Le HCTS remet son livre blanc du travail social au gouvernement

Comment sortir de la crise de sens et d’attractivité des métiers du social ? Le Haut conseil du travail social vient de rendre au gouvernement son livre blanc du travail social, avec des préconisations sur les rémunérations, les formations ou encore l’organisation. Pour revenir aux "fondamentaux" du travail social, il est en particulier proposé de "distinguer l’accès au droit et l’accompagnement social". Cinq membres du gouvernement ont accueilli ces conclusions et fait valoir les évolutions en cours. Un institut national du travail social sera notamment préfiguré en 2024.  

"La notion de crise du travail social n’est sans doute plus assez forte pour dire le caractère inédit des difficultés et parfois même de la colère qui anime les professionnels de terrain, les encadrants, les directions des structures et les réseaux." C’est avec gravité que Mathieu Klein, maire de Nancy et président du Haut conseil du travail social (HCTS), a remis au gouvernement un "livre blanc du travail social".

Adopté en septembre dernier par l’assemblée plénière du HCTS suite au "livre vert du travail social" de mars 2022 (voir notre article), cet épais rapport est issu des contributions des membres du HCTS, d’auditions, de groupes de travail nationaux et de comités locaux du travail social et du développement social (voir notre article). Alors que 90% des 1,3 million de travailleurs sociaux sont des femmes, les auteurs ont choisi d’utiliser le féminin pluriel pour les désigner dans le rapport. Pour sortir de la crise d’attractivité et de sens des "métiers du lien", 14 recommandations sont formulées. Cinq membres du gouvernement étaient présents pour recevoir ces propositions : Aurore Bergé (Solidarités et Familles), Stanislas Guerini (Fonction publique), Olivier Dussopt (Travail), Charlotte Caubel (Enfance) et Fadila Khattabi (Personnes handicapées).

Rémunérations : reprendre les négociations sur la convention collective unique étendue 

"Depuis les années 2000, le décrochage des salaires est largement vécu comme une déconsidération des métiers du travail social", lit-on d’abord dans le rapport. Pour mieux reconnaître les travailleurs sociaux, le premier levier est bien entendu celui des revalorisations salariales, en particulier pour les "oubliés du Ségur". Indiquant que l’État s’est engagé à financer la revalorisation des bas salaires, Aurore Bergé et Olivier Dussopt ont appelé les syndicats à revenir à la table des négociations de la convention collective unique étendue (CCUE) de la branche associative sanitaire, sociale et médico-sociale (Bass). La ministre des Solidarités mentionne aussi les 200 millions d’euros qui seront dédiés en moyenne et chaque année, à partir de 2024, aux revalorisations dans le secteur de la petite enfance. Dans le champ de l’aide à domicile, le gouvernement mise sur des gains de rémunération qui découleraient d’une sortie de la tarification à l’heure – un chantier à conduire avec les départements.  

"Sortir d’une vision à l’acte du travail social", c’est d’ailleurs l’une des préconisations du HCTS, qui attend une révision plus générale des modes de financement des structures sociales et médico-sociales – et notamment l’assouplissement de la logique d’appel à projets.  

Concernant la rémunération des travailleurs sociaux de la fonction publique, Stanislas Guerini entend mettre en place des cycles de négociation annuels entre les employeurs et les organisations syndicales, ainsi que des négociations pluriannuelles pour faire évoluer les grilles de rémunération "en raisonnant davantage en termes de filières métiers" (voir notre article). Le ministre promet également de "changer drastiquement la donne" sur l’harmonisation des conditions entre les versants de la fonction publique, la facilitation des passerelles avec la reprise de l’ancienneté et les promotions. Le HCTS appelle plus largement à "soutenir les parcours professionnels" pour offrir des perspectives aux travailleurs sociaux.

Un institut national du travail social pour "redynamiser le secteur"

Autre demande du HCTS : "engager une concertation sur le sujet des ratios d’encadrement". Le sujet est régulièrement mis en avant dans tous les secteurs de l’action sociale et médico-sociale, comme récemment dans la petite enfance (voir notre article) et la protection de l’enfance (voir notre article). Déclarant avoir un "décret sous le coude" depuis sa nomination, Charlotte Caubel estime qu’"il faut des normes et en même temps de la souplesse" et considère que ces taux importent moins que "la qualité des compétences et la professionnalisation".      

Outre des propositions sur la formation initiale et continue, le HCTS souhaite la création d’un observatoire des emplois et des compétences du secteur social et médico-social, "au besoin au travers d’un comité de filière". Annoncé lors de la présentation du Pacte des solidarités en septembre (voir notre article), un institut national du travail social sera préfiguré à partir de janvier 2024. La mission de cet institut sera de "redynamiser le secteur", de "développer une offre de formation structurée" et "une nouvelle architecture des diplômes" et de promouvoir la recherche et le partage de "pratiques innovantes", énumère Aurore Bergé. Cela en lien avec la Délégation interministérielle aux métiers du social, du médico-social et du soin, qui sera commune aux ministères des Solidarités, de la Santé et du Travail. 

Pour Alexandre Lebarbey, éducateur spécialisé représentant la CGT au HCTS, ayant co-piloté l’un des groupes de travail du livre blanc, ce n’est plus la "vocation" mais bien le "professionnalisme" qui doit désormais être la clé de lecture des métiers du social. Promouvoir ces métiers dès le collège, "sans cacher les contraintes" : une nécessité pour une élue représentant Régions de France. Pour cette dernière, "les abandons de formation constatés dès le premier stage" peuvent être liés à "la réalité du terrain", mais aussi à d’autres "freins" qu’il s’agit de lever – prise en charge des frais de déplacement, solutions de logement, gratification générale des stages…

Bureaucratie, organisation : "redonner de l’air aux professionnels"

"Quand le travail prescrit est aussi éloigné du travail réel, cela crée la perte de sens", observe Nathalie Latour, directrice générale de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS). De son point de vue, la crise du Covid-19 a certes été très difficile, mais elle a permis aux travailleurs sociaux de "retrouver des marges de manœuvre" et d’obtenir enfin la "reconnaissance" attendue (voir notre article). "Pendant la crise sanitaire, on est sorti de cette lourdeur administrative pour être pragmatique et répondre aux besoins des personnes", renchérit Fadila Khattabi.

Les ressorts d’un sentiment de "travail social empêché" sont analysés dans le rapport : "bureaucratisation" du fait d’une multiplicité de dispositifs, "selon une logique d’empilement, de ciblage et de technicisation croissante des interventions", dégradation des conditions de travail et "réduction de l’autonomie d’action, qui était à la base de la professionnalisation du métier". "Il faut redonner de l’air aux professionnels", appuie Nicolas Duvoux, sociologue et président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE).

Charlotte Caubel mentionne toutefois des "injonctions contradictoires" en la matière, citant l’exemple du référentiel national sur l’évaluation du danger pour l’enfant (voir notre article). "C’était demandé et c’est devenu une charge", pointe la secrétaire d’État.

"Distinguer l’accès au droit et l’accompagnement social", en misant notamment sur l’automatisation

Les auteurs du livre blanc du travail social appellent à "faire évoluer les organisations de travail", avec un management plus participatif, davantage d’autonomie laissée aux professionnels et des projets permettant un retour réflexif sur leurs pratiques. Surtout, ils jugent nécessaire d’"affirmer des fondamentaux du travail social adaptés aux défis d’aujourd’hui" : "aller vers les publics éloignés", avec des interventions collectives dans les "zones blanches", "favoriser le pouvoir d’agir des personnes accompagnées"… Il s’agit plus globalement, selon Mathieu Klein, de "recentrer les professionnels sur leur cœur de métier qui est l’accompagnement des parcours de vie".

Cela nécessite de "distinguer l’accès au droit et l’accompagnement social", selon une recommandation du rapport, c’est-à-dire de miser sur un accès facilité à l’information, sur l’"automatisation de l’accès au droit" et sur un premier accueil confié au personnel administratif (voir à ce sujet notre article).

Une telle recommandation rejoint bien le projet gouvernemental de "solidarité à la source". Ce dernier permettra, selon Aurore Bergé, de "réduire le taux de non-recours, de diminuer les charges inutiles qui pèsent aujourd’hui sur les travailleurs sociaux et de leur redonner du temps de relation pour aller vers les personnes les plus fragiles". Première étape du projet, le pré-remplissage des déclarations trimestrielles des allocataires du revenu de solidarité active (RSA) et de la prime d’activité "sera expérimenté dès l’année prochaine et généralisé au premier trimestre 2025".  

Parmi les autres recommandations du HCTS, certaines portent sur la communication autour des métiers du social ou encore sur la nécessité pour le travail social d’"investir la transition écologique". Pour "agir rapidement sur l’attractivité des métiers du social", mais aussi "avec opiniâtreté et vision sur le long terme", Mathieu Klein demande au gouvernement "les moyens de mettre en œuvre ces propositions".