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Social - Le versement de prestations sociales ne peut pas être conditionné à la possession d'un compte bancaire

Dans un arrêt important du 21 juin 2018, la Cour de cassation tranche sur la question des modalités de perception des prestations sociales. L'affaire jugée concerne la Caisse de sécurité sociale de Mayotte (CSSM), mais elle fait jurisprudence pour l'ensemble des organismes de protection sociale, la CSSM étant une composante du régime général de la sécurité sociale et présentant la particularité de gérer l'ensemble des branches de cette dernière (maladie, vieillesse, famille et recouvrement). L'intervention de la Cour de cassation, et non du Conseil d'État, s'explique par le fait que les caisses de sécurité sociale sont des organismes de droit privé, même si elles sont chargées d'une mission de service public.

Pas de compte, pas de remboursements ?

En l'espèce, la Cour casse un arrêt de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion en date du 12 mai 2015, qui validait lui-même une décision d'un tribunal des affaires de sécurité sociale (Tass). Mme X..., de nationalité comorienne mais domiciliée à Mayotte, avait sollicité, le 8 juillet 2013, son affiliation et celle de son enfant mineur au régime d'assurance maladie maternité auprès de la CSSM. Celle-ci l'a effectivement affiliée, à compter du 27 février 2014, mais sans possibilité d'être remboursée de ses éventuelles dépenses de santé tant qu'elle n'était pas en mesure de produire un relevé d'identité bancaire ou postal. Or l'enfant de Mme X..., de nationalité française, est atteint d'une maladie génétique occasionnant un retard psychomoteur et des malformations congénitales nécessitant une prise en charge clinique tous les trois mois. Dès lors, et faute de compte bancaire, Mme X... pouvait prétendre uniquement à la prise en charge des prestations maladie accessibles en tiers payant (pas d'avance de frais et donc pas de remboursement nécessaire), mais pas à celles donnant lieu à un remboursement des frais engagés.
Mme X... a alors saisi le Tass puis, devant le rejet de sa demande, la cour d'appel de Saint-Denis-de-la-Réunion. Celle-ci a rejeté le recours, en se fondant sur la notion de droit au compte. La cour d'appel a en effet jugé "que s'il n'existe en principe aucune obligation d'avoir un compte en banque, l'article L.312-1 du code monétaire et financier institue un droit de chaque individu de disposer d'un compte bancaire, par le biais de la Banque de France ou, concernant les personnes domiciliées dans un département d'outre-mer, de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM) ; que l'appelante n'est donc pas fondée à invoquer l'impossibilité pour elle d'ouvrir un compte, eu égard à la faiblesse de ses revenus".

Le versement des prestations est de droit dès lors que les conditions d'octroi sont réunies

Dans son arrêt - et sans se prononcer ouvertement sur le caractère possiblement discriminatoire de l'exigence de la CSSM dans un contexte tendu face à l'immigration comorienne -, la Cour de cassation considère au contraire "qu'en subordonnant ainsi l'affiliation effective de Mme X... à une condition afférente au service des prestations et non prévue par la loi, alors qu'elle constatait que cette dernière réunissait les conditions d'affiliation au régime d'assurance maladie, maternité, invalidité et décès fixées par le texte susvisé, la cour d'appel a violé ce dernier [l'article L.312-1 du code monétaire et financier, issu de l'article 137 de la loi d'orientation du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions, ndlr]".
La Cour de cassation ne renvoie pas les parties devant une autre instance, mais tranche l'affaire au fond en accueillant "Mme X... en sa demande d'affiliation à effet du 4 avril 2014, avec toutes conséquences de droit, pour elle-même et son enfant mineur Y..., au régime d'assurance maladie, maternité, invalidité et décès géré par la caisse de sécurité sociale de Mayotte".

Satisfaction du Défenseur des droits et conséquences pour les collectivités

Dans un communiqué du 22 juin, le Défenseur des droits "prend acte avec satisfaction de l'arrêt de la Cour de cassation en date du 21 juin 2018, qui affirme que l'octroi d'une prestation sociale ou d'un droit social ne peut être subordonné à la production d'un relevé d'identité bancaire (RIB) et d'un compte bancaire".
Jacques Toubon rappelle avoir présenté des observations devant la cour d'appel en 2015 et devant la Cour de cassation en 2017, "à la suite d'une saisine relative aux entraves à l'affiliation à l'assurance maladie - et par conséquent à l'accès aux soins - opposées par la caisse de sécurité sociale de Mayotte aux assurés qui ne disposent pas d'un compte bancaire". Il rappelle au passage que "détenir un compte bancaire est un droit, non une obligation ; les organismes sociaux disposent d'autres moyens - mandats postaux, espèces - pour verser les prestations dues".
Pour le Défenseur des droits, "cette décision [de la Cour de cassation, ndlr] pourra être opposée aux caisses (caisses d'allocations familiales, caisse primaire d'assurances maladie...) ayant recours à de telles pratiques à l'égard de tout usager partout en France".
Sur un plan strictement juridique, elle ne s'applique pas à d'éventuelles décisions similaires des collectivités territoriales (départements, CCAS, communes...) - qui relèvent de la juridiction administrative -, mais il est plus que probable que cette dernière adopterait, le cas échéant, une position similaire.
En outre, accoutumées à la prise en charge de publics en grande exclusion, les collectivités savent faire face à des situations d'absence de compte bancaire ou postal et pourraient donc difficilement invoquer une contrainte particulière en la matière.

Références : Cour de cassation, arrêt n°891 du 21 juin 2018 (17-13.468), Mme X…, Caisse de sécurité sociale de Mayotte.