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Décentralisation - Le transfert des voies navigables aux collectivités enlisé

Un rapport d'audit de l'Etat sur la décentralisation des voies navigables rendu public le 15 février montre que les collectivités bénéficiaires sont réticentes à solliciter le transfert. Il recommande de poursuivre les démarches engagées dans le dispositif actuel, en l'améliorant, et de dresser un bilan d'ici trois ou quatre ans.

Des collectivités peu enclines à devenir propriétaires de voies d'eau souvent en mauvais état, un inventaire du réseau transférable peu précis, aucun délai prévu pour les négociations de transfert... L'audit sur la décentralisation des voies navigables, rendu public le 15 février, pointe de nombreux obstacles dans la mise en oeuvre de ce dispositif issu de la loi du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques naturels et technologiques. Celle-ci offre en effet la possibilité aux collectivités d'obtenir le transfert de propriété des voies d'eau relevant du réseau dit "non-magistral", à vocation essentiellement touristique, le réseau magistral, dévolu au transport de marchandises, restant dans le giron de l'Etat. La loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales (loi LRL) est venue la compléter en prévoyant des transferts de services correspondants.

 

De nombreuses imprécisions sur le réseau transférable

Aujourd'hui, trois régions (Picardie, Bretagne et Pays-de-la-Loire) ont demandé la compétence pour aménager et exploiter environ 1.000 kilomètres de voies navigables mais elles l'ont fait au titre des lois de décentralisation de 1983. Sauf refus dûment exprimé de leur part, elles devraient toutefois bénéficier du transfert de propriété prévu par la loi de 2003 au plus tard le 31 décembre 2007. Hormis ces trois collectivités, seul le département du Loiret aurait fait officiellement acte de volontariat pour le transfert de propriété d'un canal.
Les auteurs de la mission d'audit mettent en avant tout un faisceau de difficultés. Tout d'abord, le décret 2005-992 du 16 août 2005 relatif à la constitution et à la gestion du domaine public fluvial de l'Etat, des collectivités territoriales et de leurs groupements a bien dressé la liste des voies non-transférables. Mais la nomenclature des voies navigables transférables "demeure virtuelle et est constituée pour l'essentiel de textes épars témoignant du classement de telle ou telle voie dans le domaine public de l'Etat", relèvent les rapporteurs, citant une lettre du vice-président du conseil général des Ponts et Chaussées adressée au directeur des transports terrestres le 30 mars 2004. Ils relèvent aussi que l'insuffisance de la coordination entre les ministères en charge de la gestion du domaine public fluvial (Equipement et Ecologie), déjà soulignée en 2004, demeurait une réalité du fait d'intérêts divergents.
"Le transfert de propriété du domaine fluvial n'est considéré comme une priorité ni par les collectivités ni par les services déconcentrés de l'Etat, actuellement accaparés par les autres transferts de compétences de la loi LRL", notent les auteurs de l'audit qui constatent que la démarche a été engagée "récemment et sans pilotage vigoureux au niveau central".

 

Un déficit d'information sur l'impact du transfert

De leur côté, les collectivités locales dénoncent l'insuffisance des crédits consacrés par l'Etat aux travaux de rénovation ou d'entretien de ce patrimoine. Elles souhaitent soit un effort immédiat de remise à niveau avant transfert, soit un soutien financier de l'Etat sur la base d'engagements fermes et de très long terme. La question de la clause de sauvegarde introduite par la loi LRL et prévoyant une compensation financière de l'Etat si les emplois l'année du transfert sont inférieurs à ceux de l'année 2002 ne peut que freiner les efforts de modernisation, tels que l'automatisation des écluses, permettant des réductions de personnel, soulignent encore les auteurs du rapport. "Ce facteur sera d'autant plus pénalisant que les transferts de propriété seront, faute de date limite fixée par le législateur, éloignés dans le temps."
Les élus redoutent souvent que le transfert de propriété ne crée pour les collectivités des obligations et des responsabilités nouvelles dont ils ne peuvent mesurer l'impact. Cette crainte est d'autant plus justifiée que l'information qui devrait leur être donnée sur ces sujets est souvent inexistante alors que les nombreux risques liés aux insuffisances d'entretien peuvent être identifiés. De plus, au-delà de l'imprécision des listes de voies navigables transférables, les collectivités regrettent que les procédures d'inventaire du domaine public fluvial n'aient pas été menées à leur terme. La question de la fermeture à la navigation de certaines voies n'a pas fait l'objet d'études sérieuses et les réflexions sur les projets de valorisation du patrimoine fluvial transférables sont quasiment au point mort.

 

Prévoir des scénarios de gestion

"Il est prématuré d'affirmer que le dispositif est un échec ; on peut cependant, sans risque de se tromper, estimer qu'il ne permettra pas le transfert de l'ensemble des voies transférables", estiment les auteurs du rapport. Ils recommandent néanmoins de "poursuivre dans un premier temps les négociations engagées dans le cadre législatif actuel, tout en améliorant les conditions de mise en oeuvre des transferts". Les discussions avec les collectivités territoriales ne doivent être engagées qu'après avoir clairement identifié un ou plusieurs scénarios de gestion et de mise en valeur de la voie, décrivant non seulement son état mais aussi son potentiel économique, touristique, environnemental, hydraulique, patrimonial. Si ce potentiel est réduit, des niveaux de service très limités allant jusqu'à la fermeture à la navigation, voire à la désaffectation du domaine public, peuvent être proposés. Sur la base de ces scénarios, les collectivités pourraient lier leur demande de transfert à une participation significative de l'Etat à une remise en état des voies transférées. La mission recommande de "réserver un accueil attentif et bienveillant à ces demandes, sous réserve que les crédits mis en place par l'Etat soient considérés comme une contribution exceptionnelle", autrement dit qu'ils ne soient pas comptabilisés dans le calcul des charges à compenser au titre du transfert.
"Dans un second temps, d'ici trois à quatre ans, il sera vraisemblablement nécessaire de mettre fin au dispositif législatif actuel, concluent les rapporteurs. L'Etat devra décider, selon l'intérêt marqué par ses partenaires lors de la phase actuelle, de fermer certaines voies à la navigation, éventuellement de les déclasser (...). Les autres voies ne seraient maintenues ouvertes à la navigation que sous réserve de transfert ou de mise en place d'un partenariat contractualisé liant les collectivités à l'Etat."

 

Anne Lenormand

 

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