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Salon des entrepreneurs - L'entreprise sociale : un remède anti-crise

Une centaine d'entrepreneurs sociaux présenteront leur livre blanc à Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat à l'Emploi, lors du Salon des entrepreneurs le 4 février. Ce secteur en plein essor prend aujourd'hui des airs de remède "anti-crise", comme le montre Hugues Sibille, président de l'Avise, une agence qui accompagne les initiatives dans le champ de l'économie sociale.

Localtis : Le "business anti-crise" est à l'honneur de ce seizième Salon des entrepreneurs. En quoi l'entrepreneuriat social peut-il offrir une alternative ?

L'entrepreneuriat social n'est pas nouveau mais il a atteint un niveau d'intérêt et de crédibilité qui justifie aujourd'hui un changement d'échelle. C'est le but de ce livre blanc que nous souhaitons mettre sur la place publique pour mieux faire connaître les nombreuses solutions qu'il apporte aux problèmes que nous connaissons. Il y a aussi de quantité d'initiatives qui montrent qu'on a franchi un cap : au niveau des grandes écoles et universités qui l'ont intégré dans leurs programmes, mais aussi à l'étranger avec les écrits du prix Nobel de la Paix Muhammad Yunus sur le Social Business. C'est aussi au Royaume-Uni le plan de Gordon Brown en faveur de cet entrepreneuriat social, un secteur regroupé au sein de la "Social Enterprise Coalition", une sorte de patronat de l'entrepreneuriat social. Il y a bien sûr des nuances d'un pays à l'autre. La définition la plus simple est celle de l'Essec : "une initiative privée au service de l'intérêt collectif". Il faut donc une finalité d'intérêt collectif : lutter contre l'exclusion, valoriser un territoire, etc. Les méthodes sont issues de l'entreprise mais la finalité n'est pas de reverser le capital ou de partager les bénéfices. Au-delà de cette finalité, on a des formes juridiques variables : coopératives (Scop ou Scic) associations, SARL ou SA avec une condition, le chiffre d'affaires doit être supérieur à 50% des revenus, les structures uniquement subventionnées n'en font donc pas partie. Muhammad Yunus développe un peu la même idée mais avec une vision assez draconienne refusant toute intervention publique. On en a une illustration avec la création d'une usine de Danone au Bangladesh qui fabrique des yaourts enrichis et très bon marché avec l'objectif de lutter contre la malnutrition des enfants. En France, on a une vision un peu plus souple avec les entreprises d'insertion, les contrats aidés. Les pouvoirs publics peuvent donc apporter une aide. Enfin, il existe une différence avec l'entrepreneuriat d'économie sociale qui se définit d'abord par les statuts.

 

En quoi le secteur pourrait-il être protégé de la crise actuelle ?

L'entrepreneuriat social a le vent en poupe. On reste avec des problèmes sociaux et de solidarité extrêmement importants en France. Beaucoup de jeunes sont attirés mais aussi des cadres qui ont un ras-le-bol de leurs conditions de travail, qui cherchent du sens. Le potentiel est donc assez important. Dans le contexte actuel, on ressent plutôt un effet d'attraction. Pour le moment, la crise attaque plutôt les entreprises orientées uniquement vers l'argent, d'abord la finance. Les Golden Boys ont pris du plomb dans l'aile. Il y a donc un courant favorable même s'il faut rester prudent : toute entreprise sociale repose quand même sur un modèle économique. On souhaite que le gouvernement augmente le nombre de postes d'insertion dans le cadre du plan de relance.

 

Quel est le poids de l'entrepreneuriat social dans l'économie française ?

Pour l'heure, on n'a pas de véritable outil statistique. On veut justement faire pression sur le gouvernement pour qu'il en développe un. Mais si l'on prend l'ensemble de l'économie sociale et solidaire, le secteur représente environ 10% du PIB et 2 millions d'emplois pour 203.000 entreprises. Si l'on prend un champ plus restrictif avec une dimension d'intérêt général forte, on a une fourchette entre 5.000 et 10.000 établissements : structures d'insertion par l'activité économique, entreprises adaptées, commerce équitable, aides à domicile, coopératives, etc.

 

Y a-t-il des freins à ce changement d'échelle ? Les fonds sont-il disponibles ?

Il faut d'abord que les structures qui s'occupent d'accompagnement connaissent davantage les dispositifs financiers et fiscaux. Il faut démultiplier les dispositifs d'appui à la création d'entreprises sociales, c'est l'une des quinze priorités du livre blanc. L'Avise a par exemple passé un accord avec l'APCE [Agence pour la création d'entreprises, NDLR] mais il reste encore beaucoup à faire. Il faut également changer de culture : depuis une trentaine d'années, l'argent public va essentiellement à l'innovation technologique, mais il n'y a pas assez d'effort pour l'innovation sociale. Nous proposons aussi de mobiliser l'épargne salariale sur le financement de l'innovation sociale. On suggère aussi une fonction de "banques d'affaires". Pas dans le sens habituel : l'idée est de favoriser les fusions d'entreprises sociales à fort potentiel pour constituer de véritables groupes. Il y a également des fonds disponibles avec les réseaux tels que France Active. Enfin, il faut qu'on puisse mesurer la performance sociale, c'est-à-dire analyser le retour sur investissement, pas seulement d'un point de vue financier mais social. Il faut regarder tous les effets induits : on a des personnes qui sortent du chômage de longue durée, qui se remettent à consommer, qui payent des impôts, sans parler des effets sur l'insertion, voire sur la délinquance. Aux Etats-Unis, les fondations ont toute une série d'indicateurs qui permettent de mesurer le retour. C'est ce qui nous manque pour être assez objectif.

 

Quel rôle les collectivités ont-elles à jouer ?

Elles ont un rôle tout à fait important. Elles peuvent par exemple inclure un volet entrepreneuriat social dans la politique de soutien à la création d'entreprises ou dans les schémas régionaux de développement économique. Elles peuvent créer des pépinières ou incubateurs spécialisés. Par ailleurs, les collectivités agissent en tant que client via les marchés publics, en décidant d'y inclure des clauses de mieux disant social. Il y a tout un travail qui commence à se faire. Les collectivités ne savent pas forcément rédiger une clause sociale ou se faire connaître auprès des entrepreneurs sociaux. Le site www.entrepreneursocial.fr permettra d'y remédier.
De ce point de vue, la région Languedoc-Roussillon est en avance avec une politique assez complète : la création d'un incubateur spécialisé, le salon Coventis dédié à l'économie sociale et bientôt l'Ecole de l'entrepreneuriat en économie sociale (EEES), la première du genre, qui ouvrira prochainement ses portes. A noter également les exemples de la communauté urbaine de Bordeaux et la communauté d'agglomération de Nantes qui ont mis en place des clauses sociales dans leurs marchés publics.

 

Propos recueillis par Michel Tendil