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Cour des comptes - Le projet Paris-Saclay ou l'annonce d'une silicon ratée

Le pôle scientifique et technologique de Paris-Saclay devait être le plus prestigieux cluster de France, au rayonnement mondial, notre "Silicon Valley" à nous. Le rapport annuel de la Cour des comptes, rendu public le 8 février, pointe "le risque de dilution d’une grande ambition" pour ce projet qu'elle considère "aujourd'hui en suspens" notamment parce qu'il "souffre d’une absence de stratégie et de gouvernance globale alors qu’il bénéficie de financements publics massifs". Elle formule quatre recommandations pour sauver la situation.

"Le projet Paris-Saclay est aujourd’hui en suspens : la création d’une grande université de recherche intégrant universités et grandes écoles est au point mort et la stratégie de développement économique du site reste à mettre en œuvre", considère la Cour des comptes dans son rapport public annuel 2017. Selon elle, "il existe un risque réel que l’ambition initiale ne se dilue et que, malgré l’importance des moyens publics engagés, le projet de Paris-Saclay ne se résume à un rapprochement géographique d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche, peu accessibles aujourd’hui, sans cohérence réelle ni visibilité internationale".
A l'entendre, c'était de toute façon mal parti. En 2008, "l'Etat s’est lancé dans le projet très ambitieux de Paris-Saclay sans avoir au préalable défini clairement les moyens permettant de le réaliser", a-t-elle constaté. Et aujourd'hui, on serait "entré dans une phase opérationnelle interdisant tout retour en arrière, avec le déménagement en cours de plusieurs établissements d’enseignement supérieur". Elle constate que "les volets respectifs de regroupement académique et scientifique, d’aménagement et de développement économique du site, indissociables pour la réussite globale du projet, n’ont pas été coordonnés, alors qu’intervient une multiplicité d’acteurs dont les compétences, les périmètres, les moyens et les intérêts divergent".
Dès lors, la réussite du "cluster" de Paris-Saclay supposerait que soient réunies trois conditions cumulatives.

Condition n°1 : une université de rang mondial (et une seule)

La première condition serait de parvenir à une organisation universitaire et scientifique "capable de mettre en oeuvre une stratégie globale, notamment en termes de recherche et d’innovation, en vue d’une reconnaissance au plus haut niveau international". Le Cour recommande ainsi à l'Université Paris-Saclay de "déterminer rapidement un mode d’organisation permettant d’atteindre l’objectif de création d’une université de rang mondial et de contribuer à l’émergence d’un 'cluster' de niveau international".
La Cour ne se fait pas d'illusion. Deux visions de l’université Paris-Saclay s’opposent aujourd'hui au sein de la Comue (communauté d'université et d'établissement), correspondant à deux modèles de l'enseignement supérieur français. D’un côté, il y a celle visant à créer une université unifiée. De l’autre, il y a celle défendue notamment par l'Ecole polytechnique, qui craint de diluer sa réputation d’excellence dans une université "encore sans renommée et peu sélective". "La détermination d’une position convergente de ces protagonistes paraît difficile à court terme", estime la Cour, constant avec dépit que "le projet de regroupement universitaire est en suspens".

Condition n°2 : un vrai campus urbain

La seconde condition à la réussite du "cluster" de Paris-Saclay serait que le territoire géographique "ne se réduise pas à la juxtaposition d’établissements et de centres d’enseignement et de recherche, mais se présente comme un campus urbain desservi par des moyens de transport adéquats, disposant des logements et des équipements nécessaires".
Or aujourd'hui, la Cour constate "une attractivité limitée par le déficit de logements étudiants et l’insuffisance des transports collectifs" alors que le plateau devrait accueillir, d'ici à 2020, près de 54.000 étudiants. Dès 2018, faute de logements sur place, plus de 2.100 étudiants devront aller habiter hors du campus, alors que par ailleurs le déficit en transports collectifs est jugé "préoccupant". En effet, ce n'est qu'à l'horizon 2024 que sera mise en service la ligne 18 du métro reliant le plateau à Massy-Palaiseau et à Orly, dans le cadre du projet du Grand Paris Express.

Au-delà du marketing

Quant au développement économique du territoire, la Cour considère que ce fut un objectif "longtemps en déshérence". L' Etablissement public de Paris-Saclay (EPPS), devenu par la suite Etablissement public d’aménagement de Paris-Saclay (Epaps)*, a bien "cherché à développer une identité commune pour le site de Saclay et déployé des outils de marketing en faveur de l’implantation d’entreprises ou de laboratoires de recherche étrangers". Mais les opérations de communication ne suffisent pas et les résultats sont, de l'avis de la Cour, "faibles ou difficilement quantifiables".
Ce n'est pas faute non plus d'avoir commandé, auprès de cabinets conseil externes, des études sur le positionnement à adopter. Le problème, c'est que lorsque les entreprises envisagent de déménager sur le plateau, elles "peinent à identifier des interlocuteurs adéquats". Face à ce "mille-feuilles local de l’innovation", l'Epaps n’aurait "que très tardivement commencé à engager les actions nécessaires à la structuration du réseau et à la création de synergie entre les entreprises, les établissements d’enseignement, les organismes de recherche et leurs structures de valorisation". La Cour note qu'il "a fallu attendre juillet 2016" pour qu’une stratégie de développement économique soit validée par son conseil d’administration.

Condition n°3 : une gouvernance forte

La troisième condition à la réussite du "cluster" de Paris-Saclay coule de source : parvenir à "une gouvernance globale forte, capable de surmonter les oppositions, y compris entre acteurs publics". La Cour recommande à l'Etat de désigner un responsable interministériel, "chargé d’une mission règlementairement définie", afin de "garantir la cohérence des actions de l’Etat sur le site de Saclay et la maîtrise de leur financement". Au passage, elle rappelle que depuis la suppression en 2010 du secrétariat d’Etat chargé du développement de la région capitale, le projet n'est plus porté par "un membre du Gouvernement chargé de cette mission spécifique".
Un délégué interministériel sera-t-il suffisant pour rattraper un projet dont le pilotage, "depuis l’origine, apparaît défaillant" ? En novembre 2005, le Premier ministre Dominique de Villepin lançait le processus devant aboutir à la création, en mars 2009, d’une opération d’intérêt national (OIN) dont le périmètre (7.700 ha) couvre aujourd'hui deux départements (Essonne et Yvelines) et 27 communes appartenant à trois communautés d’agglomération (Versailles Grand Parc, Saint-Quentin-en-Yvelines et Communauté Paris-Saclay, issue de la fusion au 1er janvier 2016 des communautés d’agglomération du Plateau de Saclay et d’Europ’Essonne).

Une imbrication des périmètres d'aménagement

Encore aujourd'hui, le site de Saclay est marqué par "l’imbrication des périmètres d’aménagement", note la Cour. Le projet de campus s’inscrit dans un territoire "nettement plus étroit que celui de l’OIN", dont le périmètre était à l’origine lui-même beaucoup plus restreint que le champ de compétence de l’EPPS qui "a dû composer avec des acteurs locaux initialement opposés au projet, ce qui a rendu son action plus difficile".
Le constat est sans appel : "Le projet Paris-Saclay a souffert dès son lancement d’une absence de stratégie globale et n’a pas bénéficié d’une gouvernance capable d’assurer la cohérence de ses trois volets : le regroupement universitaire et scientifique, l’aménagement du site et son développement économique". Et l’EPPS, devenu Epaps, auquel la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris avait confié "l’impulsion et la coordination du développement du pôle scientifique et technologique du plateau de Saclay, ainsi que son rayonnement international", n’a "pas été en mesure de jouer pleinement ce rôle".
Aujourd'hui encore, "aucune structure de décision ne réunit de manière opérationnelle l’ensemble des parties prenantes du projet (Etat, fondation, Comue Epaps, collectivités territoriales, acteurs économiques)". De ce fait, "l’identification et le suivi de l’ensemble des fonds publics affectés à ce projet sont très difficiles".

Un enchevêtrement des financements publics

La troisième recommandation s'adresse également à l'Etat : il lui faudrait "établir une programmation prévisionnelle des financements correspondant aux besoins identifiés, afin d’en vérifier régulièrement la soutenabilité".
La Cour constate aujourd'hui "des financements publics massifs", qu'elle estime à 5,262 milliards d'euros pour l'Etat, entre les crédits déjà engagés et ceux juste "envisagés". "Au-delà d’un montant prévisionnel très élevé, l’enchevêtrement des financements publics, gérés par des opérateurs différents, s’avère d’une rare complexité" et peu transparent.
La quatrième recommandation s'adresse quant à elle au directeur général de l'Epaps. La Cour lui conseille de doter son établissement d’une organisation et des outils de gestion "lui permettant d’assurer l’exercice de ses missions de manière fiable et efficace et d’en rendre compte à son conseil d’administration ainsi qu’aux autorités de tutelle". La Cour estime en effet que "la gestion de l’Epaps n’est pas à la hauteur des enjeux et des risques du projet Paris Saclay". Elle note des "défaillances de gestion", alors même que les pouvoirs publics se fondent sur les documents établis par l'établissement pour décider de l’augmentation des contributions financières aux projets d’aménagement du campus. Selon elle, "l’absence de contrôle interne, de cartographie des risques ou encore les retraitements comptables du résultat opérés d’une année sur l’autre, décidés par l’ordonnateur sans explication suffisante, ne permettent pas de s’assurer de la fiabilité des chiffres produits".

* L’une des missions principales de l'Etablissement public de Paris-Saclay (EPPS) était de traiter le volet d’aménagement du site. Sa transformation en établissement public d’aménagement de Paris-Saclay (Epaps) a notamment eu pour effet d’en confier la présidence à un élu : la présidente du conseil régional d’Ile-de-France est devenue présidente de l’Epaps en mars 2016.
 

 

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