Culture - Le repas des Français, le point d'Alençon et le compagnonnage inscrits au patrimoine immatériel

La nappe et le couvert : ainsi pourrait-on résumer la moisson opérée par la France à l'occasion de l'annonce des nouvelles inscriptions sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l'humanité, annoncée par l'Unesco le 16 novembre. Sur les 46 dossiers acceptés, trois concernent la France. Le premier - lancé par Nicolas Sarkozy lors du Salon de l'agriculture 2008 - est "le repas gastronomique des Français", à ne surtout pas confondre avec la gastronomie française. Il ne s'agit pas en effet de couronner le savoir-faire des grands chefs mais - selon l'explication de l'Unesco - de distinguer "une pratique sociale coutumière destinée à célébrer les moments les plus importants de la vie des individus et des groupes, tels que naissances, mariages, anniversaires, succès et retrouvailles", qui permet aux convives de pratiquer "pour cette occasion, l'art du 'bien manger' et du 'bien boire'". Bien manger, mais pas n'importe comment : en effet, "le repas gastronomique doit respecter un schéma bien arrêté : il commence par un apéritif et se termine par un digestif, avec entre les deux au moins quatre plats, à savoir une entrée, du poisson et/ou de la viande avec des légumes, du fromage et un dessert". Le ministre de la Santé et la Sécurité routière apprécieront... L'Unesco a cependant tenu à faire preuve d'oecuménisme. Pendant que les Français mangent et boivent, elle a en effet distingué également "la diète méditerranéenne". Une candidature portée par l'Espagne, la Grèce, l'Italie et le Maroc, et qui risque de placer Provençaux et Languedociens devant des choix cornéliens.
Le second dossier français couronné concerne "le savoir-faire de la dentelle au point d'Alençon", qui "doit son caractère singulier au haut niveau de savoir-faire requis et au temps très long qu'il faut pour la produire (sept heures par centimètre carré)". Enfin, le troisième inscrit est "le compagnonnage, réseau de transmission des savoirs et des identités par le métier", qui perdure depuis l'Ancien Régime et regroupe près de 45.000 personnes. Son originalité "tient à la synthèse de méthodes et procédés de transmission des savoirs extrêmement variés : itinérance éducative à l'échelle nationale (période dite du 'tour de France') voire internationale, rituels d'initiation, enseignement scolaire, apprentissage coutumier et technique". Ces trois dossiers vont ainsi rejoindre les autres patrimoines immatériels français inscrits depuis deux ans : les chants corses, la tapisserie d'Aubusson, la technique du tracé dans la charpente française, le maloya (musiques, chants et danses de la Réunion) et les géants participant aux processions dans le Nord et le Sud-Est.

Le patrimoine immatériel cherche sa place

Si, au vu de la liste des inscrits de 2010, on comprend bien tout l'intérêt de préserver l'art du pain d'épices en Croatie du Nord, la danse des ciseaux au Pérou, le chant de la sibylle de Majorque (chanté une fois par an dans les églises de l'île lors des mâtines de Noël) ou le système normatif wayuu, appliqué par le pütchipü'üi (dans la péninsule de la Guajira en Colombie), la notion même de patrimoine immatériel soulève néanmoins un certain nombre de questions. Ces classements sont le prolongement de la convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, adoptée lors de la 32e conférence générale de l'Unesco en octobre 2003 et entrée en vigueur le 20 avril 2006 (la France l'ayant ratifiée le 10 juillet 2006). Ils n'ont donc rien à voir avec la convention du patrimoine mondial de l'Unesco, qui remonte à novembre 1972 et vise le patrimoine matériel et naturel et/ou les lieux de mémoire. Une dichotomie source de confusion, d'autant plus que les deux listes s'ignorent superbement alors qu'elles relèvent toutes deux de l'Unesco. Difficile, par exemple, de trouver la moindre allusion au patrimoine immatériel sur le site du patrimoine mondial... Il est vrai que la liste du patrimoine immatériel - avec 46 dossiers acceptés en 2010 pour 51 candidatures - semble nettement moins sélective que celle du patrimoine matériel. Par ailleurs, si elle prévoit des obligations pour les dossiers distingués, il est encore trop tôt pour juger de leur efficacité réelle sur la préservation de l'héritage culturel. Mais la principale difficulté réside dans la définition même du patrimoine immatériel, qui couvre l'artisanat, les coutumes, les chants, les danses, les rites sociaux... Potentiellement, ce sont ainsi des centaines de milliers de candidatures qui pourraient se manifester. Le dernier argument est plus terre-à-terre : si l'inscription au patrimoine mondial a un effet incontestable et mesuré sur la fréquentation touristique des sites distingués, il n'en va pas de même - pour l'instant - pour le patrimoine immatériel.

 

Jean-Noël Escudié / PCA
 

 

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