Le Gard engage le dialogue compétitif

Comme toutes les collectivités publiques, le conseil général du Gard a dû mettre en place avant le 1er janvier 2005 une solution de dématérialisation des procédures d'achats publics. Avec une particularité toutefois : le département a choisi de recourir à la procédure de dialogue compétitif pour sélectionner son prestataire. "Sur ce nouveau marché, certaines collectivités reçoivent plus de 80 réponses à leur avis d'appel d'offres. La procédure de dialogue compétitif nous permettait de mieux finaliser le cahier des charges et de choisir l'entreprise en évaluant de manière très pratique les capacités techniques de chaque solution sur la base d'un marché-test", explique Mireille Barthelot, directrice de la commande publique.

Pour autant, pourquoi avoir choisi le dialogue compétitif alors qu'il s'agissait d'un marché à procédure adaptée, et donc d'un marché passé sans formalités préalables ? "Notre règlement interne de la commande publique préconise le recours aux procédures formalisées pour tout marché supérieur à 90.000 euros HT, seuil qu'on pensait avoir dépassé dans nos premières estimations [le marché a finalement été attribué pour 40.140 euros HT]. Etant en dessous des seuils européens, nous n'avons cependant pas eu à justifier le recours à cette procédure de dialogue compétitif comme le prévoit l'article 36 du Code des marchés."

Sélection sur entretiens et démonstration-test

La procédure s'est déroulée en trois phases successives. 19 entreprises ont répondu à un appel à candidatures lancé en juillet 2004. Ensuite, 13 d'entre elles ont été admises à participer à la phase d'entretiens après avoir reçu un règlement de la consultation, le programme fonctionnel et une grille d'évaluation à compléter. L'objectif de ces entretiens était de vérifier la conformité de chaque offre aux critères de sélection : aspects réglementaires, impératifs sécuritaires, modalités d'organisation. 3 entreprises se sont désistées et 2 ont été éliminées. Dans la troisième phase, chaque candidat devait réaliser une démonstration de dématérialisation d'un marché-test imposé par la direction de la commande publique. Un bon moyen pour comparer l'engagement de départ du candidat et sa capacité à le concrétiser. Une entreprise s'est désistée et 4 ont été éliminées.
Au final, 3 sociétés ont été retenues pour finaliser leur offre à partir du cahier des charges. "Le dialogue compétitif nous a permis de détailler le cahier des charges mais finalement sans grande différence avec le programme fonctionnel initial", confie Mireille Barthelot. La commission d'appel d'offres du dialogue compétitif a effectué le choix final le 30 novembre 2004 selon 5 critères pondérés (valeur technique, qualités fonctionnelles, délai de mise en oeuvre, assistance technique et fonctionnelle, prix). Le marché a été finalement remporté par la plate-forme achatpublic.com.

Garde-fous pour l'égalité de traitement

"Le dialogue compétitif est une procédure juridiquement moins rassurante que l'appel d'offres mais qui offre plus de souplesse de négociation", souligne Mireille Barthelot. Pour éviter tout risque de dérapage ou de contentieux, le conseil général du Gard a élaboré des garde-fous pour garantir la transparence des procédures et l'égalité de traitement des candidats. D'abord, une commission ad hoc, composée de 4 agents de la commande publique et 2 agents de la direction des systèmes informatiques, et présidée par le président de la CAO (commission d'appel d'offres), a été créée pour mener le dialogue compétitif. "On ne peut courir le risque de faire reposer la négociation sur une seule personne, plus facilement soumise aux pressions. Et mieux vaut prendre en compte les points de vue juridique et technique, grâce à une PRM (personne responsable du marché) collégiale", explique Mme Barthelot.
Autre précaution : fixer préalablement la durée pour chaque phase du dialogue et s'y tenir strictement avec chaque candidat (une heure pour les entretiens et deux heures pour la démonstration-test). La remise d'un questionnaire à chaque candidat, reprenant les objectifs définis dans le programme fonctionnel, a permis de mener les entretiens de manière identique avec chacun d'entre eux. Les réponses complémentaires apportées oralement ont été consignées sur les procés-verbaux.

Mieux cerner les besoins pour des achats à forte technicité

La traçabilité de tous les échanges doit permettre d'éviter qu'une entreprise affirme a posteriori avoir été lésée. Ainsi, un problème de réseau a empêché la démonstration d'un des candidats.  Le conseil général a proposé alors au prestataire de revenir un autre jour en l'indemnisant des frais de déplacement. L'incident comme les modalités d'accord ont été consignés dans le rapport de la procédure. La collectivité n'a pas prévu par contre d'indemniser les participants au dialogue compétitif : "On ne leur a pas demandé de travail d'ingénierie ni de prestations personnalisées mais seulement de nous présenter la solution standard commercialisée par leur société", justifie la direction de la commande publique.
Le conseil général a lancé depuis une nouvelle procédure de dialogue compétitif pour un gros projet d'infrastructure concernant le pont tournant du Grau-du-Roi, marché sur le point d'être notifié. Le recours au dialogue compétitif, dans le cadre cette fois-ci d'un marché au-dessus des seuils européens, s'est justifié par l'importance et la complexité des enjeux techniques qui ne permettaient pas à la direction des infrastructures de définir précisément à l'avance le cahier des charges.
"Le dialogue compétitif est une procédure lourde et longue à mener mais qui a le mérite d'aider la collectivité à cerner ses besoins en prenant en compte l'évolution des nouvelles technologies et en comparant concrètement les multiples approches techniques", conclut Mireille Barthelot.

Emmanuelle Yohana, EVS Conseil pour Localtis

"Une procédure réservée aux marchés complexes"

Le dialogue compétitif est une procédure lourde et longue à mener à son terme, qui doit être réservée à la réalisation d'opérations complexes. Laure Thierry, avocat au cabinet Deporcq-Schmidt-Vergnon, rappelle quel est le principal intérêt du dialogue compétitif et les conditions pour y recourir.

Le Code des marchés publics 2004 propose aux acheteurs publics une nouvelle procédure : le dialogue compétitif. Quel est son intérêt ?

Cette nouvelle procédure est l'héritière de l'appel d'offres sur performance tout en étant directement inspirée de la nouvelle directive européenne du 31 mars 2004. Sans constituer une dérogation à l'obligation de définition préalable du besoin posée par l'article 5 du Code des marchés publics, elle offre néanmoins un outil spécifique destiné à définir le besoin en termes performanciels. Il y a en effet un certain nombre de cas où l'acheteur n'est pas en mesure de définir à l'avance le contenu du cahier des charges parce que le marché est trop complexe. A partir d'un programme fonctionnel qui précise les objectifs à atteindre, le dialogue compétitif doit ainsi permettre de faire émerger des solutions innovantes et appropriées aux besoins de la collectivité au travers des discussions avec les candidats sur la base de leurs propositions initiales. Le succès de la procédure dépend donc très largement de la qualité et de la définition du programme fonctionnel.

Quelle est finalement la différence avec l'appel d'offres sur performance ?

L'appel d'offres sur performance faisait l'objet de contestation par Bruxelles. Alors que dans l'appel d'offres sur performance, la personne responsable du marché (PRM) engageait les discussions avec les entreprises après que la commission d'appel d'offres (CAO) eut ouvert les offres, la logique est cette fois-ci inversée : c'est seulement à l'issue des discussions entre la PRM et les candidats, discussions qui débouchent sur la rédaction d'un cahier des charges, que la commission du dialogue compétitif (dont la composition n'est pas identique à celle de la CAO) est amenée à se prononcer sur les offres finales. C'est une sorte de compromis entre la rigidité de l'appel d'offres et la souplesse de la procédure négociée.

Dans quel cas peut-on recourir au dialogue compétitif ?

Il faut savoir que c'est une procédure lourde et longue à mener à son terme, qui comporte des risques juridiques plus importants que l'appel d'offres : elle doit donc être réservée à la réalisation d'opérations complexes. Par exemple, pour certains marchés d'infrastructures routières, de réseaux ou de prestations informatiques, en matière de communication ou encore de mobiliers urbains.
L'article 36 du Code des marchés prévoit deux hypothèses qui justifient le recours à cette procédure. Soit parce que la personne publique n'est pas en mesure de définir les moyens techniques qui répondent à ses besoins. Soit parce qu'elle n'est pas en mesure d'établir le montage juridique ou financier du projet. Une exception est faite pour les marchés de travaux compris entre 230.000 et 5,9 millions d'euros, dans lesquels la personne publique peut recourir au dialogue compétitif sans condition.

Faut-il donc justifier expressément le recours à cette procédure ?

La collectivité locale doit être en mesure d'apporter la preuve qu'elle a effectivement de bonnes raisons d'y recourir, c'est-à-dire qu'elle répond à l'une des deux conditions posées par l'article 36. La PRM doit d'ailleurs rendre un rapport dans lequel elle motive sa décision de recourir au dialogue compétitif et détaille le contenu et le déroulement des discussions engagées avec les candidats. C'est sur la base de ce rapport que l'autorité délibérante autorise à conclure le marché. Ce rapport sera également transmis au contrôle de légalité.

Le dialogue compétitif est-il seulement possible dans le cadre de marchés formalisés ou peut-on également l'utiliser pour des marchés à procédures adaptées (Mapa) ?

L'article 36 du Code des marchés publics prévoit effectivement cette procédure dans le cadre de marchés au-dessus des seuils de 230.000 euros HT. On peut éventuellement l'envisager pour des Mapa, de la même façon qu'on peut procéder à une application volontaire de la procédure d'appel d'offres pour des marchés en dessous des seuils. Il ne faut pas perdre de vue que cette procédure constitue un aménagement de l'exigence de définition du besoin qui figure à l'article 5 du code et s'applique donc aux Mapa. Il convient sans doute de considérer que l'utilisation de cette procédure sous une forme adaptée est soumise aux mêmes difficultés de définition du besoin.

Les précautions à prendre pour éviter tout risque de contentieux

Walter Salamand, avocat au barreau de Lyon et au cabinet Legitima, chargé d'enseignement à l'Enact et au CNFPT, souligne les points de vigilance et les précautions à prendre pour mener à bien un dialogue compétitif, procédure particulièrement sujette aux risques de contentieux.

- Respecter le principe de transparence et d'égalité de traitement des candidats

La collectivité doit absolument définir et prévoir dès le départ, dans son règlement de consultation, la manière dont va être conduit précisément le dialogue pour informer les candidats sur le déroulement, les règles et la forme des discussions : nombre de phases de dialogue, sous forme d'échanges écrits ou d'auditions, temps imparti pour chaque échange, prestations attendues, phases éliminatoires prévues ou non, etc.
Mieux vaut avoir aussi un synopsis des questions à poser à l'ensemble des candidats et surtout veiller à la traçabilité des échanges, par exemple au travers d'un "cahier du dialogue". Ce compte rendu doit retracer précisément le contenu des entretiens (questions et réponses). Il est préférable de le faire contresigner par les entreprises afin d'éviter tout contestation ultérieure. Les candidats devront être évidemment informés de la sélection opérée au cours des phases successives du dialogue et des raisons de leur éventuelle éviction.

- Veiller au principe de secret industriel et assurer la confidentialité des propositions

C'est l'une des principales difficultés de la procédure de dialogue compétitif : les discussions engagées avec les différents candidats doivent permettre d'aboutir à l'élaboration d'un cahier des charges. De même qu'aucun élément de la proposition d'un des candidats ne serait être communiqué aux autres sans son accord, le cahier des charges ne doit pas comporter non plus d'élément qui aurait pu être signalé comme confidentiel par une entreprise. D'où un important travail de réécriture technique de ce cahier des charges afin de ne pas reprendre telle quelle l'idée formulée par un candidat et d'adapter les solutions proposées aux besoins précis de la collectivité. Un travail qui, si la collectivité ne dispose pas des compétences techniques en interne, gagne à être confié à un assistant à maîtrise d'ouvrage externe.

- Motiver les entreprises à participer au dialogue en prévoyant une indemnité

L'absence de prime peut dissuader certaines entreprises de répondre à l'avis d'appel à concurrence et apparaît souvent comme un frein dans la phase de dialogue. On a vu ainsi des candidats abandonner en cours de route parce que la collectivité ne prévoyait pas d'indemnisation alors que la procédure est longue et exige un gros travail d'ingénierie. Le Code des marchés ne prévoit aucune base de calcul pour cette rémunération, ni minimum ni maximum. Il faut en tout cas fixer le montant et les conditions de versement dans le règlement de consultation. On peut rémunérer de la même façon toutes les entreprises qui participent au dialogue ou prévoir une rémunération échelonnée selon leur participation aux phases successives du dialogue.

Une procédure qui se joue en trois actes

La procédure de dialogue compétitif se déroule en trois phases successives et distinctes :

- La phase de sélection des candidats qui sont admis à participer au dialogue, à la suite de l'envoi de l'avis d'appel public à la concurrence.
- La phase de dialogue  qui commence par l'envoi du règlement de consultation et du programme fonctionnel aux candidats admis à participer au dialogue. Chaque candidat remet ensuite une première proposition qui servira de base au dialogue avec la PRM, organisé en une ou plusieurs phases. Suite à ce dialogue, l'acheteur public rédige un cahier des charges à partir duquel les entreprises devront élaborer leur offre finale. La PRM peut se faire assister par ses services techniques ou un assistant à maîtrise d'ouvrage extérieur.
- La phase de remise et examen des offres renoue avec le déroulement classique des procédures de marchés publics. Avec l'envoi d'un cahier des charges du marché aux candidats ayant participé à toutes les phases du dialogue. Avec ensuite la remise des offres. Et enfin, avec le jugement des offres et le choix de l'attributaire du marché par la commission d'appel d'offres dédiée.

Aller plus loin sur le web :
 
La rubrique "marchés publics" du conseil général du Gard.
http://www.cg30.fr/page.php?couleur=jaune&rubrique=peri_marches
 
Le recours à la procédure de dialogue compétitif : fiche technique du Minefi du 11 janvier 2005.
http://www.minefi.gouv.fr/daj/marches_publics/dia_comp.htm
 
Schéma des différentes phases de la procédure de dialogue compétitif, avec les délais impartis.
http://www.minefi.gouv.fr/minefi/publique/marches_publics/dialog.pdf

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