ont tendance à pratiquer un tarif unique.

Face aux inégalités territoriales dans l'effectivité du droit à la restauration scolaire en école primaire – et tout en reconnaissant les difficultés budgétaires des collectivités –, le rapport plaide pour l'engagement d'une "réflexion sur l'évolution du statut de ce service public", autrement dit sur une possible obligation de mise en œuvre.
Le Défenseur des droits a calculé que 19.000 communes disposeraient d’un service de restauration scolaire (mais qu'avec les regroupement pédagogique intercommunal concentré ou dispersé, il est "difficile de savoir précisément combien d’écoles publiques ne disposent pas d’un service de cantine").

Des discriminations fondées sur des motifs prohibés

Le Défenseur des droits estime que "réserver l'accès à la cantine aux enfants dont les parents travaillent, restreindre l'accès à la cantine d'enfants en situation précaire ou ne pas mettre en œuvre l'obligation d'aménagement raisonnable constituent autant de discriminations fondées sur des motifs prohibés". Ces "aménagements raisonnables" portent notamment sur l'accès des enfants handicapés à la cantine (comme aux activités périscolaires). Le rapport demande également une clarification du rôle des MDPH (maisons départementales des personnes handicapées) en matière d'évaluation du besoin d'accompagnement de l'enfant.

Sur la tarification, le Défenseur des droits plaide pour la modulation des tarifs, qui "conditionnent largement l'effectivité du droit à la cantine pour tous". Il préconise également d'éviter tout impact sur les enfants des problèmes de paiement entre les parents et la collectivité. A ce titre, il appelle sans réserve à appelle à "bannir la pratique du 'déjeuner humiliant' visant à servir aux enfants des menus différenciés, afin de faire pression sur les parents" et à "ne pas recourir aux exclusions".

Menus de substitution : pas obligatoires, mais impossible à supprimer

Le rapport est plus partagé sur la question de l'adaptation des menus pour répondre aux choix philosophiques ou religieux des familles. Il rappelle en effet que la mise en place de repas de substitution est laissée à la libre initiative des collectivités. Mais il estime en revanche que "l'application du principe de laïcité, qui a pour corollaire le principe de neutralité des services publics, ne saurait justifier la suppression de menus de substitution sauf à constituer une discrimination fondée sur les convictions religieuses et porter atteinte tant à la liberté de conscience qu'à l'intérêt supérieur de l'enfant". En d'autres termes, il n'est pas obligatoire de prévoir des repas de substitution, mais il est interdit de les supprimer quand ils existent... Il est au demeurant à noter que la justice administrative s'est déjà prononcée à plusieurs reprises sur cette question (voir notre article ci-dessous du 5 novembre 2018). Le Défenseur des droits préconise d'engager une réflexion sur la généralisation du repas végétarien de substitution.

Les recommandations du Défenseur des droits

1 - L’inscription au service de restauration scolaire ne peut être refusée à un enfant d’âge scolaire, le service devant être "adapté et proportionné" à cette fin. 

2 - Mettre en conformité la législation nationale avec les exigences de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. À cette fin, modifier l’article 1er de la loi du 27 mai 2008 en ces termes : "La discrimination inclut le refus de mettre en place les aménagements raisonnables requis en faveur des personnes handicapées." Clarifier juridiquement : d’une part, la compétence des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) en matière d’évaluation du besoin d’accompagnement de l’enfant sur tous ses temps de vie, et notamment sur les temps périscolaires ; d’autre part, les conditions et modalités de prise en charge des moyens afférents aux activités périscolaires pour les enfants en situation de handicap, s’agissant notamment du besoin d’accompagnement. 

3 - Eu égard à l’absence de liberté de choix des parents dans l’affectation des enfants en situation de handicap en classe "Ulis", la tarification du service de restauration scolaire ne doit pas être différente pour les élèves résidant dans une commune autre que la commune d’implantation de l’Ulis. 

4 – Minorer la tarification de l’accueil au service de restauration scolaire, dans le cas de conclusion d’un PAI (projet d'accueil individualisé, pour les enfants handicapés, malades, allergiques, intolérants alimentaires…) avec panier-repas, pour tenir compte de la fourniture du repas par les parents. 

5 - Bannir la pratique du "déjeuner humiliant" visant à servir aux enfants des menus différenciés afin de faire pression sur les parents qui n'ont pas payé la cantine, et ne pas recourir aux exclusions.

6 - Réfléchir à la généralisation du repas végétarien de substitution, dans toutes les collectivités où une telle mesure peut être mise en oeuvre, "celle-ci permettant de résoudre de nombreux litiges liés aux demandes d’adaptation des menus", dans la suite de l’adoption de l’article L. 230-5-6 du code rural et de la pêche maritime sur l'expérimentation prévoyant "au moins une fois par semaine" un menu végétarien depuis la loi Egalim.
 

 

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